Voici un roman que je devais lire de longue date, distingué par le Grand Prix de littérature américaine 2016, au titre assez nébuleux et à la couverture postale. Fun fact : l'auteur est un professionnel des arts martiaux.Comme quoi, la littérature mène à tout. Ou bien le contraire, à vous de voir (parce que, soyons honnête, la littérature ne mène tout de même pas à l'audit financier).
Libres pensées...
Attention, roman qui décoiffe!
On se demande même, au fil des pages, où est-ce qu'on a mis les pieds.
Les protagonistes sont deux jeunes gens malmenés par la vie, et qui s'escriment pour creuser leur sillon, jusqu'à leur rencontre.
D'un côté, Zou Lei, chinoise immigrée aux Etats-Unis, qui va de petit boulot en petit boulot, fuyant la police comme la peste depuis qu'elle a été emprisonnée trois mois pour être en situation irrégulière, et rêvant de détenir le sésame qui lui assurera un futur : un visa.
De l'autre, Skinner, ancien combattant de la guerre en Irak, rentré traumatisé, et dont le choc n'a pas été reconnu comme tel par les services sociaux.
Bref, tous deux de sérieux écorchés, avec des bleus et des bosses, étrangers à toute lamentation, parce qu'ils sont avant tout extrêmement isolés, et font seuls face à un quotidien difficile.
Leurs parcours, leurs personnalités sont très dissemblables, pourtant ils sont comme poussés l'un vers l'autre, et nouent des liens inattendus, mariant leur marginalité, conjurant de toutes leurs forces la solitude qui leur pèse.
Mais le sort ne se contente pas de sourire un beau matin à deux déshérités, si bien que les difficultés ont tôt fait de se rappeler à eux, et d'éprouver cette relation à laquelle ils se raccrochent pour ne pas sombrer.
J'ai été soufflée par la plume d'Atticus Lish, alerte et précise, par sa manière de décrire avec méticulosité ce qui constitue le lot de Zou Lei et Skinner, la pauvreté, les tâches ingrates et le salaire de misère qui les accompagne, le traitement réservé aux clandestins prêts à tout accepter pour pouvoir seulement survivre dans ce pays qu'ils ne veulent quitter à aucun prix, et qui pourtant se montre bien peu accueillant, la vie dans les bas-fonds, dans la rue, en prison, les séquelles de la guerre et l'indifférence de la société dépassée par toutes ces situations individuelles dramatiques.
Les personnages décrits n'ont rien d'images d'Epinal comme on en trouve à la pelle dans certaines romances actuelles, ils sont à la fois nuancés et parfois extrêmes dans leurs réactions, complexes, frappants de réalisme, à l'instar de la peinture sociale qui est faite des petites gens dont grouille New York, les invisibles qui font tenir la ville debout, et font mentir le rêve américain.
Le roman est habilement structuré, nous emporte dans les rues de la ville monde par excellence, pose un regard sans concessions sur ceux qui dérangent, les immigrés et les vétérans en particulier à travers les figures de Zou Lei et Skinner, et l'histoire d'amour qui est au cœur du récit, qui aurait pu n'être qu'anecdotique, en devient le point de fuite, l'essentiel, le nœud, le seul salut possible pour surmonter l'épreuve du réel, pour qu'un semblant de sens et d'espoir se détache du chaos ambiant.
C'est dur, bien sûr, mais c'est aussi très beau.
Pour vous si...
"Elle avait simplement peur que ça soit beaucoup d'efforts pour lui alors qu'il avait déjà un combat à mener. Et si je te fais porter mes problèmes? Peut-être qu'on devrait attendre.
Attendre n'avait aucun sens, d'après lui? Quand on veut faire quelque chose, mieux vaut le faire tout de suite parce qu'on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve."
"Alors qu'elle partait, l'avocat reparut et lui adressa quelques mots tout en rangeant un nouveau dossier dans la bannette. Je vous ai entendue. Si vous vous mariez, il vaudrait mieux que ce soit une véritable union ou vous risquez de gros ennuis. Ça, je peux vous le dire pour rien. Conseil gratis.
Elle ne comprit pas ce qu'il voulait dire. Qu'est-ce que vous entendez par là? Nous sommes peut-être des gens ordinaires, mais nos sentiments sont sincères."
"Si une fille marche seule dans la steppe et qu'elle ne voit rien d'autre qu'un point unique qui se déplace au loin, alors le point la voit aussi. Cerf, homme, loup."
