Après avoir été impressionné par l'univers très sombre d'Aurélie Wellenstein dans "le Roi des Fauves", j'avais très envie de voir ce que cette jeune et prometteuse romancière allait nous proposer. Pourtant, j'ai attendu quelques mois avant de me lancer dans la lecture de son nouveau livre, "les Loups chantants" (aux éditions Scrinéo). Et puis, vu le sujet, l'hiver venant, je suis allé le sortir de la bibliothèque pour le dévorer au pied du sapin ou presque (oui, je l'ai lu à Noël et oui, je sais que j'ai un retard fou dans mes billets...). Et, une nouvelle fois, j'ai été happé, glacé jusqu'aux os par cette histoire qui se déroule en plein blizzard, entraîné à la suite de ce trio d'ados parti dans une quête apparemment impossible. Encore une fois, j'ai été frappé par le côté noir, presque horrifique, par moments, de ce roman où l'auteure développe certains thèmes qui lui sont chers. Et qui confirme que Aurélie Wellenstein est une plume qui compte dans l'imaginaire français.
Yuri vit avec sa soeur, Kira, dans un village d'éleveurs de rennes, quelque part dans le grand nord sibérien. Mais, depuis un an, le jeune homme peine à se remettre d'un douloureux deuil : Asya, la jeune fille dont il était profondément amoureux, est morte, dévorée par une meute de loups après s'être perdue dans le blizzard.
Mais, Yuri n'accepte pas cette idée, il est persuadé d'entendre les loups lui parler régulièrement, lorsqu'ils s'approchent du camp. Et surtout, il croit que Asya n'est pas morte mais qu'elle a rejoint la meute, qu'elle est devenue elle-même un loup. Une manière de refuser ce décès, mais aussi, une espèce d'idéal qui a germé dans l'esprit de l'adolescent.
Le loup, animal sauvage, hantise des éleveurs, est, pour Yuri, un animal fascinant, envoûtant, dont il ressent l'appel, tel Ulysse et son équipage le chant des sirènes. Oui, ces loups chantent et leur chant est enjôleur pour ce jeune homme qui a perdu, avec la disparition d'Asya, une raison de vivre. Un état d'esprit qui le rend plus sensible encore au charme des Loups chantants...
C'est une autre terrible nouvelle qui va frapper Yuri et le sortir de ses états d'âme. Sa jeune soeur, Kira, est malade. Pas une maladie ordinaire : la voilà frapper par un mal qui couvre petit à petit son corps de plaques de glace. A terme, elle risque de se transformer en statue de glace si l'on ne fait rien, de manière urgente.
Mais, le chaman de leur communauté est sans pitié : pour lui, ce qui frappe Kira n'est pas une maladie, mais une malédiction. C'est l'hiver, et son incarnation divine, Korochun, qui a jeté son dévolu sur l'adolescente. Par conséquent, il n'y a rien à faire, Kira fait même courir un grand danger à tous les siens. Voilà pourquoi le chaman décide de la bannir, purement et simplement.
Choqué, Yuri prend la défense de sa soeur, en vain. Conseillé par Anastasia, une de ses amies qui a fait des études d'infirmière, le garçon décide alors de prendre le mors aux dents : malgré le blizzard épouvantable qui ne faiblit pas, bien au contraire, il décide de conduire Kira jusqu'en ville pour qu'elle soit prise en charge par les meilleurs médecins possibles.
Avec son traîneau et son équipage de chiens dévoués à leur maître, il se lance dans cette course contre-la-montre, sans craindre le danger, puisque, de toute façon, tout semble perdu. Avec le renfort inattendu d'Anastasia, il entame une incroyable odyssée dans le froid et la neige, éléments déchaînés qui ne seront pas les seuls dangers que les trois adolescents devront braver, loin de là...
