Éditions Les Escales, 2017 (249 pages)
Ma note : 14/20
Quatrième de couverture …
Au cœur de la Louisiane et de ses plantations de coton, deux fillettes grandissent ensemble. Tout les oppose. Eleanor est blanche, fille de médecin; Eve est mulâtre, fille d’esclave. Elles sont l’ombre l’une de l’autre, soumises à un destin qu’aucune des deux n’a choisi. Dans leur vie, il y aura des murmures, des désirs interdits, des chemins de traverse. Tout près, surtout, il y aura la clameur d’une guerre où des hommes affrontent leurs frères sous deux bannières étoilées.
Plus loin, dans l’Alabama, des femmes passent leur vie à coudre. Elles assemblent des bouts de tissu, Pénélopes modernes qui attendent le retour des maris, des pères, des fils partis combattre. Leurs courtepointes sont à l’image des États-Unis : un ensemble de morceaux tenus par un fil – celui de la couture, celui de l’écriture.
Entre rêve et histoire, Dominique Fortier dépeint une Amérique de légende qui se déchire pour mieux s’inventer et pose avec force la question de la liberté.
La première phrase
« Je suis un et je suis mille. »
Mon avis …
L’année dernière, j’avais évoqué avec vous mon immense coup de cœur pour Lettres à Stella (Iona Grey). Grâce à ce roman, j’avais pu rêver, voyager dans l’Histoire mais aussi découvrir une maison d’édition que je ne connaissais alors pas encore : Les Escales. J’ai eu envie de poursuivre l’aventure, et de me plonger dans La porte du ciel. Il faut dire qu’à l’idée de cette lecture, j’étais hautement enthousiaste. J’aime en effet beaucoup retrouver cette période historique dans la littérature (petit clin d’œil au grand Autant en emporte le vent), de même que j’avais envie d’y trouver une vraie réflexion sur les rapports humains d’alors. Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu. De la réflexion, il y en a : Dominique Fortier signe ici une œuvre engagée. Je n’ai pour autant pas vibré autant que je l’aurais souhaité.
Avec ce roman, direction la Louisiane. Eleanor et Eve sont deux petites filles que tout oppose. L’occasion leur est pourtant donnée de grandir ensemble, même si Eve occupe une position bien particulière dans la famille (sans être reléguée au statut d’esclave, elle se retrouver à jouer les domestiques). Les années passent. L’immense fossé entre les conditions de vie des Noirs (esclaves travaillant dans les champs de coton) et des Blancs (libres) se creuse. Éclate alors la guerre de Sécession…
D’emblée, j’ai beaucoup aimé suivre le destin de nos deux héroïnes. Car aucune n’est dupe. Elles s’interrogent beaucoup sur leur quotidien respectif tout en questionnant ce à quoi elles semblent destinées… Si une fois adulte, Eve continuera de servir les Blancs, Eleanor se sentira comme de trop dans un mariage synonyme d’ennui. Si par ce roman Dominique Fortier nous parle de liberté et d’égalité, j’ai apprécié qu’elle évoque tout autant la condition féminine d’alors. On sent véritablement que ce sont là des thématiques qui lui tiennent à cœur.
Malheureusement, pour le reste je suis moins séduite. J’aurais peut-être aimé que ce roman suive une trame plus linéaire. Si d’autres personnages (June en tête) viennent se greffer à l’histoire, nous rencontrons également d’autres scènes totalement extérieures à l’intrigue. J’ai eu beaucoup plus de mal à m’y intéresser (je pense notamment au combat de coqs ou à la description du Mississippi). Même si j’ai apprécié suivre le quotidien de nos deux héroïnes (de même que celui de June), je n’ai pas non plus réussi à réellement m’attacher à leurs personnages. J’ai ressenti comme la présence d’une barrière qui m’empêchait de trop m’approcher d’elles, c’est donc un peu dommage.
En bref, si j’ai ressenti tout l’intérêt d’un tel roman pour dénoncer la violence du clivage entre les Blancs et les Noirs durant cette période de l’Histoire, je suis restée comme extérieure à ma lecture. J’ai apprécié l’idée de départ de Dominique Fortier, tout comme j’ai aimé suivre Eve et Eleanor, mais je m’attendais à une lecture beaucoup plus intense. Je n’ai pas vibré autant que je l’aurais souhaité, de même que je n’ai pas été convaincue par la trame narrative (j’aurais peut-être préféré quelque chose de plus classique). Je trouve par contre la plume de Dominique Fortier poétique : certains passages sont réellement d’une grande beauté.
Extraits …
« Il ne vous avait pas échappé, sans doute, qu’Ève avait un statut mal défini. On ne lui demandait pas de frotter les planchers, mais jamais il ne serait venu à l’esprit de quiconque de l’inviter à s’asseoir à table quand il y avait du monde à la maison. Elle prenait tous les jours le thé avec Eleanor, dont elle partageait les jeux, mais, après que son amie se fut tamponné les lèvres, Ève rapportait les tasses à la cuisine pour les laver. »
« Un nuage laiteux bien net troubla la surface de l’épais café marron foncé, puis s’effilocha peu à peu, ses contours se brouillant, la frontière entre le blanc et le brun s’élargissant pour former un dégradé qui bientôt gagna la tasse entière, où un typhon minuscule créé par la cuillère agitée vigoureusement achevait d’effacer la distinction entre les deux teintes désormais fondues l’une dans l’autre. »