Bonjour à tous !
Après une plutôt longue absence du blog (compensée par les super articles de Mlle Jeanne) je reviens avec une série d’avis sur des livres un peu différents de mes lectures habituelles. En clair, des livres lus pour les cours (de philo). J’ai eu de très belles surprises (comme avec cette pièce de théâtre) mais aussi de petites déceptions (à découvrir bientôt
Juin 1938. Freud est avec sa fille Anna, qui essaye de le convaincre de partir de Vienne pour échapper aux persécutions contre les juifs. La visite d’un nazi qui les menace et leur vole leurs dernières économies achève de le décider. C’est alors qu’un mystérieux visiteur fait son entrée. Sans jamais donner explicitement son identité, il remet en question l’athéisme de Freud et engage avec lui un passionnant débat…
J’ai beaucoup aimé cette pièce de théâtre. On y retrouve à la fois un aspect très historique (on rencontre ainsi Freud à la fin de sa vie, ce qui est passionnant) et un aspect assez fantastique (l’arrivée d’un inconnu pour lequel on ne sait pas s’il existe réellement ou s’il est une hallucination de Freud) qui rendent la pièce très dynamique.
Les personnalités des personnages sont également très travaillées, ce qui est intéressant : en effet on observe un Freud traité à la manière d’un mythe (celui de l’inventeur de la psychanalyse) mais qui, arrivé à la fin de sa vie, doute et est prêt à remettre en question ses certitudes. De la même manière j’ai beaucoup apprécié le personnage d’Anna (sa fille), qui est loin d’être une femme parfaite (elle a un caractère très affirmé) mais qui ne manque pas de courage. Je ne savais pas qu’elle avait joué un aussi grand rôle auprès de son père à la fin de sa vie et cela m’a beaucoup intéressée.
J’ai trouvé que la pièce était très bien écrite, on y trouve aucune longueur ni lourdeur, mais le fait que le narrateur sous une extériorité apparente prenne position dans les didascalies m’a parfois gênée. En effet je trouve qu’il est dommage que l’on perçoive autant son point de vue dans la manière dont sont écrites les didascalies (elles ne sont jamais écrites comme si l’inconnu pouvait être un homme, mais toujours comme s’il était doué d’une sorte d’omniscience et de supériorité vis-à-vis de Freud. Lorsqu’il s’agit de didascalies concernant l’Inconnu on ne trouve pas seulement des indications scéniques ou de jeu pour les acteurs mais également des remarques sur l’état d’esprit de l’Inconnu).
Intérêt philosophique du Visiteur : (attention quelques spoilers
Le Visiteur est une sorte de réponse à L’avenir d’une illusion de Freud. Dans L’avenir d’une illusion, Freud expliquait que la religion n’était qu’une illusion, une chimère à laquelle il fallait renoncer. Dans sa pièce Eric-Emmanuel Schmitt imagine quelle aurait pu être la réponse de Dieu aux arguments de Freud.
Ainsi le passage où L’Inconnu demande à Freud si son athéisme n’est pas un refoulement de son désir de croire en Dieu est très intéressant. En effet il permet de renverser l’argumentation de Freud et de la voir d’une autre manière. L’athéisme pourrait aussi bien être une illusion que la religion. L’Inconnu rappelle à Freud qu’on a pas plus de preuve de l’existence de dieu que de sa non existence.
De plus la pièce offre un autre point de vue que celui de Freud sur la religion. Ce que Freud appelle le courage de voir la vie telle qu’elle est, c’est-à-dire un hasard, semble être pour l’inconnu du désespoir.
Ce qui est également très intéressant dans cette pièce c’est que dans L’avenir d’une illusion, Freud expliquait qu’une éducation à la raison permettrait de montrer à quel point la religion est une illusion. Or l’Inconnu tient un raisonnement tout à fait construit lorsqu’il parle de l’existence de Dieu. Cette pièce pourrait donc être une manière pour Eric-Emmanuel Schmitt de répondre à Freud, en montrant que la raison permet effectivement de refuser l’existence de Dieu mais que la foi peut également échapper à la raison car certaines choses dans l’existence sont mystérieuses :
« Jusqu’à ce soir tu pensais que la vie était absurde. Désormais tu sauras qu’elle est mystérieuse. »
Biographie de l’auteur :
Eric-Emmanuel Schmitt est né le 28 mars 1960 en France. Ce dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur français (naturalisé belge en 2008) est passé par l’école normale supérieur et est agrégé de philosophie. Il a tout d’abord écrit des pièces de théâtre comme La nuit de Valognes ou Le Visiteur et s’est ensuite tourné vers l’écriture de romans parmi lesquels L’Evangile selon Pilate, la Part de l’autre et Oscar et la Dame Rose. Ses écrits ont souvent des thèmes religieux (il a écrit sur le judaïsme, le christianisme, le boudhisme…). Il se consacre aujourd’hui à l’écriture cinématographique et romanesque.
Yoko