Phalène fantôme, Michèle Forbes

Le dernier roman de la sélection du Grand Prix des Lectrices est un premier roman, au titre délicatement énigmatique.

Cette chronique sera au moins l'occasion d'apprendre ce que c'est qu'une phalène (et que c'est un nom féminin).

Phalène fantôme, Michèle Forbes


Une phalène, mes bons amis, est un papillon de nuit.

Et le roman de Michèle Forbes en est parsemé.
A Belfast, nous faisons la connaissance de Katherine, qui est en 1949 une jeune femme passionnée sur le point d'interpréter Carmen, et, en 1969, une mère de famille à première vue proche d'une image d'Epinal.
Le récit se construit en deux temps, se déroulant en parallèle à ces deux moments de la vie de Katherine, soulignant l'écho que l'on peut trouver dans le passé de Katherine pour comprendre la femme qu'elle est devenue.
Car si elle a épousé George, dont elle a eu trois filles, et qui l'aime tendrement, le fantôme de Tom n'est jamais loin, ce tailleur dont elle était follement éprise, qui a confectionné la tenue de lumière dans laquelle elle a fait honneur au rôle de Carmen.

Il m'a fallu quelque temps, pour m'imprégner de l'ambiance particulière qui règne dans Phalène fantôme, et pour me laisser aller à sa poésie.
Le ton qui domine le récit est empreint d'une certaine nostalgie, celle qui envahit Katherine et la déborde (lol, croyez-moi si vous voulez, le jeu de mot n'était pas volontaire...), alors que les souvenirs liés à son histoire d'amour avec Tom refont surface.

Les sens sont mis à contribution et se déclinent au fil des pages, doublés d'une dimension presque onirique, présente dans les images convoquées (celles des phalènes recouvrant Katherine par exemple) et renforcée par l'état de trouble dans lequel Katherine est plongée, ainsi que par l'évocation du passé qui la hante. Autour de son personnage flotte comme un halo étrange.

Les figures de ses filles lui ancrent les pieds sur terre, creusent le fossé qui s'est creusé entre celle qu'elle était jadis et celle qu'elle est devenue, une mère de famille aux secrets enfouis.

J'ai par ailleurs été sensible à l'évolution du regard porté sur George par Katherine, et, partant, par le lecteur. Il apparaît d'abord comme un être dont on se demande s'il faut se défier de lui (il dit n'avoir pas vu le phoque qui a apeuré Katherine), s'il nous inspire de l'indifférence ou même de la distance (il fait un courtisan moins sulfureux que Tom), du dégoût, ou, pour finir, de la tendresse. En dépit de l'histoire de Katherine, qui sort de l'ordinaire, on peut voir dans ces nuances une palette de sentiments réaliste.

Phalène fantôme est un récit éminemment romantique, qui pourrait nous venir d'un autre siècle, et se distingue par le tragique mêlé de poésie qui s'en dégage, comme s'il allait verser à tout moment dans le fantastique, à la manière de certains romans du XIXe siècle.


    Vous savez qu'une porte peut n'être ni ouverte, ni fermée (et sur ce, je vous laisse méditer, mes chers)


"Ma mère m'avait grondée de m'être couchée dans l'herbe humide en chemise de nuit... Mais mon père avait dit que je devais être quelqu'un de très spécial pour qu'il soit arrivé une chose comme ça, que j'aie pu voir tant de papillons, qu'ils m'aient recouvert le corps de cette façon-là. Il les avait appelés des "phalènes fantômes". Il m'avait expliqué que, pour certains, les phalènes fantômes étaient les âmes des morts qui attendaient d'être capturées, mais que, pour d'autres, c'était simplement des papillons de nuit."

"C'était la désinvolture avec laquelle elle était passée aux aveux qui l'avait le plus blessé. Elle le savait. Le ton horriblement ordinaire qu'elle avait employé, elle le savait, l'avait complètement terrassé. Elle avait parlé comme si elle se bornait à évoquer quelque chose qu'elle venait de voir... un lézard dans la cour en contrebas, au milieu des bougainvilliers, sous la lune joufflue."

"Elle comprend que c'est l'amour qu'elle voue à George et l'amour que George lui voue qui a su maintenir cette cohérence dans leur vie. Que les fils de leur amour réciproque sont plus solides et plus entrelacés que n'importe quel rêve ou n'importe quel cauchemar. Un amour vécu, et non pas fantasmé."

"Sa longue chemise de nuit de coton blanc est déployée aussi largement qu'une tente. Une immense peau blanche. Elles vont me trouver irrésistible, se dit-elle. [...] C'est sûr, se dit-elle, les phalènes fantômes vont me trouver irrésistible dans ma chemise de nuit blanche au milieu des giroflées odorantes, du chèvrefeuille et des fleurs de tabac, blottie dans ce petit creux.
[...] Nichée dans cette petite cavité du monde, elle est un piège-enfant pour la maman fantôme. Elle va l'attirer, la capturer et la ramener à la maison."