L’entrée dans l’eau se fit comme une étreinte.
D’abord, de la timidité. Le corps nu et l’âme hésitante quant au plaisir à venir. L’eau est froide et chaque pore en frissonne.
La plage lui appartient, débarrassée des touristes par l’orage récent et la chute du soir. Quelques ombres furtives se laissent deviner, loin, bien loin, pareilles à des fantômes ignorés par le monde. Les vagues s’offrent placidement dans une écume douce, se prennent pour des caresses latentes dont l’unique proie est le corps d’Elettra.
Puis le corps tout entier se glisse dans le liquide, comme dans un vêtement qu’on aime par-dessus tout pour sa somptuosité et son confort immense.
La tête d’Elettra lentement se déleste de tout ce qui l’encombre en s’immergeant violemment sous les flots. La pudeur du début fait place à de l’ardeur et cette femme folle de se baigner ainsi s’adonne à un corps à corps inouï dont les souvenirs remontent à l’aube de l’humain. Son corps de femme à elle contre le corps du monde. Et les deux ne font qu’un.
Et les deux, là, se meuvent comme si la rotation de la terre en dépendait. La peau chaude de l’une s’ouvrant comme une bouche à des baisers salés que l’autre lui octroie.
Elle n’est que souplesse et tout son être s’active à ne faire que ça : tourbillonner avec la mer, se jeter dedans comme dans un grand vide, nager, flotter, plonger comme une dératée, une folle a-t-on dit, ou une enfant peut-être.
Les yeux voient trouble lorsqu’ils sortent de l’eau et les lumières, là-bas, les lueurs pourtant fixes des lampadaires sur le chemin de plage se prennent pour des étoiles qu’elle voudrait filantes.
Le ciel noir, la mer brillante et la plage mate se confondent, se mêlent et Elettra ne sait plus vraiment où elle peut se trouver. Quelque part au bord du monde. Quelque part dans son corps où toutes les sensations abolissent l’idée d’une mortalité.
Quelque part. Pas très loin de la grâce.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan. Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes. Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.