Le 13 janvier dernier avait lieu une rencontre à la librairie L’Odeur du Temps de Marseille, où Émilie Hache parlait de l’ouvrage qu’elle a dirigé : Reclaim : Recueil de textes écoféministes aux éditions Cambourakis, dans la collection « Sorcières ». Cet éditeur et cette collection en particulier me faisaient de l’œil depuis un moment et j’avais en plus vu passé l’ouvrage dont il était question ; bref, je n’avais aucune raison de rater cette rencontre. Comme c’était très intéressant, je vous partage un humble petit compte rendu, agrémenté de liens vers d’autres ouvrages, des articles Wikipédia ou d’autres sites plus précis quand je connais.
Émilie Hache est maîtresse de conférence en philosophie à Nanterre et elle centre ses recherches sur l’écologie, tout en abordant le féminisme comme on peut le voir dans Reclaim et un autre ouvrage qu’elle a préfacé : Rêver l’obscur – Femmes, magie et politique de Starhawk. Pour revenir à Reclaim, ce dernier recueille des textes de poésie, fiction, science-fiction et non-fiction, mais tous écrits par des femmes membres du mouvement écoféministe qui s’est déroulé dans les années 1970-1980 aux États-Unis. Ce corpus n’est quasiment pas traduit malgré son importance et Émilie Hache a souhaité le rendre disponible en français, en partie pour « réparer » l’introduction de ce mouvement en France dans les années 1990-2000, qui a été accompagnée de beaucoup de malentendus. Émilie Hache insiste sur le fait que l’anthologie ne contient que des textes écrits par des femmes impliquées dans le mouvement et qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage académique.
L’écoféminisme n’était pas seulement une philosophie, une théorie, il s’agissait d’un mouvement, d’une mobilisation très concrète qui s’est faite dans le contexte de la guerre froide. L’un des déclencheurs fut l’accident nucléaire de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis, qui a poussé des femmes à se rassembler autour de deux thématiques : la double dévalorisation de la nature et des femmes. Ce mouvement a duré jusqu’à la fin de la guerre froide et était le plus gros mouvement anti-nucléaire états-uniens, bien qu’il soit quasi inconnu en France, il comptait environ 10 000 personnes.
Ces mobilisations consistaient principalement en des blocages, de la recherche, des occupations de sites nucléaires qui pouvaient durer quelques heures, jours, mois, voire 20 ans pour le site de Greenham Common en Angleterre. Quel coïncidence, vous pouvez également trouver un livre sur le sujet dans la collection « Sorcières » : Des femmes contre des missiles écrit par Alice Cook et Gwyn Kirk, deux membres du mouvement de Greenham Common. Pour revenir à l’écoféminisme, il représentait divers milieux et a été à l’origine de beaucoup d’écrits.
Pour les écoféministes, l’articulation des deux problématiques, l’oppression de la nature et des femmes, est logique puisque c’est une même culture qui détruit l’environnement et impose un rapport d’oppression envers les femmes. Il est intéressant de voir la façon que ces femmes avaient d’aborder le sujet. Elles parlent notamment de la féminisation de la nature qui s’opère en parallèle d’un rapprochement des femmes à la nature (par leurs sentiments, leur sensibilité, ce que l’on retrouve dans le féminisme essentialiste). Les écoféministes se réapproprient ces concepts et les traits de caractère qu’on attribue aux femmes, comme l’émotivité et la sensibilité, d’où le titre de l’anthologie : Reclaim (qui signifie récupérer, reprendre possession de). Il s’agit de se réapproprier ce qui a été abîmé, un terme qu’on retrouvait déjà en écologie, pour parler d’un terrain en friche. Dans ce mouvement, il n’est pas question de rejeter en bloc les notions d’émotion et de sentiments.
L’écoféminisme fut très critique par certains écologistes, féministes et par le monde académique. Ce qui leur était reproché venait premièrement d’une mauvaise compréhension de cette idée de réappropriation de la nature, qui était vue comme une défense de l’essentialisme, et donc critiqué. Il est important de reprendre les textes et les éléments dans leur contexte, ce qui peut être difficile à entendre. Ensuite, il y avait une dimension spirituelle au mouvement, qui influençait même les pratiques politiques des participantes. Aux États-Unis, religion n’a jamais été en opposition avec des formes de libération. L’écoféminisme succède au mouvement New Age qui a servi notamment à repenser les religions. Certaines femmes avaient étudié la religion d’un point de vue féministe et avaient reconnu le patriarcat des monothéismes, sans pour autant rejeter ces derniers. Une fois encore, l’idée était de se réapproprier ces concepts, avec la théalogie (une théologie féministe). À cette époque, on observe également la montée de la Wicca et d’un néo-paganisme qui implique un rapport sacré au monde et à la nature.
Cela passe d’ailleurs par la réappropriation de la sorcière comme figure politique, reprise par différents mouvement mais également par les écoféministes, qui sont les premières à s’intéresser aux sorcières en tant que victimes de crimes concomitants avec l’arrivée du capitalisme. Les sorcières aussi avaient un rapport intime avec la nature. Enfin, Émilie Hache a très rapidement parlé d’une autre reproche fait à l’écoféminisme : le fait que ce soit un mouvement majoritairement blanc. J’aurai aimé en savoir plus sur le sujet, même si j’en déduis que le mouvement devait aussi être majoritairement cisgenre et hétéro – j’ai pourtant essayé de la poser cette question (bizarrement, c’est un homme qui a monopolisé la parole pour poser des questions hors sujets, donc j’ai le droit de me plaindre).
Pour conclure, Émilie Hache rappelle que le mouvement de l’écoféminisme consistait principalement à se reconnecter à soi-même dans une idée d’empowerment (qui se traduit apparemment par empouvoirement mais ma source principale sur le sujet c’est Madmoizelle, donc à vérifier, même si leur raisonnement est intéressant !).
En tous cas, ça m’a donné une envie folle d’en savoir plus, donc j’ai acheté l’anthologie. Si ça vous intéresse aussi, je ne peux que vous conseiller de filer chez votre libraire. Et je chroniquerai certainement Reclaim, quand je le lirai. Bientôt. J’espère.
Pour en savoir plus :
- Émilie Massemin, « Emilie Hache : “Pour les écoféministes, destruction de la nature et oppression des femmes sont liées” ». Reporterre, 18 octobre 2016.
- Laurence Harang, « Émilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique ». Lectures, 5 février 2011.
- Gérald Hess, « Une autre écologie ? À propos de : Émilie Hache (dir.), Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux, Amsterdam ». La vie des idées, 21 juin 2013.
Achats et cadeaux du weekend, assez variés mais ça reste des #comics et du #féminisme (la base finalement) ! #ecofeminism #ihatefairyland #lockeandkey
A photo posted by Des livres et les mots (@deslivresetlesmots) on Jan 17, 2017 at 4:16am PST
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