J'ai déjà évoqué la mythologie grecque, avec le souvenir des sirènes cherchant à charmer Ulysse et son équipage, mais le mot odyssée me semble parfait pour qualifier ce voyage qui est évidemment le coeur du roman. Couvrez-vous, l'hiver et ses sbires sont impitoyables et les pièges qu'ils tendent à Kira, Anastasia et Yuri sont tout à fait redoutables.
C'est d'ailleurs là qu'on retrouve les scènes que je qualifiais d'horrifiques dans mon introduction. A la prochaine tempête de neige, même en pleine ville, je regarderai à deux fois où je pose les pieds ! Je me suis même demandé si Yuri, Kira et Anastasia n'allaient pas finir par tomber sur les animaux de buis de l'hôtel Overlook (désolé, pas pu m'empêcher ce clin d'oeil à Stephen King...).
J'ai apprécié ce climat, cette relative lenteur (et pour cause, les conditions ne sont pas idéales pour avancer toutes voiles dehors), le côté sombre accru par la nuit qui n'en finit pas, j'ai ressenti ce froid et ces présences menaçantes, que ce soit l'hiver et ses avatars ou ces loups, qui semblent suivre le convoi, et dont on ne sait pas s'ils sont un danger ou une aide possible...
Poussés par le désespoir, les trois adolescents font preuve d'un courage exemplaire dans ces conditions terribles, luttant contre le temps (celui qui passe comme celui qui se dégrade continuellement) et se méfiant de chaque rencontre. Comme si leur oppressante solitude, dans cette immensité glaciale et hostile, était finalement leur meilleure protection.
Unis par une indéfectible amitié, ils se dépassent, particulièrement Yuri et Anastasia, Kira voyant son corps se couvrir de glace à vitesse grand V et souffrant de plus en plus. Accrochés, arc-boutés à quelques minces espoirs, chaman ou médecin, pour aider Kira, ils couvrent la phénoménale distance aussi vite que possible. Aussi vite que ne leur permettent tous ces obstacles inattendus...
Un des thèmes de ce roman, qui émerge petit à petit, c'est l'opposition entre la tradition et la modernité. La tradition, c'est le chaman qui l'incarne, ne voyant pas autre chose qu'une malédiction dans les soucis de Kira ; face à lui, Anastasia, qui possède un certain savoir médical, fruit d'études qu'elle se verrait bien reprendre.
Si Yuri et Kira sont de purs produits de leur communauté, n'ayant connu que les villages d'éleveurs de rennes, les transhumances et les interminables hivers, Anastasia, elle, a une autre expérience, celle de la ville, du monde moderne, avec, là encore, ses sirènes, la fascination que cela peut provoquer. Mais surtout, un mode de vie très différent de celui de sa famille et de ses amis.
Le mince espoir qui demeure, c'est la science, face à l'impuissance et à la mauvaise volonté du chaman. Pour autant, il ne s'agit pas forcément pour l'auteure de rejeter ces cultures ancestrales pour privilégier la modernité. Yuri lui-même n'y voit qu'un dernier recours, ne rejetant pas ses racines mais espérant bien, si le sort le permet, revenir avec Kira en pleine santé, pour clouer le bec de ceux qui les ont bannis.
Mais, d'autres thèmes se détachent des "Loups chantants", dont certains qui étaient déjà au coeur, sous des aspects différents, du "Roi des Fauves". Par exemple, on retrouve la question de la métamorphose. Si, pour les berserkirs, c'était une condamnation, une malédiction irréversible, pour les loups qui chantent aux oreilles de Yuri, c'est tout autre chose.
La citation en titre de ce billet, phrase que prononce Yuri à un moment critique de son aventure, résume très bien cela. Le pouvoir d'attraction, de plus en plus fort, qu'exerce la meute sur Yuri. Persuadé que c'est Asya, sa défunte amie, qui la mène après s'être réincarnée, il envisage de plus en plus de franchir le pas, de la rejoindre, de goûter à la plénitude qui se dégage de leur chant.
