Si je ne m'étais pas engagée à lire (ça, ça va !) et à chroniquer (ça c'est une autre histoire) six titres de la rentrée littéraire 2016, sans doute n'aurais-je rien écrit sur Petit pays de Gaël Faye. Le problème est le même que pour le roman de Leïla Slimani : que pourrais-je dire que tout le monde n'ait pas déjà dit ? Est-ce qu'ajouter ma voix au concert de louanges qu'il a récolté apporterait quelque chose, sinon à banaliser peut-être un peu plus l'impression qu'il a laissée ? Petit Pays, premier roman du musicien Gaël Faye, raconte l'histoire de Gaby, un gamin d'une dizaine d'années, fils d'une Rwandaise et d'un français, qui a grandi au Burundi. Le problème, c'est que nous sommes en 1992, que commence au Rwanda le massacre des Tutsis et qu'un coup d'Etat se prépare au Burundi. Le quotidien de Gaby et des ses copains de l'impasse se trouve alors, étape par étape, rattrapé par le monde des adultes.
Dans la droite lignée d'Ahmadou Kourouma - l'amour des parents de Gaby s'est d'ailleurs noué, dans le texte, sous le soleil des indépendances, titre du premier livre de l'écrivain ivoirien - Gaël Faye s'interroge sur les identités française et africaines (au pluriel). C'est l'histoire personnelle et familiale du personne qui sert de révélateur et le point de vue enfantin permet d'appréhender l'Histoire, si terrible soit-elle, par le petit bout de la lorgnette. Le procédé est un peu le même que dans The Girls d'Emma Cline, précédemment chroniqué, où les agissements d'une secte inspirée de celle de Charles Manson sont décrits du point de vue d'une adolescente qui ne les fréquente encore que de loin en loin. La naïveté du narrateur, ses aveuglements volontaires permettent à la fois de rendre moins crus les moments de violence mais aussi, paradoxalement, d'en souligner la dureté. A travers les lettres que le jeune Gaby envoie à une correspondante française, l'auteur raille en outre l'image stéréotypée de l'Afrique véhiculée aux français, les rendant involontairement condescendants et paternalistes sous leurs bonnes intentions.
Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j'ai compris que je l'étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore.
Ce qui est frappant dans la manière d'écrire de Gaël Faye, c'est sa manière de procéder par petites touches : la catastrophe de la guerre s'annonce par signes annonciateurs successifs, comme ce vent bizarre qui se lève avant l'orage. Sans doute est-il dommage qu'on ait tant demandé à l'auteur si le roman était autobiographique. Oui, comme souvent, lorsqu'on écrit, Gaël Faye a prêté à son personnage principal certains traits qui sont les siens, mais il a modifié, rajouté des anecdotes, des histoires qui sont peut-être arrivées à quelqu'un d'autre, peut-être même des moments de vie qui ne sont arrivés à personne. Petit pays n'est absolument pas mon histoire, déclare-t-il même sur rfi. Est-ce grave ? Ce qui importe, c'est qu'il partage, sinon une vie similaire, du moins les questionnements de son personnage. Cela me semble, en outre, l'une des plus belles définitions de l'écriture qui soit : inventer une histoire qui illustre mieux que ma vie les problèmes et les questionnements qui me hantent. Ne rêvons donc pas d'inspirations autobiographiques là où il n'y a pas que cela. Le processus de surgissement de la violence dans le quotidien, le déracinement et la nostalgie de l'innocence perdue sont transmis par une écriture sobre et ciselée. Plus directement frappant que le Goncourt, Petit pays est une lecture dont je parle sans doute difficilement, mais que je suis heureuse d'avoir faite.
On ne doit pas douter de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire. Si tu n'es pas étonné par le chant du coq ou par la lumière au-dessus des crêtes, si tu ne crois pas en la bonté de ton âme, alors tu ne te bats plus, et c'est comme si tu étais déjà mort.