Restons en Asie, si vous le voulez bien, mais quittons Hong Kong et l'époque contemporaine pour le Japon féodal. Avec un roman qui mêlent le code des samouraï, la fantasy et même, de mon point de vue, des thématiques très classiques de cape et d'épée et quelques clins d'oeil à la japanimation. Un premier tome, puisque l'oeuvre est en fait un diptyque, qui laisse encore la part du lion à la partie épée, initiation, apprentissage et duels, mais qui, on le devine déjà, devrait voir la fantasy, encore discrète, gagner du terrain rapidement dans la suite... "Vent rouge", de Jean-Luc Bizien, vient de paraître en poche chez Folio et ouvre de manière très intéressante et spectaculaire le diptyque "Katana". Si l'action tient une place importante, ce premier volet prend le temps de planter le décor, de camper les personnages, d'établir les relations entre eux et nous amène jusqu'à un cliffhanger final qui laisse présager un second tome tout à fait passionnant...
Âgé de 15 ans, Ichirô vit aux côtés de son maître, Hatanaka, qui lui enseigne son savoir pour en faire un véritable samouraï. Hatanaka est ce qu'on appelle un yamabushi, c'est-à-dire un guerrier vivant en ermite et en ascète dans les montagnes, sans maître. Le vieux maître s'occupe de son disciple depuis son plus jeune âge et son enseignement commence à porter ses fruits.
S'il lui reste encore beaucoup à apprendre, Ichirô fait d'incontestables progrès dans le maniement du sabre. Preuve en est cette première défaite infligée à Hatanaka, immédiatement suivie par une seconde. Même en camouflant sa mauvaise foi sous la sagesse qu'il s'évertue à transmettre au jeune garçon, Hatanaka ne peut plus reculer : il va devoir tenir sa promesse.
Une promesse que Hatanaka aurait voulu repousser encore longtemps : révéler à Ichirô ses origines. Et, par-là même, les circonstances dramatiques qui l'ont amené à recueillir le garçon alors qu'il n'était encore qu'un nourrisson... Mais, Hatanaka ne peut se dérober et doit expliquer à l'adolescent qui il est réellement, question d'honneur.
Voilà comment Ichirô découvre, stupéfait, qu'il est le fils d'un noble couple qui a eu maille à partir avec le daimyo, le puissant seigneur local. Un homme impitoyable qui, s'il n'obtient pas ce qu'il exige, châtie les contrevenants de la pire des façon. Le récit de la mort des parents d'Ichirô a de quoi glacer les sangs. Et réveiller une violente colère et une inextinguible soif de vengeance.
Hatanaka a beau essayer de les refréner, d'expliquer à Ichirô que le temps de sa vengeance n'est pas encore venu, qu'il n'est pas prêt à affronter un homme comme le daimyo, l'adolescent n'a plus qu'une idée en tête : défier l'assassin de ses parents et le tuer. Le seul hommage qu'il puisse rendre à ses défunts parents, tout en réhabilitant l'honneur bafoué de sa famille.
Une première occasion se présente quand Ichirô apprend que le daimyo souhaite recruter de nouveaux samouraïs au sein de sa garde personnelle. Pour cela, il a organisé un tournoi au cours duquel se battront les plus redoutables manieurs d'épée de la région. Les vainqueurs seront alors embauchés. Quelle meilleure opportunité d'approcher le daimyo ?
Mais l'expérience est un échec cuisant et Ichirô manque de peu d'y laisser la vie. Sauvé in extremis par Hatanaka, Ichirô va devoir apprendre la patience avant de pouvoir espérer défier le daimyo. Mais, l'effet de surprise sera moindre, désormais. Lors du tournoi, le jeune homme a dévoilé une partie de son jeu et, désormais, il est un fuyard, cible des hommes du daimyo.
Alors, il faut reprendre ses forces, retrouver l'entraînement et chercher un nouveau moyen d'atteindre l'ennemi désigné, cette fois pour le tuer... Ou laisser sa vie en essayant. Mais, pour cette autre tentative, Ichirô et Hatanake ne seront pas seuls. Au cours de leurs aventures, ils vont en effet constituer un petit groupe autour d'eux, avec des personnages rencontrés en route.
Ces nouveaux alliés s'appellent Buta, Onô, Jotarô et Aiko. D'eux, je vais vous dire très peu de choses, car il vous faudra assister à ces rencontres au fil de votre lecture. Je peux simplement vous dire que ces personnages, et c'est ce qui donne du sel à ce roman, n'ont rien d'alliés fiables à première vue. Bien au contraire, pour différentes raisons, on pourrait croire que, à cause d'eux, Ichirô coure à l'échec.
Chacun de ces renforts, de par son passé, ses défauts, mais aussi ses qualités, pourrait être un obstacle dans la quête de vengeance du jeune homme et de son maître. Oh, ils le seront, bien évidemment, la route menant au daimyo est jalonnée d'obstacles et de dangers, mais le vieux maître et son prometteur élève savent trouver les parades.
Et, surtout, ils bénéficient d'un atout, d'une arme, je ne sais pas trop comment qualifier cela de façon adéquate, d'une valeur que le daimyo a reniée depuis longtemps : l'honneur. Or, dans le Japon médiéval, dans cet univers où le bushido, ce code de conduite quasi sacré, tient encore une place importante, l'honneur n'est pas complètement tombé en désuétude...
