Keigo HIGASHINO
Traduit du japonais par Yutaka MAKINO
Editions Babel noir, novembre 2011. (Paru au Japon en 1994 sous le titre : Mukashi bokuga shinda ie )
256 pages
Thèmes : Mort, mémoire, famille, traditions, enfance, maltraitances, psychologie.
C'est au Salon du Livre de Paris 2012 que j'ai acheté ce livre, attirée par la couverture.
Une couverture qui me semble encore bien mystérieuse, même après avoir lu, et relu, cet intense thriller psychologique.
Son titre, énigmatique, fait référence à la part d'enfance et de soi qu'on laisse, consciemment ou non mais inéluctablement, dans la maison qui nous a vus grandir. Une mort plus ou moins petite, plus ou moins douce.
Pourtant, c'est en participant à une autre histoire que la sienne que le narrateur en prend conscience et qu'il revient sur son passé d'enfant adopté.
La maison où l'on m'avait forcé à choisir entre ma vraie mère et mes parents d'adoption. La maison où j'avais été obligé de jouer jusqu'au bout le rôle du fils docile. La maison où j'ai appris que chacun est irrémédiablement seul.
Peut-être que moi aussi j'étais mort dans cette vieille maison ? Enfant j'étais mort là-bas et mon cadavre avait attendu pendant tout ce temps que je vienne à sa rencontre. D'ailleurs, chacun n'a-t-il pas une maison où l'enfant qu'il était est mort autrefois ?
On fait seulement semblant de ne pas voir qu'il s'y trouve encore parce qu'on ne tient pas à le rencontrer.
Pages 253-254.
Ce constat lui vient après avoir aidé son ex-petite amie, Sayaka Kurahashi à mettre des mots sur son passé, sur sa famille et sur l'étrange héritage laissé par son père.
Une clé à tête de lion et un plan qui part de la gare du lac de Matsubara.
Il mène à une maison, fermée, hermétique, nichée dans les montagnes et visiblement abandonnée.
Constat bien vite confirmé par leur " intrusion " dans les lieux, non pas par la porte d'entrée, mais par celle du sous-sol.
A l'intérieur, le temps s'est comme figé, suspendu. Une épaisse couche de poussière recouvre le sol, les meubles, les tableaux, les vêtements...
Malgré cela, tout est resté en place comme si elle avait été vidée de ses occupants l'instant d'avant.
Chose étrange, toutes les pendules sont arrêtées sur 11h10.
Il y avait là un livre et un cahier ouverts. Sur le cahier étaient posés un crayon parfaitement taillé et une gomme, à côté du plumier en plastique
-Il était en plein travail.
-Il serait sorti de chez lui en plein travail, et ne serait jamais revenu... c'est ça que tu veux die ?
-Je ne sais pas. C'est ce que les circonstances ont l'air de raconter, en tout cas.
Cela me rappelait les tasses à café pas rangées dans la cuisine. C'était la même atmosphère étrange.
Page 57.
Sayaka en est persuadée, le verrou de sa mémoire est lié à cette maison. Et ce qui lui est caché par son amnésie pourrait avoir un lien avec ce qu'elle fait subir à sa fille, Miharu, tout en se culpabilisant de le faire.
L'essentiel du roman tient sur vingt-quatre heures.
Un jour et une nuit durant lesquelles le narrateur et Sayaka vont sonder la maison, reconstituer son puzzle, apprendre à connaître ses occupants, leur ordre généalogique, leurs caractères et leurs passions. Et découvrir la vérité, ou plutôt des vérités.
L'écriture minutieuse et détaillée de Keigo Higashino (considéré comme l'un des meilleurs auteurs japonais de romans policiers actuels) sonde les méandres de la mémoire (à la fois traître et protectrice) et les origines de la violence.
Le suspense de ce huis-clos est haletant, angoissant. L'ambiance y est froide, oppressante.
Par delà, les mœurs nipponnes sont également évoquées : cartable noir pour un garçon, planter un arbre suite à un déménagement, la réputation, l'écriture avec des idéogrammes chinois...
Une lecture que je ne peux que vous encourager à faire et qui participe au Challenge " Un mois au Japon 2017 " d'Hilde et Lou, ainsi qu'à mon " Challenge des RE 2017 " et au " Petit Bac 2017 " d'Enna, pour ma première ligne, catégorie Mort.
Cette thématique de la mémoire des lieux, des parts de nous-mêmes que nous laissons dans nos maisons a déjà été vue sur le blog au-travers de l'album :