[Chronique lecture n°22] Chanson douce
Edition/collection:Gallimard
Genre/sous-genre:Contemporain, Drame, Thriller
Thèmes abordés:Meurtre, confiance, relations humaines, hierarchie
Nombre de pages:
Résumé et mon avis:
Et elle les a tués. Mais pourquoi ? C'est cette question sans réponse qui m'a poussée à lire Chanson douce.
Dans ce roman de Leila Slimani, ce n'est pas un secret, ce n'est point un mystère : deux enfants vont mourir, tués par leur nourrice. On le sait dès le premier chapitre et pourtant on se surprend à être curieux, à vouloir en savoir toujours plus. Qu'était le quotidien de cette famille ? Qu'a-t-il bien pu se passer pour que Louise, cette nourrice irréprochable et si gentille commette un acte aussi horrible ? On découvre alors la vie de cette famille parisienne bourgeoise et bohème avant l'infanticide. Myriam, la mère, décide un jour de reprendre son travail dans un cabinet d'avocats. Il se pose ainsi un problème : qui va garder les enfants ? Le couple s'engage alors dans un casting pointu afin de trouver la nourrice parfaite, la perle rare qui sera digne de partager la garde et l'éducation de leurs enfants. Ils choisissent finalement Louise, une jeune femme à la fois fragile et forte semblant angélique et pleine de vertus. Louise est idéale, elle fait le ménage, la cuisine, garde les enfants, « elle excelle à devenir à la fois invisible et indispensable ». Bientôt, elle devient l'un des piliers de la famille si ce n'est le centre. Une relation malsaine s'installe entre elle et le couple. Une dépendance mutuelle s'installe. Peu à peu, cette dépendance va étouffer la famille et Louise va exploser. Sa perfection cache quelque chose de terrible : « Il faut se méfier des gens qui vous veulent trop de bien ». Vous verrez qu'il faut lire entre les lignes pour déceler le problème.
Le style simple, direct mais toutefois singulier de Leila Slimani ainsi que ses dialogues peu présents et son narrateur omniscient permettent au lecteur d'entrer dans le vif du sujet dès les premières lignes et de se laisser emporter par les mots. L'auteure nous conte d'une voix sobre et sans jugement l'implacable chronologie des événements qui ont abouti à ce qui est finalement le premier chapitre du roman, mais l'épilogue amer de l'histoire. Chanson douce est donc d'autant plus réussi qu'il ne juge pas. Il annonce les faits puis nous fait revivre la vie de Louise afin de voir ce qui a pu la pousser à tuer deux enfants. On ne lui cherche pas de circonstances atténuantes mais on ne l'enfonce pas non plus. Le regard de Leila Slimani sur ses personnages est objectif et c'est avec subtilité qu elle dépeint notre société.
En effet, l'histoire s'inscrit à merveille dans notre époque et offre une analyse pointue des différents modes de vie, des différentes conceptions de l'amour, de la famille, du travail et des priorités. Ce roman pousse donc à se poser des questions et à réfléchir. N'allons-nous pas parfois à l'encontre de nos propres principes ? On voit à travers Myriam et Paul un modèle de couple dit « bobo », « élevés dans la détestation de l'argent, du pouvoir et dans le respect un peu mièvre du plus petit que soi », ayant succombé à la tentation d'une vie sans contrainte où la carrière professionnelle prend le pas sur les relations intra-familiales. Après tout, pourquoi continuer d'éduquer ses enfants si quelqu'un d'autre peut le faire à votre place ? Ils en viennent à se reposer totalement sur cette « fée » qu'est Louise jusqu'à l'exploiter en ne jugeant pas utile de lui poser des limites…
Enfin, en dehors de l'aspect analytique et philosophique du livre, c'est un véritable moment de pur plaisir que l'on passe en découvrant avec délectation le personnage trouble et complexe de Louise, centre de ce roman empreint d'une mélancolie douce-amère.