Voilà comment Ichirô va constituer une bonne partie de sa troupe : en s'appuyant sur l'honneur, ou sur le déshonneur, des uns et des autres, malgré la sensation qu'il prend des risques énormes en choisissant ces traîtres en puissance pour l'épauler. Une situation qui, en soit, vaut le coup d'oeil, autant que le côté hétéroclite des personnages ainsi unis.
En un peu moins de 300 pages, dans cette version de poche, Jean-Luc Bizien lance donc la quête d'Ichirô et façonne ce groupe assez étrange qui va se lancer à l'assaut d'un personnage qu'on devine de plus en plus puissant au long des chapitres et de ses rares apparitions. Ichirô sait-il réellement qui il va défier ? Car le daimyo possède un terrible secret, légèrement dévoilé dans ce premier tome.
Enfin, suffisamment dévoilé pour que l'on mesure la tâche qui attend le jeune homme et ses amis, ainsi que le danger que revêt cette quête. Pas certain, dans ces conditions, que l'honneur suffise pour vaincre. Non, il faudra aussi de la ruse et peut-être un peu plus encore. Et surtout, une alliance sans faille pour que les talents de chacun s'unissent.
"Vent rouge" est également un roman plein de références, toutes assez classiques, mais habilement mariées pour donner une lecture captivante, pleine d'action, avec un zeste d'humour et pas mal de surprises, celle des dernières lignes n'étant pas des moindres... Mais, les perspectives qu'ouvre cette révélation finale (encore incomplète, d'ailleurs) constituent une autre histoire, celle du tome 2.
Au rayon des références classiques, la lutte des plus faibles contre le fort. Ichirô et ses amis n'ont pas grand-chose à voir avec les 7 samouraïs de Kurozawa, en tout cas en apparence, mais ils s'inscrivent aussi dans cette lignée-là. Jean-Luc Bizien a évidemment d'abord puisé dans les récits de samouraïs pour construire son histoire.
Mais, il y a apporté quelques ingrédients supplémentaires, auxquels on ne s'attend pas forcément. D'abord, on peut penser aux romans de cape et d'épée, version occidentale, cette fois. A commencer par "le Bossu", de Paul Féval : Ichirô en Aurore, Hatanaka en Lagardère et le daimyo en Philippe de Gonzague. Une histoire de vengeance des plus classiques, je vous le disais.
Ce qui ne veut évidemment pas dire que ce n'est pas intéressant, au contraire. D'ailleurs, quand j'évoque cette tradition plus occidentale que j'ai cru déceler dans "Vent rouge", ce n'est pas seulement la littérature, mais aussi les films. Et, plus particulièrement, bien sûr, on y revient toujours, la grande époque des films costumés, avec Jean Marais en porte-étendard.
Jean Marais, et Bourvil, aussi. On sent que beaucoup d'auteurs actuels qui reviennent vers les romans de cape et d'épée n'ont pas seulement lu Dumas ou Féval mais ont aussi, certainement, passé quelques mardis soirs devant leur petit écran, quand passaient ces films remontant aux années 1950-60. Ici aussi, on a notre Bourvil !
Il s'appelle Buta. Oui, je sais, j'ai dit que je ne parlerai pas des alliés d'Ichirô. Mais, son cas est un peu particulier : il est quasiment là dès le début de l'histoire. Oui, Buta, c'est notre Bourvil, personnage comique au milieu des personnages plus sérieux, trouillard comme pas deux, ne paraissant pas très finaud au premier abord et disposant pourtant de talents remarquables quand on le connaît.
Buta, c'est le digne héritier des Planchet, Passepoil ou Cogolin que Bourvil a incarnés au cinéma. Aussi horripilant et maladroit qu'il est serviable et utile, il est aux antipodes de ses camarades, de par ses origines comme de par son inaptitude totale au combat. Si l'on veut encore filer un peu plus la métaphore chevaleresque, Buta, c'est Sancho Pansa, même si ichirô n'est pas vraiment un Quichotte.
Là encore, Bizien mélange les genres. Buta, je le classe dans la lignée des personnages joués par Bourvil, certes, mais ce n'est pas le physique de l'acteur normand que je lui accole... Non, je lui vois une physionomie tout droit sortie de la japanimation : ces visages aux yeux énormes, mangeant la face, ces bouches qui postillonnent, ces figures qui font sourire dès qu'on les voit.
Bref, vous le voyez, "Vent rouge" a fait fonctionner mon imagination, et cela ne vaut pas que pour ce personnage-là, évidemment. Reste à clore ce tour d'horizon avec un cinéma plus proche de nous, ce réveil des films de sabres, avec ces scènes d'action et de combat admirablement chorégraphiées. Il y a aussi de cela, dans le diptyque "Katana".
Je crois avoir vu que ces deux romans étaient étiquetés jeunesse. Je n'ai rien contre, mais je n'ai pas eu le sentiment de lire un roman jeunesse, avec "Vent rouge". Chez moi, c'est un véritable compliment et je pense que ce diptyque pourra plaire aux petits comme aux grands, par ses personnages qui ont encore beaucoup à nous montrer d'eux-mêmes et par cette histoire qui devient de plus en plus captivante.
En ce qui me concerne, je suis impatient de me lancer dans la suite de "Vent rouge", qui s'appelle "Dragon noir" (tiens, un indice vient de s'afficher au bas de votre écran...) et qui est sorti en même temps que le premier volet chez Folio. Il reste encore beaucoup à découvrir sur cette histoire, et pas seulement un dénouement qu'on imagine forcément... agité ! A suivre, donc !