Il y a ceux qui avalent leur prozac… un texte de Myriam Ould-Hamouda

Par Chatquilouche @chatquilouche

Il y a ceux qui avalent leur prozac avec le lait de leurs cornflakes au petit déjeuner, ceux qui engloutissent des litres de café pour faire glisser leur plaquette de valium à la pause de midi entre deux rendez-vous, et ceux qui tard la nuit terminent la bouteille de rhum avant la boîte de stilnox – ou l’inverse. Je ne sais pas comment le monde a réussi à nous faire avaler la pilule, mais, depuis qu’elle est passée, absorbée, digérée, nous continuons à gober avec le sourire et un grand verre d’eau, matin midi et soir, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel de nos armoires à pharmacie pleines à craquer, et avec elles les couleuvres qu’il avait planquées au milieu pour faire la blague.
Nous nous prenons pour des surhommes, nos ordonnances entre les doigts, les cachets dans la glotte et l’esprit embrumé, à faire passer comme par magie tous nos bobos d’êtres humains. Et à chaque pilule qui continue de passer sans jamais laisser une égratignure le long de notre trachée, dans notre toute-puissance de demi-dieux, nous noyons sous des litres de flotte la faim, la fièvre, et l’ennui.
Nous nous prenons pour des surhommes ; mais nous ne sommes en vérité que des tyrans, à brandir à notre corps mille et un commandements inventés de toutes pièces. Nous le gavons ou l’affamons selon le temps qu’il fait, celui de pleurer sous un plaid parce qu’un corps qui lui tenait chaud est parti, ou celui de l’exhiber sur la plage sous le nez d’autres corps qui pourraient le consoler un peu. Nous le faisons gonfler, sécher et puis dépérir à notre guise selon l’heure qu’il est, celle de le faire tenir debout, d’avancer à vive allure jusqu’au podium et de sourire à pleines dents sous le feu des projecteurs, même si ce ne sont que des feux de paille et même s’il n’en peut plus aussi, celle de le border sous des draps froids dans un lit un peu trop grand pour lui depuis que le corps qui lui tenait compagnie ne l’occupe plus, depuis qu’à chaque fois que nous l’obligeons à trouver le sommeil malgré lui, il ronfle fort, mais ne rêve plus. Même si ça lui aurait bien plu, pour une fois, de veiller tard et de nous raconter sur le coin de l’oreiller ses histoires de corps qui a mal ou qui prend son pied.

Maman disait « il ne faut pas s’écouter », si elle nous voyait comme elle serait fière de ses grands garçons si baraqués de ses grandes filles si élancées : ça doit faire une éternité que nous n’avons pas pris le temps de l’écouter, notre corps qui avait pourtant bien des choses à nous dire. Notre corps qui sait tellement mieux que nous quand il a soif, faim ou bien la nausée. Et comme nous avons bien l’air malins ce matin, depuis qu’il s’est décidé à gueuler plus fort que nous, que maman et le monde aussi, et que nous n’avons plus rien à lui mettre sous la dent que de la purée fade et des draps trop blancs. Il y a ceux qui écument les magasins de fitness à la recherche d’une pilule miracle pour dompter ce corps qu’ils imaginaient moins sauvage, et celles qui se foutent bien de le voir se déformer à mesure que leur ventre se gonfle et qu’un corps un peu plus petit prend vie dedans. Et que, les mains dessus les yeux fermés et le cœur qui cogne vite et fort, elles attendent les coups en souriant.

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)