Pour toutes ces fois où nous avons préféré tourner le monde en dérision, en nous pensant bien de l’humour et de l’esprit ; alors que nous ne supportions pas l’idée qu’il puisse tourner sans nous. Pour toutes ces fêtes que nous avons refusé de célébrer parce que le calendrier nous disait qu’il était l’heure de faire la fête ; pour tout ce bonheur fragile que nous ne nous sommes pas souhaité, pour tous ces petits cœurs que nous n’avons pas gravés sur un banc et pour tous ces bancs où ne nous sommes pas bécotés, pour tous ces costumes loufoques que nous n’avons pas enfilés et pour tous ces poissons que nous ne nous sommes pas collés dans le dos, pour toutes ces crêpes ces beignets et ces chocolats dont nous ne nous sommes pas empiffrés ; pour toutes ces soirées que nous n’avons pas arrosées, pour toutes ces bouteilles que nous n’avons pas débouchées et pour cette gueule de bois que nous nous tapons malgré tout ce matin, pour tous ces cadeaux que nous ne nous sommes pas faits, pour toutes ces bougies que nous n’avons pas soufflées et pour tout ce que nous avons quand même sacrément vieilli. Pour tout ce temps perdu sur notre petit balcon à regarder le monde tourner et la vie passer, dans une chaise à bascule, une couverture sur les genoux en buvant du café froid. Pour toutes ces fois où nous avons préféré ne plus donner à la vie d’occasions de nous décevoir ; mais que nous nous sommes privés de tout ce qu’elle aurait bien aimé nous surprendre.
Pour toutes ces fois où nous avons préféré cracher dans la soupe, plutôt que de l’avaler à bonnes lampées et à grand bruit pour réchauffer notre cœur que notre manie d’ironiser a changé en glaçon ; pour tous ces feux intérieurs que nous avons éteints de peur qu’ils ne le fassent fondre. Pour toute cette arrogance dont nous nous sommes gonflés en nous pensant plus vivants que la vie elle-même ; alors que nous ne faisions que crever gentiment dans notre petit coin si bien agencé où chaque chose est à sa place où chaque place a son défunt, et qu’aucun d’eux n’en bouge plus. Pour toute cette fatigue qui nous colle aux pattes ce matin sans que nous ne sachions d’où elle vient, les yeux collés à nos écrans. À ne prendre des nouvelles de la mort de l’amour de la vie qu’à travers les journaux télévisés et les réseaux sociaux, plutôt que de prendre notre téléphone, nos baskets ou un avion pour voir comme le monde ne ressemble en rien à ce qu’on nous a dit de lui et comme il tourne bien moins en rond que nous. Pour cet âge d’or que nous pleurons à mesure que notre capacité d’oublier le rend beau, et pour ces lunettes noires que nous chaussons en descendant chercher le pain de peur que le soleil ou un regard nous éblouisse assez pour nous faire perdre notre humour et notre esprit, pour nous faire cesser de tourner le monde en dérision, de le laisser tourner tout seul comme un grand et notre cœur battre un peu trop fort comme un con qui se fout bien d’avoir mal.
Pour toutes ces fois où je préfère étouffer dans mes silences alors que je crève d’envie de te dire des mots, n’importe lesquels, te parler de tout et du reste de mes larmes et de mes éclats de rire, mais surtout de ta foutue manière d’être en vie et de m’émouvoir ainsi. Pour toutes les occasions que je manque de te surprendre à chaque fois que j’ai peur de te décevoir ; pour toutes tes côtes, mes silences et nos railleries que ton cœur ne brisera jamais en pensant un peu trop à moi.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.