Podium, Yann Moix

Je pouvais commencer par Naissance, mais, voyez-vous, je suis plutôt modeste, et ai préféré aller vers ce qui semble être devenu un classique, tant cinématographiquement que littérairement, j'ai nommé : Podium!

Podium, Yann Moix


Podium, c'est l'histoire du grand Bernard Frédéric, qui dépense 98% de son énergie à être le meilleur sosie au monde de Claude François, qu'il adule au plus haut point.

La lecture de Podium ne m'a laissé aucun répit, tant le récit est rythmé et haletant ; pas à la manière d'un thriller, bien sûr, mieux encore! La verve de Bernard Frédéric n'est pas étrangère à cette impression : très oral, le style Frédéric est truculent, excessif, passionné, de sorte que, si son intérêt pour Claude François pourrait dans un premier temps le rendre original (voire suspect), il a tôt fait de fasciner le lectorat - en tout cas, c'est l'effet que les premières pages ont immédiatement produit sur moi! (et vous n'y échapperez pas, je vous encourage pour cela à vous reporter aux extraits ci-dessous)

Le roman de Yann Moix repose sur des piliers éprouvés :

  • Un sujet visiblement pointu (les sosies de Claude François), qui a au moins le mérite d'attiser la curiosité (à quoi peuvent ressembler les pérégrinations d'un sosie?).
  • Une documentation solide : l'expertise relative au sujet en question est évidente, et se traduit par la connaissance exhaustive des faits et gestes de Cloclo de son vivant, mais aussi et surtout de la façon dont les sosies s'en imprègnent et les font vivre dans leur quotidien, qu'il s'agisse de leurs performances scéniques ou de leur vie personnelle.
  • La part belle faite aux dialogues, qui vivifient le texte, et rendent le style singulier. A la lecture, il ne m'a pas semblé avoir déjà rencontré une prose jumelle!
  • Des scènes truculentes et visuelles : tous les passages de Bernard Frédéric au Rodéo Grill en sont l'illustration parfaite, de manière générale dans tous les restaurants où il met les pieds.
  • Une intrigue qui évite de sombrer dans l'écueil de la facilité : Bernard Frédéric est excessif, mais l'on ne tombe jamais dans la caricature, équilibre des plus précaires et impressionnant pour cela. De même, la trame se détache d'une progression classique (le fameux "introduction/élément perturbateur/résolution/conclusion"), même si bien sûr le récit s'articule autour de "moments" critiques pour l'ascension de Bernard Frédéric.
  • Des personnages hauts en couleurs, avec lesquels une proximité se tisse : c'est sans doute là que se révèle tout le talent de l'auteur. A première vue, on est plutôt tenté de croire que Bernard est un gros freak et que l'on va bien s'amuser en lisant ses (més)aventures. En ce qui me concerne, l'effet produit a été tout autre : loin de tourner Bernard en dérision et de le stigmatiser, l'auteur nous conduit à voir dans ce bonhomme excentrique un homme certes bourré de défauts, mais aussi terriblement attachant, maladroit mais entier, porté par ses convictions sans demi-mesure. Je ne peux pas croire que vous n'ayez jamais croisé le chemin de quelqu'un dont le caractère lui ressemble un peu.
  • Une véritable réflexion sur ce qui pourrait n'être qu'un épiphénomène, le sujet parfait pour "Confessions intimes": l'auteur ne propose pas une expérience voyeuriste, condescendante ou malsaine. Derrière le personnage de Bernard Frédéric, il propose une lecture des motifs qui animent les sosies, les raisons essentielles qui les conduisent à se glisser dans la peau d'un autre et à y trouver un accomplissement.

On est tenté, bien sûr, de comparer le film au livre : il est intéressant de noter que l'adaptation cinématographique inclut des ajustements, ne propose pas le même dénouement, et repose parfois sur des ressorts un peu différents, bien qu'elle parvienne à restituer avec brio le cœur du roman et son énergie.

Vous l'avez compris, j'ai été complètement bluffée, fascinée par l'histoire de Bernard Frédéric et des sosies qui l'entourent, et interloquée par l'objet littéraire audacieux qu'est Podium.
Vous pouvez me croire, ce n'est qu'un début, je n'ai pas fini de vous parler de Moix.


"_Je serai Claude François ou rien!
Quand Victor Hugo s'était exclama : "Je veux être Chateaubriand ou rien!", il entendait par là qu'il voulait devenir un aussi grand écrivain que Chateaubriand. Moi, je n'en avais rien à faire de devenir un aussi grand chanteur que Claude François ; c'était vraiment Claude François que je voulais être."

"_C'est qu'il est possédé, mon gars... Hein mon pauvre chou? En lui faisant chanter Big bisou à l'envers, le professeur Lo a décrypté des messages sataniques."

"_Ah Couscous, c'est mélancolique à trouer des culs... Je suis à deux pas des larmes, dans l'œil. Parce que c'est de la tristesse, mais spéciale. C'est une combinaison de tristesses."

"Bernard sait bien que les gens viennent applaudir l'autre, le mort. Il sait bien que, s'ils avaient le choix, ils le piétineraient pour approcher Claude François.
[...]
Emprisonnés dans un autre, nous sommes des morts-vivants. Nous sommes les zombies du showbiz. Des zombis. Pourtant, dans l'épiderme d'un autre, nous trouvons notre bonheur. Quand on ne sait pas qui on est, autant être un autre qu'on a choisi. Claude, Michel, Johnny, Jérôme sont si grands qu'il y a de la place pour tout le monde dans leur costume. C'est en étant eux que nous sommes le plus nous. Ils nous prêtent vie."