"Je n'aime pas les mystères et je n'aime pas quand les pièces ne s'emboîtent pas".

Par Christophe
Il y a quelques mois, je me suis lancé dans la lecture de "Little Bird", première enquête du shérif Walt Longmire, sous la plume de Craig Johnson. Un voyage dans le Wyoming qui m'a captivé et m'a donné envie de poursuivre cette série. Chose faite, avec notre lecture du jour, "le camp des morts", dont l'action se déroule quasiment dans la continuité de "Little Bird" (disponible chez Gallmeister, en grand format et dans la collection de poche, Totem, mais aussi, depuis le début de l'année, chez Points Seuil). Une nouvelle enquête dans laquelle l'hiver, déjà bien présent dans la première enquête, vient mettre son grain de sel. Mais, ce n'est pas tout : une nouvelle fois, l'amitié entre les différents personnages va jouer un rôle-clé pour démêler une affaire qui va impliquer un des proches du shérif et l'obliger à plonger dans un passé bien lointain... Et s'intéresser à une communauté dont on découvre l'importance dans cet Etat du Wyoming : les Basques...

Un mois à peine s'est écoulé depuis le dénouement tragique de l'enquête relatée dans "Little Bird". et le shérif Walt Longmire a toujours le coeur lourd. A la tête des services de police d'Absaroka, le moins peuplé des comtés du moins peuplé des Etats américains, on pourrait se dire que la vie est plutôt tranquille, pour lui, mais rien n'est moins sûr.
Plus que jamais, Longmire envisage de passer bientôt la main. Victoria "Vic" Moretti, malgré ses manières parfois brutes et son langage de charretier, semble la candidate idéale. Mais il faut, avant cela, trouver une perle rare, un nouvel élément pour renforcer le département. Est d'ailleurs attendu dans les prochaines heures, un jeune flic qui, après deux ans à faire le maton, a envie d'air pur.
Il n'a toutefois pas choisi le meilleur moment pour débarquer dans le coin, car cet hiver-là est décidément particulièrement rude. On annonce l'arrivée de la troisième tempête de neige de la saison, et les mots ne sont pas trop forts. Un temps exécrable menace et risque de tout paralyser dans les prochaines heures...
On est dimanche, Walt Longmire se prépare à aller rendre visite à celui qui était shérif avant lui, Lucian, pour disputer quelques parties d'échecs. Ce dernier coule des jours presque heureux au Foyer des Personnes dépendantes, où ses gènes de flic ont tendance à se réveiller. Lucian est prompt à imaginer quelque crime ou complot au sein de l'établissement, qu'il se verrait bien résoudre...
Mais, lorsque Longmire arrive au Foyer, il tombe sur un Lucian hors de lui. Ce qui a mis le shérif à la retraite dans cet état, c'est la mort d'une autre résidente du foyer, Mari Baroja. Il semble certain que quelqu'un l'a assassinée et veut, à tout prix, empêcher qu'on emporte le corps pour que Walt l'examine et entame une enquête.
Longmire est éberlué, autant par l'énervement de son ami que par ce qu'il lui apprend. Il se demande si Lucian n'a pas perdu la raison. Septuagénaire, dans un état de santé pas très florissant, Mari s'est éteinte et rien ne paraît indiquer qu'on ait provoqué son décès de manière intentionnelle. Pourtant, cette histoire le travaille.
Il décide alors de chercher quelques informations sur la présumée victime, comme ça, au cas où, par acquit de conscience... Et aussi, parce que ce que Lucian lui a révélé a aiguisé sa curiosité. Alors, il se penche sur le passé de Mari, exhume quelques informations là encore surprenantes... Et commence à sérieusement suspecter Lucian...
Désormais, l'envie de connaître la vérité domine, chez Longmire. Mais aussi le fait qu'il ne peut pas croire que son ami soit coupable. Il lui faut comprendre ce qui s'est passé un demi-siècle plus tôt, bien avant qu'il ne rencontre Lucian, pour effacer de son esprit le terrible soupçon qui y est apparu. Commence une enquête qui n'a pas fini d'éclairer le passé d'une étrange lumière...
L'amitié, je l'ai dit, c'est l'un des thèmes forts de cette série de polars signée Craig Johnson. Il y a évidemment celle qui unit de longue date Longmire et Henry Stenading Bear, découverte dans "Little Bird", et qu'on retrouve, évidemment, dans cette deuxième enquête, même si elle semble d'abord en retrait. Et puis, il y a l'amitié avec Lucian Connally.
Sans tomber dans le cliché, entre l'ancien shérif et son successeur, c'est un lien familial qui s'est instauré au fil des ans. Un père et un fils, en tout cas, deux amis qui n'ont pas de secret l'un pour l'autre. Et pourtant, avec la mort de Mari Baroja, Walt tombe des nues et découvre tout un pan de la vie de Lucian dont il ignorait tout.
