Une femme au téléphone de Carole Fives aux éditions L’Arbalète Gallimard
Charlène à 63 ans (58, c’est mieux pour Meetic). Quand elle ne cherche pas l’âme sœur sur les réseaux sociaux, quand elle ne soigne pas son cancer, ou qu’ellen’est pas à l’hôpital psychiatrique pour sa bipolarité, elle passe son temps au téléphone avec sa fille.
Ce sont ses messages, ses conversations que Carole Fives nous livre. Seules ses paroles sont mentionnées, les réponses de sa fille ne sont jamais citées.
Dans ces monologues, Charlène parle de tout ce qui la tracasse, tout ce qui l’irrite, tout ce qui l’effraie, passe son temps à faire des reproches à ses enfants : ils ne sont pas assez présents, ne s’occupent pas assez d’elle, comptent trop sur elle. Tantôt elle voudrait les voir plus, leur parler plus, tantôt elle se fâche et ne veut plus avoir affaire à eux, pourtant elle revient toujours à la charge, envahissante, injuste, ridicule.
« Je te dérange ? Tu n’avais qu’à fermer ton téléphone. Moi je suis debout depuis six heures alors… Ça a réveillé tes amis ? Mais vous dormez tous ensemble dans cette maison de vacances ? C’est un vrai boui-boui ! Ah, je ne savais pas moi. Tu es impossible à joindre. Si tu le prends sur ce ton, je ne vous embêterai plus, j’ai compris. Je resterai dans mon coin, toute seule, sans nouvelles. Allez, amuse-toi bien, pense à moi un peu quand même. »
Une femme au téléphone est un court roman à la fois drôle et poignant. Il nous parle de solitude, de manque d’amour, de vieillissement. Charlène endosse plusieurs personnalités. Parfois mère tyrannique, parfois femme enfant, souvent irritante, mais tout autant attachante, elle a besoin de ces conversations, un besoin vital. Ces appels téléphoniques son de véritables journaux intimes, elle y déverse toutes ses émotions pour commencer une nouvelle page le lendemain.
Le fait de ne pas mentionner les réponses de la fille, nous implique encore plus dans le récit. Le lecteur s’identifie pleinement à l’interlocuteur de Charlène, devinant ses réponses, ses réactions, face au caractère excessif de sa mère.
« Et toi ? Ah bon ah bon, je suis bien contente pour toi. C’est encore un poète ? Comme je te connais, tu vas te lasser aussi vite que ça t’a pris, mais si c’est quelqu’un de bien, fais des efforts ma fille. Ne ris pas trop fort, sois posée, contrôle-toi. Pour nous qui te connaissons, ça ne nous fait plus rien, mais pour les gens qui ne sont pas habitués, c’est vraiment rédhibitoire. Je dis ça pour toi, je préférerais ne plus te savoir seule.Et puis surtout, ne dis pas de mal de ta mère, je te connais, tu crois faire ta maligne en dénigrant ta famille et puis après, quand les gens me voient, ils me trouvent plutôt sympa et c’est toi qui a l’air bête. »
Une femme au téléphone est un roman qui nous interroge sur notre relation à nos parents, sur celle que nous avons avec nos enfants. Un roman qui trouverait toute sa place sur une scène de théâtre tant ces conversations sonnent juste. Pour ma part en le lisant, je m’imaginais Charlène sous les traits de la regrettée Sylvie Jolie. Un livre à découvrir d’urgence.