Il était une île… par Claude-Andrée L’Espérance

Par Chatquilouche @chatquilouche

Il était une île, à la nuit tombée tout entourée d’ombres, d’écueils, de hauts-fonds. Une île que personne n’osait approcher.

Au milieu de l’île, devant un écran, bleu comme ciel de lune, une forme humaine figée, immobile, semblait faire le guet. Un veilleur de nuit, une sentinelle ou quelque vestale d’une ancienne cité ? Mais qui était-il ? Mais qui était-elle ? J’aurais bien voulu pouvoir éclaircir ce troublant mystère. Regardant la mer, il me vint l’idée d’une traversée. Et à la faveur d’une nuit sans lune, transie par la peur, je me vis soudain m’approcher de l’île, passer les hauts-fonds, passer les écueils, prête à l’abordage. Et dans la nuit noire mettre pied à terre tout en trébuchant.

Je marchai longtemps, poussée par ma quête. Le regard rivé sur cet écran bleu brillant comme un phare au milieu de l’île. Je marchai longtemps… jusqu’à ce moment où le jour se charge de montrer crûment ce qu’on ne veut pas voir.

C’est ainsi qu’à l’aube je réalisai qu’au lieu des écueils, au lieu des hauts-fonds, des piles de déchets aux odeurs putrides, qui n’ont rien à voir avec l’air salin, semblaient me narguer. Au milieu de l’île où j’avais cru voir un veilleur de nuit, une sentinelle ou quelque vestale qui faisait le guet, je ne retrouvai qu’une statue de chair. Une énorme femme devant l’écran bleu où jouait en boucle l’histoire d’un naufrage.

Empress of Ireland ou bien Titanic ?… Enfin je ne sais plus… un de ces navires qui coula à pic.

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies présentées ici.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)