Le roman de Luc Lang figure dans la sélection du Grand Prix des Lectrices de février.Nommé à plusieurs reprises lors des sélections littéraires de la rentrée d'automne, il me faisait de l’œil depuis...Attention, spoiler : j'ai pas bien compris le rapport avec un hypothétique septième jour (m'est avis que c'est un titre imposé, une coquille d'impression, ou un pari qui a mal tourné).
Libres pensées...
Cela n'arrive pas si souvent, mais je dois concéder que le roman de Luc Lang m'a franchement déstabilisée.
Il est assez rare, concédons-le, de rencontrer une prose qui détone, un auteur qui invente et parle sa propre langue, laquelle, néanmoins, est partagée par la majorité. En utilisant l'empreinte de l'oralité, Lug Lang s'éloigne des sentiers battus, enchevêtre des phrases qui ne s'achèvent pas, et le lecteur se raccroche au fil du récit en dépit des soubresauts de la langue qui demeure en suspens. Libre à lui de compléter ces phrases interrompues, pareilles à celles qui pavent les échanges oraux informels : par ce procédé, l'auteur propose un style nouveau, jamais vu auparavant (pour ma part en tout cas), et son génie réside en ce que le lecteur n'est pas totalement dépaysé, et se retrouve au contraire plongé dans ce qui pourrait être sa langue de tous les jours.
L'autre point marquant du roman, c'est son aspect déstructuré. Je ne veux pas dire par là que le récit constitue un bloc informe : il se décompose en trois livres relativement équilibrés. Toutefois, la narration ne présuppose pas de destination prédéfinie, on ne trouve pas çà et là des indices annonciateurs de ce qui reste à venir : le futur est une nébuleuse, l'intrigue pourrait tout aussi bien reposer sur d'autres développements, la construction n'a donc rien de "mécanique", et en ce qui me concerne, c'est un soulagement. Les romans qui répondent à une structure de type "thriller", où chaque ingrédient a une utilité et doit mener à une résolution finale qui constitue le but ultime du récit, me lassent, tant ils se sont imposés dans la littérature et finissent, inévitablement, par se ressembler. Pour cette raison, le roman de Luc Lang, dont on ne sait trop où il va nous amener, et qui donne le sentiment de se découvrir lui-même à chaque page, est rafraîchissant : on ne ploie pas sous le poids du déterminisme, ce qui peut donner le sentiment de se rapprocher du réel.
En parlant de déstructuration et de désordre, je vais donc en venir au synopsis de l'oeuvre, ou en tout cas à l'ébauche d'un synopsis. Le protagoniste, Thomas, père de deux enfants et travaillant dans une start-up informatique, voit son existence bouleversée lorsque sa femme, Claire, est victime d'un grave accident de la route. Il décide de comprendre les événements qui ont mené à cette issue terrible, et, ce faisant, exhume de lourds secrets.
Thomas est un personnage qui m'a paru difficile à cerner : l'absence soudaine de Camille le conduit à interroger son entourage, et j'ai eu l'impression qu'il se réveillait soudain d'un confort quotidien dans lequel il ne se posait guère de questions, où ses proches avaient à cœur de le préserver, pour s'extraire tout à coup de sa quiétude, obligé de se confronter à des problèmes d'adulte, en quelque sorte. Ainsi, les personnages qui l'entourent, son frère Jean, Camille, sa soeur Pauline présentent des aspérités beaucoup plus intéressantes, ils incarnent des personnalités moins lisses. A la fin du roman seulement, on a le sentiment que Thomas a pris la pleine mesure de ses responsabilités, et s'affirme enfin dans la décision qui se dessine au sujet d'Aliou, l'enfant que Jean devait adopter.
Au commencement du septième jour a été, à mes yeux, l'histoire d'une naissance, d'un homme qui éclot à lui-même, qui devient qui il est (tribute to Pindare/Nietzsche, bisous).
Dans une société où une certaine frange de la population (à laquelle je crains d'appartenir) a le loisir de se complaire dans un environnement ouaté et confortable, ça n'a rien d'évident.
Pour vous si...
Morceaux choisis
"Comme si c'était facile! En parler, ne pas en parler, aller la voir, ne pas y aller. Hormis que j'y arrive pas moi-même. C'est tout le temps là, elle manque à chaque seconde, on respire des cailloux.
Je sais, Thomas...
Non, tu sais pas. La vie est une prison, on est enfermés dans le malheur."
"Jean tourne la tête, échappe au regard de Thomas. Jean dit : Allons-y. Et il part devant, ils redescendent le pierrier, cette fois le dos à la pente, plantant les talons dans les éboulis de pierres coupantes, laissant filer les corps vers la vallée, alors que le soleil affleure bientôt le versant espagnol, jetant une lumière d'or sur l'ensemble du massif, un court moment de paradoxale beauté où Thomas vient de découvrir le gisant de son père dans la gorge du redent."
