261. — Certains artistes semblent toujours s’excuser des applaudissements qu’ils suscitent. À la télé, au contraire, des professionnels de l’adulation — qui n’ont d’artiste que l’appellation incontrôlée — commandent des hurlements de joie et des exclamations enthousiastes au moment opportun, c’est-à-dire pour placer une pub. Rires préenregistrés et applaudissements sur commande sont les pires injures qu’on n’ait jamais faites à la liberté du spectateur. Mais qui vous parle de spectateur et de liberté ? Il ne s’agit que de consommateurs captifs et de segments d’auditoire.
262. — S’il est vrai que notre cerveau est mémoire et calcul et que sa taille a un rapport avec sa performance, maintenant que nous avons de monstrueux ordinateurs pour faire tout cela mieux que nous, notre tête va-t-elle, à sa suite et à la mesure de sa désaffectation, diminuer ?
263. — Marchands frénétiques, commerçants hallucinés, riches en pure perte, nous sommes cependant nus de l’indigence de nos pensers.
264. — Le propre de Dieu, c’est d’être le figuré de l’homme. Et de cette saleté de relation, le Diable n’est que la métaphore ironique.
265. — On appelle « vedette » quiconque peut faire des insignifiances de sa vie des affaires d’État et « politicien » quiconque fait des affaires de l’État des insignifiances.
266. — La vérité de l’homme, c’est que c’est un prédateur qui a longtemps essayé de s’en montrer honteux — on appelle ça la civilisation —, mais qui vient, avec un soulagement partout manifeste, d’y renoncer.
267. — Les vrais voyageurs savent que l’on n’arrive jamais nulle part. Et c’est pour ça qu’ils voyagent.
268. — Les gens ont des petitesses qui parfois ne correspondent pas à leurs grandeurs. Et qui dès lors finissent par devenir bien plus visibles, à cause de la démesure qu’on voit tout de suite entre elles.
269. — Quand les médias parlent de chaleur humaine, on entend le froid du métal qui tombe dans leur tiroir-caisse.
270. — Lorsqu’elle est imposée, la convivialité est la pire des agressions. Comme le tutoiement, elle rabaisse celui à qui on la fait subir.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le laJbyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette ChroJnique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).