Sans Véronique

Par Denis Arnoud @denisarnoud

Sans Véronique d’Arthur Dreyfus aux éditions Gallimard

Véronique et Bernard font partie de ces couples quasiment fusionnels. On les voit rarement l’un sans l’autre, on ne les imagine pas séparés. Elle arrive à l’âge de la retraite, elle était caissière dans un supermarché. Bernard, lui est plombier et doit encore attendre un peu avant de faire valoir ses droits. Ils ont une fille, Alexia, qui s’est un peu éloignée, se sentant de trop entre eux deux.
«…  tout le monde disait Véronique et Bernard, et non pas la famille Florestan, car au fond il y avait deux types de couples: ceux qui se rencontraient, qui s'appréciaient, qui s'ennuyaient, qui s'étaient vite tout dit et qui, pour renouveler les sujets, faisaient des enfants; puis d'autres, les couples d'évidence, ceux pour qui l'univers s'était plié en deux, afin qu'ils se rencontrent, et eux ne s'ennuyaient jamais, le miracle était d'être ensemble présent au monde, et si des enfants tombaient du ciel, on les aimerait quand même, mais on les élèverait en marge d'un amour qu'ils importuneraient toujours, tel était le couple que formaient les parents d'Alexia, elle l'avait conçu à la longue, et en avait pris son parti… »
En remerciement de ses bons et loyaux services, leur patron offre à Véronique et à une de ses collègues un séjour en hôtel club en Tunisie, à Sousse. C’est là que l’Histoire va venir fracasser leur histoire. Bernard ne le savait pas, mais ce matin là, dans le métro, alors qu’il l’accompagnait, c’était la dernière fois qu’il la voyait.
Quelques jours après le départ de Véronique, Bernard reçoit un appel du Quai d’Orsay. Véronique ferait partie des victimes d’un attentat meurtrier. Une voiture vient le chercher et on l’emmène au ministère où il retrouve les parents des autres victimes. On leur explique  que l’enquête est en cours et qu’une cellule psychologique est à leur disposition.
Face au deuil, Bernard et Alexia semblent se rapprocher. Mais Bernard est un homme brisé, il a  perdu une part de lui-même dans un attentat. Les victimes de ces actes criminels ne sont pas seulement les personnes touchées directement par l’attentat, ce sont aussi leurs proches, ceux qui ont perdu un être aimé dans le massacre.
Parallèlement à l’histoire de Bernard et Véronique, nous suivons celle de Seifeddine, l’auteur de l’attentat. Comment en est-il arrivé à se radicaliser, lui cet étudiant brillant. Un deuil terrible dans son enfance, un chagrin d’amour beaucoup plus récemment, l’ont fait tomber dans l’islamisme radical.
Sans Véronique est le roman de l’amour. De l’amour fort, de cet amour dont même les protagonistes ne se rendent pas compte en le vivant. Quand Bernard perd sa femme dans l’attentat, il se rend compte que Véronique était une partie de lui, que sans elle, plus rien n’est pareil. Ce grand malheur va le conduire à se remémorer ce grand bonheur qu’était la vie avec elle.
Les longues phrases, une phrase par paragraphe, restituent de manière bouleversante la sensation d’étouffement que vit Bernard. Véronique était une partie de ce souffle qui le portait chaque jour, en la perdant c’est comme s’il mourrait à petits feux.
Tout le long du roman, j’ai été bouleversé par ce style, par cette émotion qui en ressort. D’habitude, je ne suis pas adepte des phrases longues, interminables, mais dans ce cas, elles portent le livre, le faisant entrer dans une autre dimension. Une réussite totale. Un grand roman.
« Plusieurs secondes ont passé, durant lesquelles Bernard s’est efforcé d’ordonner les mots qu’il venait d’entendre, et qui s’enchevêtraient dans son esprit : Sousse, la Tunisie, un attentat, ce matin, Véronique – tout cela n’avait aucun sens, Monsieur, vous m’entendez ? a articulé la voix, tandis que de l’autre côté, Bernard se mettait à trembler, écrasant sa main gauche sur la tablette du téléphone, ici les chiens, qui avaient perçu son état, se sont rapprochés, avant qu’une phrase enfin s’échappe de sa bouche : Qu’est-ce qui est arrivé à ma femme ? »