Ah, les années folles.... Ah, Fitzgerald, Hemingway, Joyce, Kiki et Man Ray, tous ces noms qui donnent envie de sourire et de boire en douce les volets fermés, en jouant au cadavre exquis en tenue de lumière faite de plumes et de couleurs chatoyantes...Le titre me faisait de l’œil, le bandeau type Gatsby m'aguichait carrément, il n'en fallait pas tant pour me faire plonger.
Libres pensées...
La nuit pour adresse est un récit tout à fait original, puisqu'il s'agit d'une biographie romancée.
Le protagoniste est Robert McAlmon, un homme à la vie incroyable, très réputé de son vivant, qui n'a néanmoins pas accédé à la postérité, contrairement à certains auteurs qu'il a aidés à percer en les publiant, à commencer par Hemingway.
Le travail de documentation qui sous-tend le livre est herculéen, tant concernant le parcours de McAlmon que le contexte historique et l'époque qui sert de cadre au roman.
Difficile, partant, de faire la part entre le réel et le romancé, mais c'est sans doute aussi ce qui fait l'intérêt de l'oeuvre, où la ligne de démarcation n'est pas toujours claire : l'Histoire s'étant révélée injuste envers McAlmon en le laissant sombrer dans l'oubli, l'auteur a toute la liberté du monde pour le réhabiliter. Entreprise qui lui tient à cœur, car la tendresse portée au protagoniste est sensible dans les pages de La nuit pour adresse.
Il est émouvant, au premier abord, de croiser les figures connues de cette époque dorée (qui ne l'était pas tant, mais qui a été transmise ainsi aux générations suivantes), et de voir s'animer McAlmon, au centre d'un monde dont on aurait juré qu'il était absent, tant il nous est familier au travers des représentations que l'on s'en fait, grâce à Gatsby, grâce à toutes les reconstructions de ces années-là qui ne le mettent jamais en scène, oublieuses, imparfaites.
La relation entre McAlmon et Joyce ne laisse pas de marbre, on a soudain l'impression qu'Ulysse doit beaucoup à l'éditeur, soutien inconditionnel de Joyce, compagnon de fête (tous deux avaient un goût prononcé pour l'alcool) et rédacteur à ses heures (c'est lui qui a dactylographié les cinquante dernières pages de l'oeuvre, dans laquelle il a même laissé au passage son empreinte).
Celle qui le liait à Hemingway est davantage ombrageuse, et lourde de conséquences, puisqu'elle lui devra d'être éclipsé et de se retrouver isolé, alors que c'est à lui que Hemingway doit sa première publication. La mise en exergue de leur rapport à la virilité est très intéressante, et module la perception que l'on a pu avoir de Hemingway, auteur largement célébré, dont on a eu tôt fait d'oublier le caractère très particulier, rappelant les accents de la mégalomanie (dimension néanmoins incarnée merveilleusement par Gertrude Stein, dont certaines déclarations surprenantes sont rappelées dans le livre).
A travers le prisme proposé par l'auteur, consistant à remettre McAlmon à la place qui était la sienne comme s'accordent à en attester les témoignages exhumés datant de cette époque, on revisite un temps que l'on croyait connaître, des figures dont on a côtoyé les noms sans toujours comprendre les relations qui les liaient les unes aux autres. Et, bien entendu, on fait connaissance avec Robert McAlmon, les milles facettes de sa personnalité patiemment dessinées à l'épreuve de ce qu'a été sa vie, ses hauts et ses bas, plus excessifs qu'ils ne le sont pour le commun des mortels, et contribuent à appréhender la vie de McAlmon comme une fulgurance.
Noceur incorrigible, mélancolique, exalté, loyal, entier, il ne manque pas de qualificatifs pour décrire McAlmon, comprendre l'admiration qu'il peut susciter, et s'interroger sur ce qui a pu conduire à sa fin abrupte, incompréhensible.
La nuit pour adresse est une ode à un homme hors du commun, auquel l'Histoire n'a pas rendu justice. C'est aussi une réflexion sur ce qui fait l'Histoire, et sur le pouvoir des générations actuelles de la réinterpréter, de la faire évoluer, et de revenir sur certaines de ses imprécisions et de ses oublis en nous démontrant qu'ils ne sont pas fatals.
Pour vous si...
Morceaux choisis
"Il avait le sentiment de subir un peu les gens. Il n'en attendait pas grand-chose, ces gens le décevaient fréquemment, pourtant il continuait de chercher leur compagnie. Que ce fût par altruisme ou par inertie, il ne savait pas dire non."
"McAlmon et Eluit s'appréciaient mais leur vision de la création différait. Pour McAlmon il était évident que ses livres se nourrissaient de son expérience au monde. Et il serait toujours fidèle à ses convictions, à ce qu'il était : un homme attentif aux autres, malgré les déceptions et les coups."
"Avec du recul, Kay aurait compris qu'elle était juste arrivée trop tard dans sa vie. Personne ne peut remonter le temps, défaire l'ordre des sentiments... Et ça, en fait, McAlmon le lui avait dit dès le soir du Lipp. Elle avait préféré l'ignorer mais il lui avait bel et bien confié qu'il se sentait usé, incapable de se relancer dans une relation qui le ferait forcément souffrir. Même si Kay lui plaisait plus que toutes les autres filles qui lui tournaient autour, il n'aspirait plus qu'à un peu de légèreté."
"Parmi les expatriés, Robert McAlmon, arrivé à Paris un des tout premiers, resta un des derniers. La fête finie, il dériva encore un peu dans la capitale, jusqu'à ce que la guerre le chasse lui aussi."
