Dès le titre, nous savons déjà ce que nous allons avoir le plaisir de lire : bouclez vos valises et prenez la direction du pays des merveilles, celui des contes et des fables, où habituellement le prince charmant vient silencieusement réveiller la princesse, d'un baiser délicat, et où des êtres féeriques peuplent des paysages tout aussi merveilleux. La petite Gertrude se retrouve précipitée dans cet univers malgré elle. Son arrivée n'est pas un songe enfantin, mais consécutif à une longue chute, au terme de laquelle elle s'écrase littéralement au sol. L'occasion de noter d'emblée que Skottie Young joue la carte de la provocation, de l'ironie, de l'humour trash, et qu'il va pervertir tous les codes connus et recensés, qui se rattachent habituellement au genre. La gamine est accueillie par les souverains du royaume, qui lui expliquent comment retrouver le chemin de la Terre, accessible grâce à une clé. Sauf que cette quête sera beaucoup plus difficile qu'en apparence, au point que 27 ans plus tard, Gertrude en est toujours là, à tourner dans ce monde fabuleux, qu'elle a fini par exécrer totalement. Accompagnée d'une sorte de conscience parodiant Jiminy Cricket (version répugnante), elle a fini par développer une aversion totale, bloquée dans le corps d'une fillette, alors qu'au fond d'elle-même elle est désormais une adulte aigrie. Ce sera donc la guerre ouverte! Dangereusement armée et complètement malsaine, elle explose la Lune et les étoiles, et dévore même ses adversaires, dans un accès de cannibalisme vengeur. Décidément, nous sommes loin d'être chez Lewis Carroll... plus dure a été la chute, et plus dure est la terrible réalité de la féerie. L'hémoglobine coule à flots, et la méchanceté est présente sur chacune des pages. Avec Skotty Young, nous avons l'impression de lire un vaste défouloir, un cartoon psychopathe.
Finalement la quête de Gertrude devient plus palpitante et urgente lorsqu'une autre gamine débarque au pays des merveilles. Une ruse éhontée, qui devrait permettre l'ouverture du passage vers notre monde, programmé pour ne laisser filtrer qu'une seule petite fille, et rien d'autre, et avoir une conséquence fâcheuse, laisser Gertrude en rade à la merci de la reine locale. Tant qu'elle est invitée, celle-ci ne peut rien faire, mais si sa concurrente rentre sur Terre avant elle, voilà que Gertrude perdrait sa protection... La petite héroïne de cet album a tout du Joker, dans son attitude, dans sa folie latente, dans le choix de la couleur verte pour les cheveux. En plus, elle a cette touche désabusée, de qui tourne en bourrique depuis longtemps, et se retrouve piégé dans un univers absurde, où tout le monde s'exprime par énigmes ou haiku. Inutile de le préciser, cette première oeuvre complète de Skottie Young rencontre un franc succès, et elle était attendue par pas mal de monde en France aussi. Toutefois, et même si le style a un coté rafraîchissant et déjanté en même temps, même si les couleurs de Jean-François Beaulieu fonctionnent à merveille dans cet environnement, même si les codes des contes sont pervertis à souhait et donnent des scénettes et des affrontements totalement dingues, I hate Fairyland aura du mal à trouver son public parmi les lecteurs au long cours, ceux qui préfèrent le super-héroïsme classique, et le scénario alambiqué et à tiroirs. Ici, la série de Skottie Young est avant tout récréative et jouissive, ce qui n'est finalement déjà pas si mal, non?
Rejoignez la page Facebook pour toute l'actu des comics
A lire aussi : Skottie Young et la mode des cover babies (2013)