Passer à autre chose…., un texte de Myriam Ould-Hamouda

Par Chatquilouche @chatquilouche

Et le monde, dans sa grande bonté, avait offert à l’homme des paysages superbes à n’en plus finir ; mais l’homme, dans sa petite auto, finissait toujours par en revenir et en en revenant, la zappette à la main, avait pris cette habitude agaçante de dire comme ça « il faut passer à autre chose ».

Passer à autre chose ; à d’autres villes, d’autres pays, d’autres vies, avec d’autres mallettes, d’autres costumes d’autres grimaces, dans d’autres trains à côté d’autres mecs, dans d’autres lits avec d’autres meufs, de l’autre côté. Passer à autre chose ; comme si rien n’avait assez d’importance pour que nous nous y arrêtions, comme si personne n’avait droit à une seconde chance pour nous y surprendre. Passer à autre chose et accepter comme ça : que les villes les yeux et les étoiles par-dessus, qui brillaient hier encore, perdent leur éclat ; que les poèmes et les mains qui nous ont fait trembler si fort perdent leur intensité ; que la nuit tombe et les wagons déraillent sans même essayer de les retenir ; passer à autre chose et regarder le monde perdre ses merveilles, comme si de rien n’était.
Ce soir, une migraine atroce me tient ; et le monde, et l’homme, avec au bout de leurs bras impuissants leur splendeur et leur zappette, me regardent me tordre de douleur sur le canapé. Et puis, ils disent comme ça « il faut passer à autre chose ». Passer à autre chose ; claquer la porte, courir vite vite sans jamais au grand jamais se retourner. Passer à autre chose ; et laisser crever derrière moi cette idée fixe qui depuis quelque temps ne me lâche pas. Cette idée fixe, qui me colle des soufflets dans la pomme et des poèmes dans le gosier, des papillons dans le ventre et des piranhas dans le crâne ; cette idée fixe qui parfois me tient debout et d’autres fois me fait un croche-patte. Cette idée fixe qui parle un peu du monde et de sa grande bonté, de l’homme et de sa petite auto, pour faire comme si elle savait encore parler d’autres choses que de toi et de la vie que tu m’as foutue en passant.
Et le monde et l’homme me regardent d’un air désolé, ils disent comme ça « ça va passer » ; mais si ce soir je me tords de douleur, ce n’est ni la faute à la migraine ni à cette idée fixe ni même à la tienne, mais à cette pensée terrible d’en revenir un jour et finir l’air de rien, par passer à autre chose.

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonoritJés, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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