Gabrielle Roy, la romancière, a été journaliste après son retour d’Europe où elle a étudié le théâtre. On l’oublie souvent. Une rare femme à exercer ce métier à l’époque. Elle aimait les découvertes, les vastes espaces, les hommes et les femmes qui luttent pour se faire une vie.
Les «Cahiers Gabrielle Roy», petit à petit, rééditent l’ensemble de l’œuvre écrite de cette romancière décédée en 1983. «Heureux les nomades» est constitué de vingt-huit reportages regroupés sous cinq thèmes: Montréal, Gaspésie et Côte-Nord, l’Abitibi, l’Ouest canadien et plusieurs aspects du Québec. La plupart de ces textes sont parus dans le «Bulletin des agriculteurs» entre 1940 et 1945.
D’autres reportages ont été remaniés par l’écrivaine dans «Fragiles lumières de la terre» paru en 1978.
L’œuvre du temps
La journaliste nous entraîne en Gaspésie au milieu des pêcheurs, permet de s’embarquer aux îles de la Madeleine avec une centaine de colons qui migrent vers l’Abitibi. Gabrielle Roy aime ces humbles qui n’ont que leurs bras pour triompher des pires difficultés: des maraîchers, des défricheurs, des constructeurs de bateaux, des bûcherons et des draveurs. Des portraits d’hommes et de femmes qui ont bâti le Québec avec une énergie inépuisable. L’ensemble de ces articles prend aussi une belle valeur ethnologique avec un recul de plus de soixante ans.
Ces portraits des Innus et de Clark City, une ville de compagnie de la Côte-Nord, sont saisissants. Une situation qui n’est pas sans rappeler les débuts du Saguenay avec Price qui contrôlait parfaitement la vie de ses travailleurs.
«La vie à Clarke City s’organise pour braver l’ennui; pavillon de danse, bowling, cinéma. Des logis convenables, une hygiène satisfaisante, l’électricité. La compagnie Gulf Pulp & Paper donne aux cultivateurs tout le confort matériel. Elle défend habilement de la misère une population qui n’aurait probablement pas d’autre choix que d’émigrer si, du jour au lendemain, les directeurs devaient fermer l’établissement. Elle a élevé le niveau de la vie dans tout le voisinage. On peut dire aussi que, jusqu’à un certain point, elle a étouffé l’initiative privée.» (p.131)
Des propos qui ont dû choquer, lors de leur parution. Gabrielle Roy se permet des réflexions et des commentaires qui passeraient mal de nos jours.
«Et l’espoir reste ardent comme un rayon des soleils d’été dans l’enchevêtrement de leurs jours. Qui ne puiserait une éternelle confiance dans la lutte quotidienne avec la terre? Non, la misère de l’Abitibi n’est point d’ordre matériel, mais moral. Elle provient de l’isolement, de la méfiance, de la désunion ; elle provient de ce chancre hideux : l’envie. Je voudrais dire aux colons: oubliez vos petites rancunes; unissez-vous; entraidez-vous!» (p.125)
Saguenay
Gabrielle Roy s’est attardée au Saguenay et au Lac-Saint-Jean en 1944. Ce n’est peut-être pas le plus percutant de ses textes, mais elle a saisi rapidement une situation économique qui demeure d’actualité.
«La prospérité lui vient d’avoir su attirer de nombreuses et remarquables entreprises privées, la plupart d’origine étrangère ; cela accuse aussi sa dépendance économique. Il bénéficie de ses ressources plutôt qu’il n’en dirige l’exploitation; il est aujourd’hui dans le bien-être, très industrialisé, mais il n’a pas la gérance de ses biens.» (p.299)
Des propos que Marc-Urbain Proulx pourrait reprendre.
«Heureux les nomades et autres reportages» de Gabrielle Roy est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gabrielle-roy-736.html
Yvon Paré
Lecteur attentif, il a rédigé de nombreux articles portant sur les œuvres des écrivains du Québec dans Le Quotidien et Progrès-Dimanche où il œuvré comme journaliste. Il collabore à Lettres québécoises depuis une quinzaine d’années en plus d’être l’auteur d’un blogue fort fréquenté.
Le voyage d’Ulysse, un roman où il suit les traces du célèbre personnage d’Homère, en l’invitant au Lac-Saint-Jean et en inventant un monde possible et imaginaire. Il a remporté le prix Ringuet du roman de l’Académie des lettres du Québec avec ce roman en 2013 en plus du prix fiction du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Son dernier ouvrage, L’enfant qui ne voulait plus dormir, un carnet fort louangé, explore les chemins de la création.
On peut retrouver l’ensemble de ses chroniques sur http://yvonpare.blogspot.com/.
Advertisements