Note finale3/5(cool)
Libres pensées...
Cela n'arrive pas si souvent, mais je dois concéder que le roman de Luc Lang m'a franchement déstabilisée.
Il est assez rare, concédons-le, de rencontrer une prose qui détone, un auteur qui invente et parle sa propre langue, laquelle, néanmoins, est partagée par la majorité. En utilisant l'empreinte de l'oralité, Lug Lang s'éloigne des sentiers battus, enchevêtre des phrases qui ne s'achèvent pas, et le lecteur se raccroche au fil du récit en dépit des soubresauts de la langue qui demeure en suspens. Libre à lui de compléter ces phrases interrompues, pareilles à celles qui pavent les échanges oraux informels : par ce procédé, l'auteur propose un style nouveau, jamais vu auparavant (pour ma part en tout cas), et son génie réside en ce que le lecteur n'est pas totalement dépaysé, et se retrouve au contraire plongé dans ce qui pourrait être sa langue de tous les jours.
L'autre point marquant du roman, c'est son aspect déstructuré. Je ne veux pas dire par là que le récit constitue un bloc informe : il se décompose en trois livres relativement équilibrés. Toutefois, la narration ne présuppose pas de destination prédéfinie, on ne trouve pas çà et là des indices annonciateurs de ce qui reste à venir : le futur est une nébuleuse, l'intrigue pourrait tout aussi bien reposer sur d'autres développements, la construction n'a donc rien de "mécanique", et en ce qui me concerne, c'est un soulagement. Les romans qui répondent à une structure de type "thriller", où chaque ingrédient a une utilité et doit mener à une résolution finale qui constitue le but ultime du récit, me lassent, tant ils se sont imposés dans la littérature et finissent, inévitablement, par se ressembler. Pour cette raison, le roman de Luc Lang, dont on ne sait trop où il va nous amener, et qui donne le sentiment de se découvrir lui-même à chaque page, est rafraîchissant : on ne ploie pas sous le poids du déterminisme, ce qui peut donner le sentiment de se rapprocher du réel.
En parlant de déstructuration et de désordre, je vais donc en venir au synopsis de l'oeuvre, ou en tout cas à l'ébauche d'un synopsis. Le protagoniste, Thomas, père de deux enfants et travaillant dans une start-up informatique, voit son existence bouleversée lorsque sa femme, Claire, est victime d'un grave accident de la route. Il décide de comprendre les événements qui ont mené à cette issue terrible, et, ce faisant, exhume de lourds secrets.
Thomas est un personnage qui m'a paru difficile à cerner : l'absence soudaine de Camille le conduit à interroger son entourage, et j'ai eu l'impression qu'il se réveillait soudain d'un confort quotidien dans lequel il ne se posait guère de questions, où ses proches avaient à cœur de le préserver, pour s'extraire tout à coup de sa quiétude, obligé de se confronter à des problèmes d'adulte, en quelque sorte. Ainsi, les personnages qui l'entourent, son frère Jean, Camille, sa soeur Pauline présentent des aspérités beaucoup plus intéressantes, ils incarnent des personnalités moins lisses. A la fin du roman seulement, on a le sentiment que Thomas a pris la pleine mesure de ses responsabilités, et s'affirme enfin dans la décision qui se dessine au sujet d'Aliou, l'enfant que Jean devait adopter.
Au commencement du septième jour a été, à mes yeux, l'histoire d'une naissance, d'un homme qui éclot à lui-même, qui devient qui il est (tribute to Pindare/Nietzsche, bisous).
Dans une société où une certaine frange de la population (à laquelle je crains d'appartenir) a le loisir de se complaire dans un environnement ouaté et confortable, ça n'a rien d'évident.
Pour vous si...
- Vous croyez connaître vos proches.
- Vous êtes du genre raisonnable, un quotidien cousu de fil blanc, et rien ne peut vous arriver. Ou peut-être que si...
Morceaux choisis
"Comme si c'était facile! En parler, ne pas en parler, aller la voir, ne pas y aller. Hormis que j'y arrive pas moi-même. C'est tout le temps là, elle manque à chaque seconde, on respire des cailloux.
Je sais, Thomas...
Non, tu sais pas. La vie est une prison, on est enfermés dans le malheur."
"Jean tourne la tête, échappe au regard de Thomas. Jean dit : Allons-y. Et il part devant, ils redescendent le pierrier, cette fois le dos à la pente, plantant les talons dans les éboulis de pierres coupantes, laissant filer les corps vers la vallée, alors que le soleil affleure bientôt le versant espagnol, jetant une lumière d'or sur l'ensemble du massif, un court moment de paradoxale beauté où Thomas vient de découvrir le gisant de son père dans la gorge du redent."
Note finale3/5(cool)