Maria Kilbride, ainsi que quatre autre génies de sa trempe, furent appelés à faire partie de l'unité des contaminations culturelles croisées. Leur mission était des plus simple, anticiper la prochaine grande révolution de l'humanité, qui dopée par les progrès constants de la science, sera appelée à une véritable mue épocale. Chacun de ces génies a été choisi pour un secteur de compétence bien particulier, afin de couvrir tous les domaines importants du savoir possible. Retour au présent ; la situation est dramatique. Maria est internée dans une structure psychiatrique, et une mystérieuse entité non humaine a accédé à la conscience, pour briser les certitudes de l"humanité, et rendre tangible tout ce qui appartenait au domaine de la chimère et de l'improbable. Technologie futuriste ou simple folklore populaire, tout est possible. Mais qu'est donc vraiment cette Injection, qui est (vous l'aurez deviné) le fruit des cerveaux débridés de Maria et de ses collègues? Voilà, vous avez compris l'essentiel de la trame de cette histoire, qui part ensuite dans tous les sens et refuse avec persistance de suivre un cheminement classique, pour apparaître éclatée, destructurée, à première vue, c'est à dire en fait exiger une lecture patiente et approfondie, en réalité. Le récit fonctionne sur plusieurs niveaux avec deux veines temporelles qui se croisent, tandis que les révélations sont régulièrement dosées, avec leur lot de coups de théâtre qui ouvrent de nouvelles portes dans un grand ensemble qu'on devine foisonnant. Tous les personnages ont leur importance dans Injection, et chacun semble se mouvoir comme le pion d'un échiquier, partie individuelle et décisive d'un grand tout qui ne se laisse guère entrevoir. Warren Ellis réussit le tour de force de passer d'un lieu à l'autre, d'un personnage à l'autre, d'une ligne temporelle à la suivante, sans jamais se perdre, et en gardant le cap et une direction voulue.
Une des raisons de tenter l'aventure avec Injection, c'est aussi parce que les dessins sont confiés à l'irlandais Declan Shalvey, qui est en train de devenir une petite référence, ces dernières années. Déjà fort appréciés sur le Moon Knight de Ellis justement, le revoici avec un trait dur et dynamique, jamais surchargé, inventif à souhait dans la manière de construire son storytelling. Les couleurs de Jordie Bellaire s'accordent parfaitement avec l'inventivité de Shalvey, qui sert le coté visionnaire du scénariste, et ses idées complètement folles, appliquées à un monde nouveau.
Reste que c'est tellement dingue et spasmodique, par endroits, que tout le monde ne va pas adhérer d'emblée. Ellis est comme toujours en quête de sens, partant des bonnes intentions de scientifiques et autres gros esprits, pour mettre une fois encore le monde devant le fait accompli, et en observer le possible crépuscule, sans dévoiler d'entrée la manière dont il passera à la trappe. Injection est dense, solide, intelligent, et n'est pas à recommander pour une lecture entre deux gares, ou aux toilettes après un chili trop épicé. Vous êtes prévenus, l'accessibilité se mérite, et il faudra faire l'effort. La récompense en vaut la chandelle. Surtout à dix euros.
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