George Sand, une citoyenne passionnée

Par Site3p

Introduction

Il est fascinant de découvrir le personnage de George Sand sous tous les aspects de sa vie. Et l'on ne manque pas d'être impressionné par l'importance de ses apports dans les domaines les plus variés. L'image la plus courante que l'on a d'elle est celle d'une femme excentrique habillée en homme, d'une amante passionnée, d'une romancière à succès, d'une figure célèbre du monde des arts et des artistes... Mais lorsque l'on prend le temps de s'intéresser à elle de plus près, sa vie et son œuvre sont d'une richesse humaine hors du commun. Et il faut prendre vraiment la mesure de la générosité, de l'intelligence et de la force morale dont elle a fait preuve pour se rendre compte qu'elle a été une toute autre figure que celle de l'image que l'on a gardé d'elle. George Sand fut une actrice de tout premier plan de la vie sociale et politique française dans ce XIX-ème siècle agité, on ne le dit pas assez, c'est pourquoi nous avons choisi d'en faire le contenu principal de ce court exposé.

Dans sa famille intellectuelle, citons J.J. Rousseau auquel l'a initié sa grand-mère, Marie Aurore de Saxe Dupin, le républicain Michel de Bourges, son avocat, l'abbé Lamenais, défenseur du christianisme social et Pierre Leroux, co-inventeur du socialisme avec Karl Marx.

La sélection des 14 textes de George Sand résulte de la lecture de la thèse passionnante de Bernard Hamon : George Sand et la politique, cette " vilaine chose ", de son livre George Sand face aux églises et de Pierre Leroux et le socialisme républicain de Vincent Peillon.

Geneviève et Vincent Bissuel

texte 1

Si jamais vous entendez dire que je me mêle de ce qu'on appelle la politique aujourd'hui, ne le croyez pas. Je n'ai point de goût et point de capacité pour cette vilaine chose. Je comprends trop ce qu'il y a au fond de cela pour y prendre de l'intérêt. Aussi je ne serai jamais de ceux qui crient aux armes. Mais si je me trouvais derrière une barricade, comme je sais que les bourgeois sont toujours de l'autre coté, je ne passerais pas de l'autre coté. On pourrait bien me trouver le lendemain parmi les morts, mais je n'aurai point conspiré pour cela. Voilà toute la politique que je comprends. Elle est simple et radicale.

Pour pousser les partis à en venir aux mains, il faut connaître une foule de choses que je n'aimerai pas à connaître, et une foule de gens avec qui j'aime autant n'avoir point de relations. C'est le malheur des hommes politiques. J'ai le bonheur de ne pas être homme et de pouvoir conserver une candeur à toute épreuve.

TEXTE 2

Correspondance Tome VI, à Charles Poncy 23.12.1843

Moi qui suis née en apparence dans les rangs de l'aristocratie, je tiens au peuple par le sang autant que par le cœur. Ma mère était de la race vagabonde et avilie des bohémiens de ce monde. Mon père avait un grand cœur... il l'épousa. Né dans une mansarde, j'ai commencé par la misère... le désordre d'une existence folle... Après cela ma grand-mère pardonna... je fus faite demoiselle et héritière. Mais je n'oubliai jamais que le sang plébéien coulait dans mes veines.

Horace p. 101

Pourvu qu'on se borne à des causeries, on peut occuper et amuser ses auditeurs à ses risques et périls, en usant de ce procédé. Mais quand on fait de la parole un emploi plus solennel, il faut peut-être savoir ce qu'on prétend dire et prouver. Horace n'était pas embarrassé de le trouver sans une discussion ; mais ses opinions, auxquelles il ne croyait qu'au moment de les émettre, ne pouvaient pas échauffer le fonds de son cœur, émouvoir son imagination, et opérer en lui ce travail intérieur, mystérieux, puissant, qui a pour résultat l'inspiration, comme l'œuvre des cyclopes, qui était manifestée par la flamme de l'Etna.