Bon, à la rigueur, chacun a son jardin secret, les choses qu'il tient à garder pour lui. Walt pourrait s'en tirer avec une légère vexation, et basta, mais les circonstances font que le shérif se retrouve bien embarrassé... Et si Lucian était un assassin ? Et si, toutes ces années, il avait en fait caché le plus terrible des secrets ?
C'est aussi à cela qu'on juge la profondeur d'une amitié : Longmire ne propose pas à son ami de l'aider à enterrer un cadavre, mais ce n'est pas si loin. L'enquête du shérif, au départ routinière et presque lancée par désoeuvrement, bascule dans une quête de vérité afin d'innocenter Lucian. Et d'apaiser la conscience malmenée de Longmire.
Vous vous doutez bien que ce voyage dans le passé n'est pas le seul fil narratif de cette enquête. Dans le présent aussi vont se dérouler des rebondissements et des histoires liés à la mort de Mari Baroja. Et, au fur et à mesure des investigations, le sentiment que Lucian s'est fourré dans une très, très sale et dangereuse affaire.
Après "Little Bird", qui avait des allures de western moderne, dans des décors somptueux, Craig Johnson ouvre de nouvelles perspectives avec une deuxième enquête beaucoup plus contemporaine, moins "carte postale", si j'ose dire. Apparaissent de nouvelles problématiques inhérentes à la situation du Wyoming, dont l'une tout à fait surprenante.
Mari Baroja est en effet issue d'une communauté basque assez nombreuse dans l'Etat. Des personnes aux racines basques assez éloignées, d'ailleurs, car beaucoup viennent en fait du Mexique, mais conserve cette culture profondément ancrée. Et pourquoi choisissent-il le Wyoming ? Eh bien, parce que beaucoup, comme leurs ancêtres, viennent exercer la profession de bergers...
Walt Longmire va donc s'intéresser à cette communauté, à laquelle appartient d'ailleurs son peut-être nouvel adjoint, Santiago. Ne vous attendez tout de même pas à un "Bienvenue chez les Basques", ce n'est pas non plus l'objet de ce roman, mais c'est un élément fort. Tout comme d'autres aspects qu'il vous faudra découvrir et qui sont au coeur de l'intrigue.
Pour le reste, on retrouve les ingrédients qui fondent cette série, et en particulier l'humour mordant qu'on retrouve tout au long de ce livre. Et en particulier, les vacheries que peuvent s'envoyer Walt et Henry, avec un coté pince-sans-rire qui est un vrai régal. Une décontraction qui tranche avec la tension qui croît régulièrement jusqu'à un final musclé.
Contrairement à "Little Bird", "Le camp des morts" ne flirte pas avec le fantastique. On y retrouve en revanche des points communs très forts. J'ai déjà évoqué l'amitié, et la fidélité est vraiment l'un des traits de caractère qui fait de Longmire un personnage fort sympathique, malgré ses doutes, malgré son sentiment d'usure.
Cette fois, ce n'est donc pas Henry qu'il décide de sortir du pétrin, mais Lucian. Le résultat est le même : une intégrité sans faille et une sagacité remarquable. Le rythme reste lent, mesuré, mais, comme évoqué précédemment, la situation s'accélère dans le final, avec quelques scènes tout à fait remarquables, avec de l'action, mais pas uniquement.
On est bien dans du polar, du vrai polar, avec un flic, et même des flics, qui font honneur à l'uniforme qu'ils portent. Le décor change forcément de ce qu'on à l'habitude de voir, on est loin des mégapoles ultra-violentes, mais le personnage de Walt Longmire n'a rien à envier à ses collègues des grandes villes, avec ses questionnements. Pourtant, jamais ses doutes n'empiètent sur ses compétences.
Deuxième rencontre avec Walt Longmire, et je me dis qu'il y a encore beaucoup à découvrir chez cet homme. On s'attache à lui, bien sûr, on lui souhaite de trouver l'apaisement et, qui sait, l'amour (encore raté, dans "Le camp des morts"), mais on s'attache en fait à tous les personnages qui l'entourent et qui forment une espèce de famille où l'on se serre les coudes en toutes circonstances.
Craig Johnson n'épargne pas ses personnages, il les met à rude épreuve et ce "Camp des morts" en est une nouvelle preuve. Mais, de cette façon, il renforce les liens entre eux. Et c'est aussi ce qui fait tenir Longmire, qui, sans doute, en d'autres circonstances, se serait effondré bien avant. La série met en avant Walt Longmire, mais, il ne faut pas le couper de son équipe, tout aussi importante.