Il en avait passé du temps à rédiger son annonce. Fébrile, penché sur le papier, raturant, froissant les essais avortés pour finalement aboutir à ce texte. Clair. Efficace :
« Mariano l’Etonnant. Vous avez la sensation d’être écrasé par le poids du monde et de ses drames ? Vous passez vos soirées tristement identiques devant votre livraison de sushis ? Vous faites vos courses toujours le même jour, dans le même magasin et toujours seule ? Votre cœur s’abîme à force de descendre vos poubelles trop légères, trop sérieuses ? Et parfois vous pleurez ? Contactez Mariano. Plus qu’un réconfort, qu’un confident Mariano est l’ami vers qui vous tourner dans la difficulté. Mariano vous garantit l’amour, le vrai. 06 87 78 63… »
Il l’avait lue. Relue. Corrigée. Retouchée et enfin imprimée. Il était bien resté dix minutes à contempler son annonce finie. Lettres nettes d’un noir professionnel, mise en page convaincante. La providence sur papier glacé. Il rayonnait de fierté, confiant et un peu ému. Il avait repéré les boites aux lettres. Il l’avait déposée avec solennité. Avec l’impression de lancer le mécanisme d’une machine à miracles. La clé des rouages de sa réussite. Puis il était rentré chez lui, courant presque. Il attendait. Le portable reposait devant lui, figé, sur la table de salon vide. Et Mariano, en équilibre au bord du canapé, dans une tension de tout le corps, était prêt à bondir. Tout allait changer. Il se le répétait comme une litanie qui venait alimenter sa foi inébranlable. Sa vie ne tenait plus qu’à un fil, à ce coup de fil qui ne venait pas. Il s’était tellement préparé qu’il ne concevait pas l’échec.
Un jour, deux, bientôt trois et le téléphone, sombre aux reflets distants, s’entêtait dans un silence taciturne, entraînant le cœur de Mariano dans un mutisme désabusé. Ses espoirs s’amenuisaient à mesure que s’installait le silence. Pourtant, il ne s’était pas trompé : l’histoire des courses, les larmes, le livreur… Il avait observé. Il avait constaté. Autant de détails qui tissaient le banal d’une vie uniforme et grise, conjuguée invariablement au singulier.
Le lendemain, lui donna l’occasion de confirmer son analyse. La jeune femme qui s’approchait avait les yeux rougis d’un débordement d’émotions récent. Elle portait un sac poubelle trop vaste pour le peu du quotidien qu’il contenait. Ils se croisèrent dans le hall. Ils se saluèrent. Poliment. Indifféremment. Comme le font les inconnus qui partagent les mêmes lieux de passage. Là encore, il put voir : la poupée vaudou pendue au porte-clés, le pendentif d’os et de plume. Et à la base du cou, cette figure mystique finement tatouée d’un noir d’encre. C’est sûr, la superstition s’attachait à ses moindres mouvements, comme une ombre. Elle devait être sensible aux signes, au destin.
Il regagna son canapé, infatigable vigie de la téléphonie, certes mobile, mais terriblement muette. Son cœur se serrait à l’idée des larmes qu’elle avait versées, seule dans son appartement plein de l’écho des vies des autres. Elle. Celle dont il était amoureux depuis des mois. De longues semaines de rencontres épisodiques et frileuses qui le bouleversaient. Il avait tout planifié. La tenue qu’il porterait pour la recevoir, le plat qui mijoterait pendant qu’il l’écouterait, les demi-vérités qu’il lui avouerait. Elle viendrait avec ses tristesses, il lui offrirait la chaleur d’une présence. Ils se reverraient, et un jour elle comprendrait. Alors pourquoi n’appelait-elle pas ? Il fut tiré de ses pensées par une vibration sourde, un tremblement de terre de fourmis qui résonnait dans toute la table. À chaque semonce, le téléphone se déplaçait de quelques centimètres. Il sonnait.
L’auteure
Fille du nord, née à Arras en 1976, elle étudie d’abord les arts puis l’histoire moderne. A 25 ans elle devient professeur des écoles à Berck sur Mer, se spécialise dans l’enseignement du Français Langue Étrangère et passe trois ans à travailler avec les enfants en demande d’asile. En 2007, elle quitte tout pour vivre à Madrid où elle intègre le centre international de services d’IBM. C’est au cœur de la capitale espagnole que naît son envie d’écrire. Un projet d’écriture à long terme commence à se former. De retour en France, en région parisienne, elle s’inscrit aux ateliers d’écriture « En roue libre »qu’elle suit jusqu’en 2016. Elle participe également aux ateliers d’écriture du Prix du Jeune Écrivain sous la direction de Christiane Baroche. En 2017, elle publiera son premier roman: Shana, fille du ventaux éditions Phénix d’Azur.
Publications :
Le poids de la poussière accumulée (Recueil « Les femmes nous parlent »)
Éditions Phénix d’Azur – septembre 2016 – Recueil de nouvelles
Fers d’encre et de papier (Recueil « Le chant du monde »)
Éditions Rhubarbe – avril 2015 – Recueil de poèmes et de nouvelles
Jeux d’ombres et de lumière (Recueil « Derrière la porte… »)
Opéra Éditions – 14 novembre 2014 – Prix littéraire 2014