Ne comprenant pas les causes de son impuissance, il se trompait en l'attribuant au dégoût de la forme. La forme était la seule richesse qu'il eut pu acquérir dès lors avec de la patience et de la volonté ; mais cela n'aurait jamais suppléé à un certain fond qui lui manquait essentiellement, et sans lequel les œuvres littéraires les plus chatoyantes de métaphores, les plus chargées de tours ingénieux et charmants, n'ont cependant aucune valeur.

La société légitimiste était encore, en 1831, d'une médiocrité d'esprit incroyable ; Cette ancienne causerie française, qu'on a tant vantée, est aujourd'hui perdue dans les salons. Elle est descendue de plusieurs étages ; et si l'on veut trouver encore quelque chose qui y ressemble c'est dans les coulisses de certains théâtres ou dans certains ateliers de peinture qu'il faut aller la chercher. (...) Elle (la bourgeoisie) a bien prouvé qu'elle avait plus d'esprit de conduite que la noblesse ; quant à de l'esprit proprement dit, elle n'en a qu'à la seconde génération. Les parvenus de ce temps-ci ont poussé à l'ombre de l'industrie, dans l'atmosphère pesante des usines, l'âme toute préoccupée de l'amour du gain et toute paralysée par une ambition égoïste. Mais leurs enfants, élevés dans les écoles publiques, avec ceux de la petite bourgeoisie, qui, à défaut d'argent, veut parvenir, elle aussi, par les voies de l'intelligence, sont en général incomparablement plus cultivés, plus vifs et plus fins que les héritiers étiolés de l'aristocratie nobiliaire.

Correspondance Tome XVI, à E.Rodriguez, 17.04.1863

La liberté ayant été l'élément nécessaire et général, la fraternité le moyen individuel et collectif, l'égalité sera le couronnement universel et dès lors l'homme pourra marcher sous l'œil de Dieu et le comprendre. Mais jusque là que de nuages entre lui et nous. Soyons chrétiens dans l'église de la Fraternité qui s'appelle " République ". Soyons citoyens dans le monde de la Liberté qui s'appelle aussi " République ". Soyons philosophes dans la société de l'Egalité qui s'appelle toujours République ".

Spiridion, p.273

Si l'église avait pu conformer tous les points de sa doctrine à cette sublime définition des trois vertus théologales : la Foi, l'Espérance, la Charité, elle serait la Sagesse, la Justice, la Perfection. Et l'Eglise Romaine s'est portée le dernier coup ; elle a consommé son suicide le jour où elle a fait Dieu implacable et la damnation éternelle. Ce jour là tous les grands cœurs se sont détachés d'elle ; et l'élément d'amour et de miséricorde manquant à sa philosophie, la théologie chrétienne n'a plus été qu'un jeu d'esprit, un sophisme où de grandes intelligences se sont débattues en vain contre leur témoignage intérieur, un voile pour couvrir de vastes ambitions, un masque pour cacher d'énormes iniquités.

Mlle La Quintinie

Mais il y a autre chose que la doctrine cléricale, il y a le parti clérical, dont les menées rentrent dans l'ordre des agitations politiques, et qui dès lors, peut, à un jour donné, faire éclater un vaste complot contre le principe de la liberté sociale et individuelle.

Ce parti veut à coup sûr combattre les progrès de la raison, atrophier le sens de la liberté dans l'homme, et, pour en venir à ses fins, il a une arme qui paraît toute puissante, il a une apparence de doctrine.

Voilà où nous en sommes, et pourtant ce parti, cette nouvelle Eglise, cette longue procession qui enlace la France dans ses plis nombreux, étouffant et bâillonnant les simples qui se trouvent sur son passage, elle marche, elle chante, elle prie, elle râle, elle invective, et elle ne sait pas ce qu'elle croît, elle ne croît peut-être à rien ; elle ne connaît pas la nature et les qualités de son Dieu ; elle n'oserait soutenir qu'il est méchant, mais elle oserait encore moins contredire le prêtre et renier hautement le dogme de l'enfer.