A ce point, se pose tout de même la question : Yuri, fou de douleur, ne déraille-t-il pas ? Rêve-t-il (dimension onirique qui tient par moments bien plus du cauchemar, d'ailleurs), cherche-t-il dans cette espèce d'hallucination un moyen d'atténuer la douleur causée par la perte de celle qu'il aimait ou bien est-il vraiment "contacté" par ces loups ? A chacun son idée à ce sujet, évidemment...
Au rayon métamorphose, on a aussi celle de Kira, cette transformation en statue de glace, douloureuse, affreuse et, dans le même temps, assez fascinante par l'espèce de beauté malsaine qu'on ressent devant cette carapace de glace qui s'étend, avec une terrible rapidité, à tous son corps. Avec des effets secondaires qui brisent le coeur et l'âme...
Je referme cette parenthèse pour revenir à un autre sujet présent dans les deux romans d'Aurélie Wellenstein que j'ai évoqués dans ce billet, corollaire de la question de la métamorphose : la dualité humanité/animalité. Dans "le Roi des Fauves", c'était un combat terrible entre ces deux entités. Ici, c'est un peu différent.
Il y a quelque chose d'insidieux, dans le chant des loups, il entre dans le cerveau du jeune homme, affaibli par sa douleur, le grignote, instillant en lui l'idée que quitter son humanité pour rejoindre le camp de l'animalité serait le meilleur moyen de retrouver son bonheur perdu. Et l'on revient à l'ambiguïté de ces loups, au fait qu'ils peuvent aussi bien représenter une menace qu'un soutien.
Le loup... Un animal dont on parle beaucoup, ces derniers temps. En bien, en mal, les camps sont très tranchés... Dans "les Loups chantants", il se dégage d'eux une vrai noblesse, une sombre puissance, une certaine violence (reste à savoir quand et comment elle éclatera) et une aura fascinante, une indéniable séduction...
A ces loups, on peut, non, on doit ajouter les chiens qui propulsent les traîneaux de Yuri et Anastasia, avec en particulier Orion, le chef de meute. Le roman est dédié à Haplo, le chien d'Aurélie Wellenstein, et la relation entre Yuri et Orion est certainement l'hommage que la romancière rend à son compagnon à quatre pattes. Elle est fusionnelle et bouleversante, mue par une confiance réciproque sans aucune borne.
Reste un dernier thème à aborder : le deuil. Pour moi, c'est le thème central des "Loups chantants", voilà pourquoi je l'ai gardé pour la fin. J'ai lu des avis très contrastés sur ce roman, mais, qu'ils soient bons ou pas, je ne me souviens pas avoir lu le mot deuil dans ces commentaires. Mais comment peut-on faire l'impasse sur cette dimension essentielle ?
Yuri est en profonde dépression depuis la disparition d'Asya. L'annonce de la maladie de Kira et son bannissement finissent par le pousser au désespoir, au point de se lancer dans ce voyage qui semble impossible, mais qui est la seule voie de survie... Une raison de vivre, voilà ce que lui offre ce trajet, alors qu'on le sent très ébranlé, au bord de commettre l'irréparable.
C'est ma vision de cette relation qu'il entretient avec les loups. La vie lui est difficile, insupportable, même. Jamais le mot suicide n'est employé, mais je n'ai pu m'empêcher de voir cette idée poindre derrière l'étrange relation qu'il entretient au loup et l'idée que sa métamorphose, comme celle, supposée, d'Asya, serait un moyen de rompre avec ce mal-être insondable.
Que va trouver Yuri au bout de sa quête ? Aura-t-il des réponses satisfaisantes à ses questionnements, des baumes pour atténuer ses douleurs ou cédera-t-il aux sirènes lupines, à l'attraction de l'animalité bienfaitrice, à l'abandon ? C'est tout l'enjeu de cette histoire, sombre, douloureuse, troublante, oppressante... En tout cas, moi j'ai marché.
