Samedi matin. Il est déjà 9 h 15. Tu es assis sur la dernière marche du hall depuis maintenant une heure. Une valise débordante de bonheur à tes pieds. Tu regardes l’heure. Impatient, tu soupires. Tu espères qu’il n’a pas oublié, qu’il sera là, bras ouverts, avec un superbe sourire. Au téléphone, il y a trois jours, il te promettait mers et mondes, une journée inoubliable. Des promesses engendrent des attentes. Une liste exhaustive de sentiments contradictoires t’envahit. Tu regardes l’heure sur la pendule pour au moins la vingtième fois. Le temps semble s’être arrêté. Tu sanglotes, elle désespère ! Vous gémissez, vous êtes agacés, ta mère et toi. Celle-ci pose régulièrement sa main droite à son front. Elle semble soudainement découragée, elle est moins réceptive à tes incessantes demandes. Vous soupirez de nouveau, même ta perruche blanche semble fébrile, elle ne crie pas à tue-tête comme elle le fait habituellement chaque matin. Dans la cuisine règne une tension.
Tu pioches dans ton assiette au dîner. L’après-midi passe. Suzie, ton petit perroquet, s’ébroue montrant le bleue ardent de ses sous-plumes. Tu descends au sous-sol, une descente directe aux enfers. Tu lances ta petite valise sur ton lit. Elle était si pleine qu’elle s’éventre, laissant s’éteindre toute ta hâte, ton amour, tes baisers et tes dessins qui étaient dédiés à cet homme, celui qui n’est pas là et qui, selon ta mère, ne viendra pas ! Tu es déçu, elle est frustrée, vous êtes trahis. Ton cœur se serre. Il saute un tour.
L’apocalypse arrive en même temps que la pénombre. Il est l’heure de dormir, mais ton cœur sprinte, galope et fend l’air comme un cheval sauvage toute la nuit. Compter les moutons est une torture, tout ton corps est en alerte, ta penderie est entr’ouverte et il s’y tapit quelque chose, un être affreux ; tu espères que le monstre qui l’habite dévorera ta peine, ta honte. Tu t’affoles, tu prends ta couverture comme bouclier et tu y plonges la tête, espérant que le jour arrive enfin ! Tu t’agites, il ne t’aime pas ; elle perd confiance en lui et elle ne dort pas non plus. Vous appréhendez l’avenir et vous craignez le pire.
Tu t’éveilles dix ans plus tard, ton ourson toujours prisonnier de tes bras acérés. Tu n’es toujours pas délivré, libéré de cette créature qui empoigne ton cœur avec une telle force. Tu n’es pas un adulte en paix, ni avec celui qui se disait ton père, ni avec toi-même. Tu es resté fragile, tu as pourtant pardonné, tu lui as renvoyé amèrement son manque d’amour, tu sais que ce n’était pas de ta faute ; elle a toujours su, je le sais, nous le savons que trop, et vous le voyez bien ! Mais pourquoi ce tourment continue, pourquoi tu t’affliges encore cette virée infernale. ? Pourquoi cette bête t’observe encore de ta (foutue) armoire ! Tu aimerais être en paix, elle aimerait être en accord avec la situation, vous aimeriez désintégrer cette horreur, vous aimeriez pouvoir l’emprisonner, le dénoncer, et même l’attraper, ce criminel, ce tueur en série, ce maniaque qui te harcèle depuis ton enfance, pour enfin t’endormir avec quiétude.
Tu rêves de faire exploser cette garde-robe ; il rêve de toi et de tout ce qu’il a manqué ; elle t’aime plus que tout et s’est épuisée à jouer deux rôles éprouvants. Vous avez travaillé très fort à la reconstruction de cette confiance et à la réparation de cette blessure profonde, et vous faites face, vous aussi, au démon de votre placard, ce malin qui conjugue votre vie à sa guise. Tu n’as qu’une seule envie, te laisser de nouveau consoler, rassurer cette enfant qui dort encore en toi. Il a un nom cette hyène enragée qui vous ronge. Vous avez bien dit « Anxiété », ce désastre contemporain.
Notice biographique
Karine St-Gelais est une écrivante qui promet. Nous aimons ses textes pleins de fraîcheur
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