Cette lumière, qu'au dernier siècle la philosophie a cherchée avec une noble audace et de mémorables succès, se dégage beaucoup mieux de la philosophie de notre époque. Elle ne s'appuie plus sur ce qu'on appelait la raison, elle n'est plus exclusivement expérimentale, elle ne sépare pas la raison de la foi, la réalité de l'idéal. Les sciences naturelles commencent à trouver Dieu au bout de toutes leurs voies, c'est-à-dire la loi des lois, la loi mère, la grande logique souveraine, l'effusion immense, la vie sans lacune, la force sans épuisement, l'éternel renouvellement progressif de tout ce qui est, par conséquent l'éternelle sagesse et l'infinie beauté...

CORRESPONDANCE TOME X, À P.Bocage, 30.06.1851, p. 345-346

Je suis communiste comme on était chrétien en l'an 50 de notre ère. C'est pour moi l'idéal des sociétés en progrès, la religion qui vivra dans quelques siècles. Je ne peux donc me rattacher à aucune forme du communisme actuel puisqu'elles sont toutes assez dictatoriales et croient pouvoir s'établir sans le concours des mœurs, des habitudes et des convictions. Aucune religion ne s'établira par la force. Nous marchons doucement et naturellement à celle-là, par le principe de l'association. Le vrai législateur sera celui qui aura le communisme en vue dans l'avenir comme la vraie lumière vers laquelle il doit marcher, mais qui n'agira dans le présent qu'en raison du concours libre et progressif des volontés.

L'Eclaireur de l'Indre, 23.11.1844

Il n'y (aurait) pas d'âge d'or dans la forêt primitive de Rousseau, si l'homme n'y vivait pas dans une solidarité complète avec ses frères. L'homme n'est ni bon ni méchant dans les conditions de l'isolement, il n'existe pas à l'état d'homme (mais) l'homme n'a pas été créé, dans les fins divines, pour vivre seul, et encore moins pour vivre en lutte avec ses semblables (...) l'homme est né solidaire de l'humanité toute entière.

Les petites affiches de La Châtre du 16.03.1848

Le présent ô peuple ! Tu l'as trouvé : c'est la place publique, c'est la liberté : c'est la forme républicaine qu'il faut conserver à tout prix : c'est le droit de penser, de parler, d'écrire ; c'est le droit de voter et d'élire des représentants, sources de tous les autres droits ; c'est le droit qu'aucune forme monarchique ne peut consacrer ; c'est le droit de vivre ; c'est l'unique moyen de te rapprocher promptement de tes frères des autres classes, et de faire le miracle de l'union fraternelle qui détruira toutes les fausses distinctions, et rayera le mot même de classes du livre de l'humanité nouvelle.

La revue indépendante, tome XI, p.563-566, 11-12.1843

Le peuple est l'initiateur providentiel, fatal, nécessaire et prochain, aux principes d'égalité contre lequel le vieux monde lutte encore. Lui seul est le dépositaire du feu sacré qui doit réchauffer et renouveler par la conviction et l'enthousiasme cette société malade et mourante d'inégalité. (C'est) le Messie promis aux nations (et le successeur) du prolétaire Jésus.