J'ai retrouvé la noirceur du "Roi des Fauves", avec un final un poil plus lumineux, et c'est décidément une des grandes qualités du travail d'Aurélie Wellenstein. Elle semble aussi s'inscrire dans une tendance actuelle à voir des romans jeunesse être sujets aux idées noires, très noires. Et, dans ce domaine, Aurélie Wellenstein trace son sillon. Et, comme après "le Roi des Fauves", j'attends avec envie son prochain livre...
Yuri vit avec sa soeur, Kira, dans un village d'éleveurs de rennes, quelque part dans le grand nord sibérien. Mais, depuis un an, le jeune homme peine à se remettre d'un douloureux deuil : Asya, la jeune fille dont il était profondément amoureux, est morte, dévorée par une meute de loups après s'être perdue dans le blizzard.
Mais, Yuri n'accepte pas cette idée, il est persuadé d'entendre les loups lui parler régulièrement, lorsqu'ils s'approchent du camp. Et surtout, il croit que Asya n'est pas morte mais qu'elle a rejoint la meute, qu'elle est devenue elle-même un loup. Une manière de refuser ce décès, mais aussi, une espèce d'idéal qui a germé dans l'esprit de l'adolescent.
Le loup, animal sauvage, hantise des éleveurs, est, pour Yuri, un animal fascinant, envoûtant, dont il ressent l'appel, tel Ulysse et son équipage le chant des sirènes. Oui, ces loups chantent et leur chant est enjôleur pour ce jeune homme qui a perdu, avec la disparition d'Asya, une raison de vivre. Un état d'esprit qui le rend plus sensible encore au charme des Loups chantants...
C'est une autre terrible nouvelle qui va frapper Yuri et le sortir de ses états d'âme. Sa jeune soeur, Kira, est malade. Pas une maladie ordinaire : la voilà frapper par un mal qui couvre petit à petit son corps de plaques de glace. A terme, elle risque de se transformer en statue de glace si l'on ne fait rien, de manière urgente.
Mais, le chaman de leur communauté est sans pitié : pour lui, ce qui frappe Kira n'est pas une maladie, mais une malédiction. C'est l'hiver, et son incarnation divine, Korochun, qui a jeté son dévolu sur l'adolescente. Par conséquent, il n'y a rien à faire, Kira fait même courir un grand danger à tous les siens. Voilà pourquoi le chaman décide de la bannir, purement et simplement.
Choqué, Yuri prend la défense de sa soeur, en vain. Conseillé par Anastasia, une de ses amies qui a fait des études d'infirmière, le garçon décide alors de prendre le mors aux dents : malgré le blizzard épouvantable qui ne faiblit pas, bien au contraire, il décide de conduire Kira jusqu'en ville pour qu'elle soit prise en charge par les meilleurs médecins possibles.
Avec son traîneau et son équipage de chiens dévoués à leur maître, il se lance dans cette course contre-la-montre, sans craindre le danger, puisque, de toute façon, tout semble perdu. Avec le renfort inattendu d'Anastasia, il entame une incroyable odyssée dans le froid et la neige, éléments déchaînés qui ne seront pas les seuls dangers que les trois adolescents devront braver, loin de là...
J'ai déjà évoqué la mythologie grecque, avec le souvenir des sirènes cherchant à charmer Ulysse et son équipage, mais le mot odyssée me semble parfait pour qualifier ce voyage qui est évidemment le coeur du roman. Couvrez-vous, l'hiver et ses sbires sont impitoyables et les pièges qu'ils tendent à Kira, Anastasia et Yuri sont tout à fait redoutables.
C'est d'ailleurs là qu'on retrouve les scènes que je qualifiais d'horrifiques dans mon introduction. A la prochaine tempête de neige, même en pleine ville, je regarderai à deux fois où je pose les pieds ! Je me suis même demandé si Yuri, Kira et Anastasia n'allaient pas finir par tomber sur les animaux de buis de l'hôtel Overlook (désolé, pas pu m'empêcher ce clin d'oeil à Stephen King...).
