Terrible récit que Les portes du néant...
L'auteur y relate trois voyages clandestins dans son pays natal, en Syrie, qu'elle a fui en tant que figure de l'opposition à Assad, et décrit les conditions de vie des civils survivants, ainsi que des combattants, et la lutte qui les oppose au régime et qui se déroule dans l'indifférence témoignée par la communauté internationale.
Elle dit le danger quotidien, les horreurs vues, les exactions commises sur la population.
La résignation des familles dont elle croise la route, le courage de combattants qui se savent condamnés mais veulent mourir debout, défendant la liberté de leur peuple, le soutien que lui apportent certains d'entre eux, et l'encouragent à témoigner de ce qu'elle voit, et aussi la colère, la sienne, à l'égard de la communauté internationale en particulier, qui laisse perpétrer ces crimes sur les Syriens sans intervenir, se constituant en abject voyeur.
La précision des descriptions est bouleversante, tant le récit regorge de scènes macabres. Au fil des pages, les victimes s'amoncellent, les parcours brisés, les vies volées, celles d'hommes, de femmes et d'enfants, indifféremment, en masse et sans fin.
Au-delà du courage qu'il faut pour se rendre par trois fois dans ce pays qu'elle aime tant, il faut saluer celui avec lequel Samar Yazbek met le lecteur, quel qu'il soit, face à ses responsabilités.
Car ce n'est pas de la fiction, qu'elle déroule sous nos yeux, mais la réalité crue et brutale de la guerre, des atrocités qui dépassent ce que les médias retranscrivent, qui tendent à être banalisées alors qu'elles sont insoutenables, qui nous semblent lointaines et dont on a beau jeu de se convaincre qu'elles ne nous concernent pas, et que l'on ne peut rien y faire.
Il s'agit d'une lecture engageante, engagée, très dérangeante bien sûr, et absolument indispensable. Ce n'est qu'ainsi que peut se produire une prise de conscience collective.
"Il n'y a qu'un seul vainqueur en Syrie : la mort. On ne parle que d'elle, partout. Tout est relatif, sujet au doute. La seule chose dont on puisse être certain, c'est que la mort triomphera."
"Où les combattants comme eux puisent-ils leur force? Qui est le plus éloigné du sens de la vie? Eux ou nous? Qui s'approche le plus de l'essence de la vie? Ceux qui vivent leur vie en présence de la mort et lui rient au nez?"
"Le monde extérieur ne croira jamais que ce qui se passe en Syrie - ce dont le monde entier est témoin pourtant - n'est rien d'autre que le désir de la communauté internationale d'assurer son propre salut. D'autres gens meurent à la place. La communauté internationale poursuit sa vie alors même que la vie s'éteint devant ses yeux. Ils sont les survivants et cela suffit. C'est un instinct charnel semblable au désir sexuel. Les voyeurs du monde entier prennent leur pied en regardant la lutte désespérée de la Syrie pour survivre, une scène composée essentiellement de tas de cadavres syriens. Le monde se contente de regarder, de broder, de rendre encore plus sensationnel le spectacle artificiel de la guerre entre Assad et l'EI. [...] La machine médiatique internationale tourne en boucle si bien que chaque nouvelle victime efface la précédente et nous familiarise avec l'atrocité et l'ampleur de la mort. Nous consommons les informations puis nous les jetons à la poubelle."