Nanon p. 122-123

Des hommes qui ont fait la Saint-Barthélémy et la révocation de l'édit de Nantes, qui ont toujours conspiré contre les rois et contre les peuples, faisant le mal sans remords et prêchant le crime sans effroi en vue de l'esprit de corps, arrivent vite à n'être plus rien. On ne vit pas toujours de mensonges, on en meurt ; un beau jour, cela vous étouffe. Eh bien, vous me demandez ce que c'est que les jacobins. Autant que je peux le savoir et en juger, ce sont des hommes qui mettent la révolution au-dessus de tout et de leur propre conscience, comme les prêtes mettent l'Eglise au-dessus de Dieu même. En torturant et brûlant des hérétiques, le clergé disait : " C'est pour le salut de la chrétienté. " En persécutant les modérés, les jacobins disent : " C'est pour le salut de la cause ", et les plus exaltés croient peut-être sincèrement que c'est pour le bien de l'humanité. Oh ! Mais qu'ils prennent garde ! C'est un grand mot, l'humanité. Je crois qu'elle ne profite que de ce qui est bien et qu'on lui fait du mal en masse et longtemps quand on lui fait un mal passager et particulier. Après ça, je ne suis qu'un pauvre homme qui voit les choses de trop loin, et qui mourra bientôt. Vous jugerez mieux vous autres qui êtes jeunes ; vous verrez si la colère et la cruauté qui sont toujours au bout des croyances de l'homme réussissent à amener des croyances meilleures. J'ai peine à croire, je crois que l'Eglise a péri pour avoir été cruelle. Si les jacobins succombent, pensez au massacre des prisons, et alors vous direz avec moi : On ne bâtit pas une nouvelle Eglise avec ce qui a fait écrouler l'ancienne.
(...) ceux qui auront trempé leurs mains dans le sang ne feront rien de ce qu'ils auront voulu faire, et si le monde se sauve, ce sera autrement et par d'autres moyens que nous ne pouvons pas prévoir.

Le meunier d'Angibault, p. 458 (1845).

La vue de l'or avait ranimé Mr Bricolin. Il se mit à table, trinqua avec le meunier, embrassa sa fille et remonta sur son bidet entre deux vins, pour aller mettre ses maçons à l'ouvrage. " Comme ça, se disait-il en souriant, j'ai toujours (la propriété de) Blanchemont pour 250.000 francs, et même pour 200.000 francs puisque je ne dote pas ma dernière fille ! "

Consuelo, Tome 2, p.36

Mais en regardant ces pauvres femmes se tenir debout derrière leurs maris, les servir avec respect, et manger ensuite leurs restes avec gaieté , les unes allaitant un petit, les autres esclaves déjà, par instinct, de leurs jeunes garçons, s'occupant d'eux avant de songer à leurs filles et à elles-mêmes, elle ne vit plus dans ces bons cultivateurs que des sujets de la faim et de la nécessité ; les mâles enchaînés à la terre, valets de charrue et de bestiaux ; les femelles enchaînées aux maîtres, c'est-à-dire à l'homme, cloîtrées à la maison, servantes à perpétuité, et condamnées à un travail sans relâche au milieu des souffrances et des embarras de la maternité. D'un côté, le possesseur de la terre, pressant ou rançonnant le travailleur jusqu'à lui ôter le nécessaire dans les profits de son aride labeur ; de l'autre, l'avarice et la peur qui se communiquent du maître au tenancier, et condamnant celui-ci à gouverner despotiquement sa propre famille et sa propre vie.

Correspondances,Tome VI p.278, à C.Marliani, 13.11.1843

Vous cherchez la morale par la politique, vous ne la trouverez pas, vous chercherez l'humanité hors de Dieu, vous ne la rencontrerez pas. Vous voulez être accoucheurs de la société, et vous ne savez pas ce qu'elle a dans le ventre. Enfin vous travaillez à établir la vérité, sans savoir ce que c'est que la vérité, et vous risquez d'édifier le mensonge et de couronner l'erreur ... J'aurais voulu vous donner, vous communiquer ma vie, parce que je la sens plus intense et plus chaude que la vôtre. ... Vous n'êtes pas, dans l'amour de la vérité, au dessus de l'amour du moi. Je crois que l'avenir est un grand maître, et qu'il vous enflammera quand la bonne nouvelle, l'évangile nouveau se sera formulé par la voix du peuple. Piochez dans le champ aride de la bourgeoisie en attendant. Peut-être l'abandonnerez-vous quand vous y aurez brisé vos pioches. Moi je n'ai rien de bourgeois dans le sang. Je suis la fille d'un patricien et d'une bohémienne, comme le jeune Zdenko de mon roman. Je serai avec l'esclave et avec la bohémienne, et non avec les rois et leurs suppôts. Vous autres, vous croyez abattre les suppôts à force d'habileté, de tactique et de savoir-faire, vous oubliez qu'ils sont plus fins que vous, parce qu'ils sont plus corrompus. La franchise se ferait respecter, l'habileté sera raillée.