J'ai apprécié ce climat, cette relative lenteur (et pour cause, les conditions ne sont pas idéales pour avancer toutes voiles dehors), le côté sombre accru par la nuit qui n'en finit pas, j'ai ressenti ce froid et ces présences menaçantes, que ce soit l'hiver et ses avatars ou ces loups, qui semblent suivre le convoi, et dont on ne sait pas s'ils sont un danger ou une aide possible...
Poussés par le désespoir, les trois adolescents font preuve d'un courage exemplaire dans ces conditions terribles, luttant contre le temps (celui qui passe comme celui qui se dégrade continuellement) et se méfiant de chaque rencontre. Comme si leur oppressante solitude, dans cette immensité glaciale et hostile, était finalement leur meilleure protection.
Unis par une indéfectible amitié, ils se dépassent, particulièrement Yuri et Anastasia, Kira voyant son corps se couvrir de glace à vitesse grand V et souffrant de plus en plus. Accrochés, arc-boutés à quelques minces espoirs, chaman ou médecin, pour aider Kira, ils couvrent la phénoménale distance aussi vite que possible. Aussi vite que ne leur permettent tous ces obstacles inattendus...
Un des thèmes de ce roman, qui émerge petit à petit, c'est l'opposition entre la tradition et la modernité. La tradition, c'est le chaman qui l'incarne, ne voyant pas autre chose qu'une malédiction dans les soucis de Kira ; face à lui, Anastasia, qui possède un certain savoir médical, fruit d'études qu'elle se verrait bien reprendre.
Si Yuri et Kira sont de purs produits de leur communauté, n'ayant connu que les villages d'éleveurs de rennes, les transhumances et les interminables hivers, Anastasia, elle, a une autre expérience, celle de la ville, du monde moderne, avec, là encore, ses sirènes, la fascination que cela peut provoquer. Mais surtout, un mode de vie très différent de celui de sa famille et de ses amis.
Le mince espoir qui demeure, c'est la science, face à l'impuissance et à la mauvaise volonté du chaman. Pour autant, il ne s'agit pas forcément pour l'auteure de rejeter ces cultures ancestrales pour privilégier la modernité. Yuri lui-même n'y voit qu'un dernier recours, ne rejetant pas ses racines mais espérant bien, si le sort le permet, revenir avec Kira en pleine santé, pour clouer le bec de ceux qui les ont bannis.
Mais, d'autres thèmes se détachent des "Loups chantants", dont certains qui étaient déjà au coeur, sous des aspects différents, du "Roi des Fauves". Par exemple, on retrouve la question de la métamorphose. Si, pour les berserkirs, c'était une condamnation, une malédiction irréversible, pour les loups qui chantent aux oreilles de Yuri, c'est tout autre chose.
La citation en titre de ce billet, phrase que prononce Yuri à un moment critique de son aventure, résume très bien cela. Le pouvoir d'attraction, de plus en plus fort, qu'exerce la meute sur Yuri. Persuadé que c'est Asya, sa défunte amie, qui la mène après s'être réincarnée, il envisage de plus en plus de franchir le pas, de la rejoindre, de goûter à la plénitude qui se dégage de leur chant.
A ce point, se pose tout de même la question : Yuri, fou de douleur, ne déraille-t-il pas ? Rêve-t-il (dimension onirique qui tient par moments bien plus du cauchemar, d'ailleurs), cherche-t-il dans cette espèce d'hallucination un moyen d'atténuer la douleur causée par la perte de celle qu'il aimait ou bien est-il vraiment "contacté" par ces loups ? A chacun son idée à ce sujet, évidemment...
