Je roulais en voiture et j’étais sur le point d’arriver à la maison quand je m’attardai à écouter Caroll, une animatrice de radio que je connaissais bien. À une heure inhabituelle, selon ses horaires normaux de travail, elle animait une émission spéciale pour amasser des dons afin de lutter contre la leucémie. Comme elle en faisait mention, elle avait accepté d’aller faire raser sa belle chevelure pour une activité de financement et il lui manquait 100 $ pour atteindre son objectif de départ, qui avait été fixé à 3000 $.
— Allez, mesdames et messieurs ! Vos dons sont importants. Ils servent pour la recherche contre cette maladie terrible qui enlève la vie à trop d’enfants chaque année. Les statistiques déplorables font état de trop de décès, clamait-elle inlassablement dans son micro pour convaincre son auditoire de téléphoner ou de se rendre au poste pour lui remettre des dons.
Comme j’étais tout près, avec bien évidemment l’image de William qui me souriait et m’incitait à m’activer pour la recherche sur la « lucimie », comme il disait, je me rendis à la station.
Pendant qu’une chanson tournait sur les ondes, j’eus le temps de discuter avec l’animatrice et de lui faire une offre.
— Je vais te donner les 100 $ qui te manquent si tu fais tourner Mon héros.
Caroll ne l’avait pas à portée de la main, mais elle fit une courte recherche et la trouva rapidement, car elle commençait à être populaire dans au Québec. Avant de la faire tourner, elle proposa qu’on discute pendant qu’une autre pièce jouait. Je racontai à Caroll à quel point cet enfant m’avait permis de grandir. Je lui confiai mon amour éternel pour William et la chance inouïe que la vie m’avait offerte de faire que nos chemins se croisent. Je lui confiai les péripéties de sa vie, la philosophie qu’il avait développée et les prières qu’il avait demandées pour Noël. Elle saisit ainsi l’intensité de sa foi, de ses croyances et les espoirs qui le soutenaient.
L’effarement de Caroll me fit prendre conscience à quel point cette histoire était touchante, hors de l’ordinaire. L’animatrice, reconnue pour sa grande sensibilité, pleurait à chaudes larmes pendant que je lui racontais les derniers mois de la vie de ce gamin qui m’avait « engagée » pour l’aider dans ses démarches de communication avec le Bon Dieu. Avec des trémolos dans la voix, juste avant de faire tourner Mon héros pour ses auditeurs, elle résuma avec émotion l’histoire de William.
Pendant que la voix de la belle Annie Villeneuve entonnait sa chanson pour la première fois sur les ondes de cette radio, l’animatrice ferma les yeux pour écouter attentivement les paroles éclatantes de vérité et la très jolie mélodie.
« Et du plus haut de tes trois pommes, tu as dirigé ton navire avec le courage de cent hommes, devant un trop court avenir », répéta Caroll, la voix étranglée par les larmes.
Sur les ondes, elle raconta combien cette histoire était singulière et invita tous ses auditeurs à téléphoner pendant les dernières minutes de son émission. Il n’est pas nécessaire d’ajouter qu’elle a largement dépassé son objectif monétaire.
Juste avant que je ne quitte la station, Caroll me questionna sur la date du décès de William. Comme je ne l’avais pas en mémoire, je lâchai un coup de fil à sa mère.
— Au moment même où on se parle, à la minute même, ça fait un an. Il est décédé à six heures exactement. Même dans l’au-delà, il se sert encore de SA journaliste. Il se sert encore de toi, me murmura sa maman avec un chagrin qui cassait sa voix.
En raccrochant, je frissonnais de tout mon être.
Mais où es-tu ?
Aussi loin sans même une adresse
Et que deviens-tu ?
L’attente est ma seule caresse
Et je t’aime encore
Comme dans les chansons banales
Et ça me dévore
Et tout le reste m’est égal
De plus en plus fort
À chaque souffle à chaque pas
Et je t’aime encore
Et, toi, tu ne m’entends pas
Je t’aime encore, Céline Dion
Quand je sortis de la station, j’étais perplexe devant cette étrange situation qui me faisait frapper aux portes de l’au-delà. J’arrêtai mon auto devant le grand lac Saint-Jean dont les eaux déferlaient, et insérai le disque de Renaud qui était accroché au pare-soleil. Les paroles avaient maintenant un sens nouveau. Dans cette chanson si mélancolique, Renaud a mal au temps et éprouve la nostalgie des bonbons de son enfance.
Assise sur un banc, avec le dessin que William m’avait offert, je me sentais perdue, devant l’immensité des vagues et de cette mer, je m’imaginais avec William et j’écoutais la romance Mistral gagnant.
À m’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s’en va
Te parler du bon temps qu’est mort et je m’en fous
Te dire que les méchants, c’est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n’est que de tes yeux
Car ils ont l’avantage d’être deux
Et entendre ton rire s’envoler aussi haut
Que s’envolent les cris des oiseaux
Te raconter enfin qu’il faut aimer la vie
Et l’aimer même si le temps est assassin
Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants
Et les mistrals gagnants
La nuit, je rêve parfois de William. J’entends ses discours quand il conseillait d’aimer la vie ou quand il transigeait avec Dieu. J’entends ses prières pendant que je bois un Pepsi et déguste un chocolat sucré comme le bonheur. Dans ces rêves, je tourne mes yeux vers les étoiles et, du haut du ciel, William me parle. Il est vivant et il sourit au soleil en marchant au bord d’une mer, main dans la main avec Marie. Parfois il s’arrête pour lancer un caillou qui fait des bonds sur l’eau. Avec le bout de son doigt, William compte les bonds du caillou. Dans mes rêves, il est heureux. Et Jésus, qui est son ami, sourit et marche à ses côtés.
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Notice biographique
Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :
-Le génocide culturel camouflé des indiens
-Ta gueule, maman
-Les dessous de l’intimidation
-Des fleurs pour Rosy
-T’as besoin de moi au ciel ?