Note finale4/5(très bon)
Libres pensées...
Attention, roman qui décoiffe!
On se demande même, au fil des pages, où est-ce qu'on a mis les pieds.
Les protagonistes sont deux jeunes gens malmenés par la vie, et qui s'escriment pour creuser leur sillon, jusqu'à leur rencontre.
D'un côté, Zou Lei, chinoise immigrée aux Etats-Unis, qui va de petit boulot en petit boulot, fuyant la police comme la peste depuis qu'elle a été emprisonnée trois mois pour être en situation irrégulière, et rêvant de détenir le sésame qui lui assurera un futur : un visa.
De l'autre, Skinner, ancien combattant de la guerre en Irak, rentré traumatisé, et dont le choc n'a pas été reconnu comme tel par les services sociaux.
Bref, tous deux de sérieux écorchés, avec des bleus et des bosses, étrangers à toute lamentation, parce qu'ils sont avant tout extrêmement isolés, et font seuls face à un quotidien difficile.
Leurs parcours, leurs personnalités sont très dissemblables, pourtant ils sont comme poussés l'un vers l'autre, et nouent des liens inattendus, mariant leur marginalité, conjurant de toutes leurs forces la solitude qui leur pèse.
Mais le sort ne se contente pas de sourire un beau matin à deux déshérités, si bien que les difficultés ont tôt fait de se rappeler à eux, et d'éprouver cette relation à laquelle ils se raccrochent pour ne pas sombrer.
J'ai été soufflée par la plume d'Atticus Lish, alerte et précise, par sa manière de décrire avec méticulosité ce qui constitue le lot de Zou Lei et Skinner, la pauvreté, les tâches ingrates et le salaire de misère qui les accompagne, le traitement réservé aux clandestins prêts à tout accepter pour pouvoir seulement survivre dans ce pays qu'ils ne veulent quitter à aucun prix, et qui pourtant se montre bien peu accueillant, la vie dans les bas-fonds, dans la rue, en prison, les séquelles de la guerre et l'indifférence de la société dépassée par toutes ces situations individuelles dramatiques.
Les personnages décrits n'ont rien d'images d'Epinal comme on en trouve à la pelle dans certaines romances actuelles, ils sont à la fois nuancés et parfois extrêmes dans leurs réactions, complexes, frappants de réalisme, à l'instar de la peinture sociale qui est faite des petites gens dont grouille New York, les invisibles qui font tenir la ville debout, et font mentir le rêve américain.
Le roman est habilement structuré, nous emporte dans les rues de la ville monde par excellence, pose un regard sans concessions sur ceux qui dérangent, les immigrés et les vétérans en particulier à travers les figures de Zou Lei et Skinner, et l'histoire d'amour qui est au cœur du récit, qui aurait pu n'être qu'anecdotique, en devient le point de fuite, l'essentiel, le nœud, le seul salut possible pour surmonter l'épreuve du réel, pour qu'un semblant de sens et d'espoir se détache du chaos ambiant.
C'est dur, bien sûr, mais c'est aussi très beau.
Pour vous si...
- Vous vous laisseriez tenter par une fresque résolument moderne prenant pour théâtre New York
- Vos personnages préférés sont les indigents, les laissés-pour-compte, ceux qui sont si nombreux dans les rues des villes mais absents du débat public, des représentations collectives en général.
"Elle avait simplement peur que ça soit beaucoup d'efforts pour lui alors qu'il avait déjà un combat à mener. Et si je te fais porter mes problèmes? Peut-être qu'on devrait attendre.
Attendre n'avait aucun sens, d'après lui? Quand on veut faire quelque chose, mieux vaut le faire tout de suite parce qu'on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve."
"Alors qu'elle partait, l'avocat reparut et lui adressa quelques mots tout en rangeant un nouveau dossier dans la bannette. Je vous ai entendue. Si vous vous mariez, il vaudrait mieux que ce soit une véritable union ou vous risquez de gros ennuis. Ça, je peux vous le dire pour rien. Conseil gratis.
Elle ne comprit pas ce qu'il voulait dire. Qu'est-ce que vous entendez par là? Nous sommes peut-être des gens ordinaires, mais nos sentiments sont sincères."
"Si une fille marche seule dans la steppe et qu'elle ne voit rien d'autre qu'un point unique qui se déplace au loin, alors le point la voit aussi. Cerf, homme, loup."
Note finale4/5(très bon)