Au rayon métamorphose, on a aussi celle de Kira, cette transformation en statue de glace, douloureuse, affreuse et, dans le même temps, assez fascinante par l'espèce de beauté malsaine qu'on ressent devant cette carapace de glace qui s'étend, avec une terrible rapidité, à tous son corps. Avec des effets secondaires qui brisent le coeur et l'âme...
Je referme cette parenthèse pour revenir à un autre sujet présent dans les deux romans d'Aurélie Wellenstein que j'ai évoqués dans ce billet, corollaire de la question de la métamorphose : la dualité humanité/animalité. Dans "le Roi des Fauves", c'était un combat terrible entre ces deux entités. Ici, c'est un peu différent.
Il y a quelque chose d'insidieux, dans le chant des loups, il entre dans le cerveau du jeune homme, affaibli par sa douleur, le grignote, instillant en lui l'idée que quitter son humanité pour rejoindre le camp de l'animalité serait le meilleur moyen de retrouver son bonheur perdu. Et l'on revient à l'ambiguïté de ces loups, au fait qu'ils peuvent aussi bien représenter une menace qu'un soutien.
Le loup... Un animal dont on parle beaucoup, ces derniers temps. En bien, en mal, les camps sont très tranchés... Dans "les Loups chantants", il se dégage d'eux une vrai noblesse, une sombre puissance, une certaine violence (reste à savoir quand et comment elle éclatera) et une aura fascinante, une indéniable séduction...
A ces loups, on peut, non, on doit ajouter les chiens qui propulsent les traîneaux de Yuri et Anastasia, avec en particulier Orion, le chef de meute. Le roman est dédié à Haplo, le chien d'Aurélie Wellenstein, et la relation entre Yuri et Orion est certainement l'hommage que la romancière rend à son compagnon à quatre pattes. Elle est fusionnelle et bouleversante, mue par une confiance réciproque sans aucune borne.
Reste un dernier thème à aborder : le deuil. Pour moi, c'est le thème central des "Loups chantants", voilà pourquoi je l'ai gardé pour la fin. J'ai lu des avis très contrastés sur ce roman, mais, qu'ils soient bons ou pas, je ne me souviens pas avoir lu le mot deuil dans ces commentaires. Mais comment peut-on faire l'impasse sur cette dimension essentielle ?
Yuri est en profonde dépression depuis la disparition d'Asya. L'annonce de la maladie de Kira et son bannissement finissent par le pousser au désespoir, au point de se lancer dans ce voyage qui semble impossible, mais qui est la seule voie de survie... Une raison de vivre, voilà ce que lui offre ce trajet, alors qu'on le sent très ébranlé, au bord de commettre l'irréparable.
C'est ma vision de cette relation qu'il entretient avec les loups. La vie lui est difficile, insupportable, même. Jamais le mot suicide n'est employé, mais je n'ai pu m'empêcher de voir cette idée poindre derrière l'étrange relation qu'il entretient au loup et l'idée que sa métamorphose, comme celle, supposée, d'Asya, serait un moyen de rompre avec ce mal-être insondable.
Que va trouver Yuri au bout de sa quête ? Aura-t-il des réponses satisfaisantes à ses questionnements, des baumes pour atténuer ses douleurs ou cédera-t-il aux sirènes lupines, à l'attraction de l'animalité bienfaitrice, à l'abandon ? C'est tout l'enjeu de cette histoire, sombre, douloureuse, troublante, oppressante... En tout cas, moi j'ai marché.
J'ai retrouvé la noirceur du "Roi des Fauves", avec un final un poil plus lumineux, et c'est décidément une des grandes qualités du travail d'Aurélie Wellenstein. Elle semble aussi s'inscrire dans une tendance actuelle à voir des romans jeunesse être sujets aux idées noires, très noires. Et, dans ce domaine, Aurélie Wellenstein trace son sillon. Et, comme après "le Roi des Fauves", j'attends avec envie son prochain livre...