Note finale5/5(coup de cœur)
Libres pensées...
La nuit pour adresse est un récit tout à fait original, puisqu'il s'agit d'une biographie romancée.
Le protagoniste est Robert McAlmon, un homme à la vie incroyable, très réputé de son vivant, qui n'a néanmoins pas accédé à la postérité, contrairement à certains auteurs qu'il a aidés à percer en les publiant, à commencer par Hemingway.
Le travail de documentation qui sous-tend le livre est herculéen, tant concernant le parcours de McAlmon que le contexte historique et l'époque qui sert de cadre au roman.
Difficile, partant, de faire la part entre le réel et le romancé, mais c'est sans doute aussi ce qui fait l'intérêt de l'oeuvre, où la ligne de démarcation n'est pas toujours claire : l'Histoire s'étant révélée injuste envers McAlmon en le laissant sombrer dans l'oubli, l'auteur a toute la liberté du monde pour le réhabiliter. Entreprise qui lui tient à cœur, car la tendresse portée au protagoniste est sensible dans les pages de La nuit pour adresse.
Il est émouvant, au premier abord, de croiser les figures connues de cette époque dorée (qui ne l'était pas tant, mais qui a été transmise ainsi aux générations suivantes), et de voir s'animer McAlmon, au centre d'un monde dont on aurait juré qu'il était absent, tant il nous est familier au travers des représentations que l'on s'en fait, grâce à Gatsby, grâce à toutes les reconstructions de ces années-là qui ne le mettent jamais en scène, oublieuses, imparfaites.
La relation entre McAlmon et Joyce ne laisse pas de marbre, on a soudain l'impression qu'Ulysse doit beaucoup à l'éditeur, soutien inconditionnel de Joyce, compagnon de fête (tous deux avaient un goût prononcé pour l'alcool) et rédacteur à ses heures (c'est lui qui a dactylographié les cinquante dernières pages de l'oeuvre, dans laquelle il a même laissé au passage son empreinte).
Celle qui le liait à Hemingway est davantage ombrageuse, et lourde de conséquences, puisqu'elle lui devra d'être éclipsé et de se retrouver isolé, alors que c'est à lui que Hemingway doit sa première publication. La mise en exergue de leur rapport à la virilité est très intéressante, et module la perception que l'on a pu avoir de Hemingway, auteur largement célébré, dont on a eu tôt fait d'oublier le caractère très particulier, rappelant les accents de la mégalomanie (dimension néanmoins incarnée merveilleusement par Gertrude Stein, dont certaines déclarations surprenantes sont rappelées dans le livre).
A travers le prisme proposé par l'auteur, consistant à remettre McAlmon à la place qui était la sienne comme s'accordent à en attester les témoignages exhumés datant de cette époque, on revisite un temps que l'on croyait connaître, des figures dont on a côtoyé les noms sans toujours comprendre les relations qui les liaient les unes aux autres. Et, bien entendu, on fait connaissance avec Robert McAlmon, les milles facettes de sa personnalité patiemment dessinées à l'épreuve de ce qu'a été sa vie, ses hauts et ses bas, plus excessifs qu'ils ne le sont pour le commun des mortels, et contribuent à appréhender la vie de McAlmon comme une fulgurance.
Noceur incorrigible, mélancolique, exalté, loyal, entier, il ne manque pas de qualificatifs pour décrire McAlmon, comprendre l'admiration qu'il peut susciter, et s'interroger sur ce qui a pu conduire à sa fin abrupte, incompréhensible.
La nuit pour adresse est une ode à un homme hors du commun, auquel l'Histoire n'a pas rendu justice. C'est aussi une réflexion sur ce qui fait l'Histoire, et sur le pouvoir des générations actuelles de la réinterpréter, de la faire évoluer, et de revenir sur certaines de ses imprécisions et de ses oublis en nous démontrant qu'ils ne sont pas fatals.
Pour vous si...
- Vous avez l'injustice en horreur
- Que diriez-vous de rencontrer un homme dont la vie rappelle à s'y méprendre celle de Gatsby?
Morceaux choisis
"Il avait le sentiment de subir un peu les gens. Il n'en attendait pas grand-chose, ces gens le décevaient fréquemment, pourtant il continuait de chercher leur compagnie. Que ce fût par altruisme ou par inertie, il ne savait pas dire non."
"McAlmon et Eluit s'appréciaient mais leur vision de la création différait. Pour McAlmon il était évident que ses livres se nourrissaient de son expérience au monde. Et il serait toujours fidèle à ses convictions, à ce qu'il était : un homme attentif aux autres, malgré les déceptions et les coups."
"Avec du recul, Kay aurait compris qu'elle était juste arrivée trop tard dans sa vie. Personne ne peut remonter le temps, défaire l'ordre des sentiments... Et ça, en fait, McAlmon le lui avait dit dès le soir du Lipp. Elle avait préféré l'ignorer mais il lui avait bel et bien confié qu'il se sentait usé, incapable de se relancer dans une relation qui le ferait forcément souffrir. Même si Kay lui plaisait plus que toutes les autres filles qui lui tournaient autour, il n'aspirait plus qu'à un peu de légèreté."
"Parmi les expatriés, Robert McAlmon, arrivé à Paris un des tout premiers, resta un des derniers. La fête finie, il dériva encore un peu dans la capitale, jusqu'à ce que la guerre le chasse lui aussi."
Note finale5/5(coup de cœur)