Pierre Raufast.
Informaticien de son état - il est chargé de la cybersécurité chez Michelin à Clermont-Ferrand -, Pierre Raufast n'aime pas perdre son temps. C'est même sa phobie. Alors, il lit, comme un fou, toutes les œuvres d'un auteur, Brigitte Giraud, Serge Joncour, Bernard Quiriny…, ou un type de littérature. Il a ainsi eu une période sud-américaine, une période japonaise, une période américaine, une période prix Nobel... Et quand il ne travaille pas, ou qu'il ne lit pas, il écrit. "Je fais de la fiction comme je racontais des histoires à mes filles petites", me dit-il. "J'aime la créativité, l'imagination. Il m'est facile d'écrire. C'est devenu un challenge personnel."Un challenge brillamment gagné. On est emporté par ses romans surprenants, bien ficelés, joliment écrits, mêlant le vrai et le faux, avec des mots réclamant le dictionnaire. Convoquant tous au moins un cimetière et une piscine. Pierre Raufast a publié en début d'année le bourlinguant "La baleine thébaïde" (Alma, 218 pages), son troisième roman après "La variante chilienne" (Alma, 2015) et "La fractale des raviolis" (Alma, 2014). Un quatrième est en cours d'élaboration. Précédemment, il avait signé deux livres de management sur les Fables de La Fontaine. "J'ai reçu mes premiers conseils d'écriture de Jean-Maurice de Montrémy (Alma éditeur). Je lui avais envoyé mon premier livre par la poste, ainsi qu'à sept autres maisons d'édition", indique-t-il.
"La baleine thébaïde" est le dernier d'une série de trois, pas d'une trilogie. "Il y a des personnages qu'on retrouve de l'un à l'autre et des allusions entre eux mais on peut les lire dans l'ordre qu'on veut. On apprend ici pourquoi il a plu pendant douze ans dans le livre précédent." En ultra-résumé, mais c'est gommer toutes les incises et histoires parallèles dont Pierre Raufast régale son lecteur, le roman raconte la drôle d'expédition que vit l'équipage hétéroclite embarqué à bord de l'Hirundo afin de retrouver la fameuse "baleine 52" dont la fréquence de chant est unique au monde.
Des marins d'hier et d'aujourd'hui, avec des bons, des méchants et des très méchants. A moins que ce ne soit une illusion. A trois d'entre eux, l'auteur va tour à tour donner la parole, permettant au lecteur d'affiner sa perception des faits avant qu'une quatrième partie ne clôture ce livre prenant de bout en bout, écrit avec autant de soin que d'élégance.
Sept questions à Pierre Raufast,
clin d'œil à un passage du livre.Pourquoi ce livre?
Je voulais écrire sur la solitude. J'avais lu dans un "Sciences & vie" l'histoire vraie de la baleine 52. J'ai pensé que c'était un bon support pour évoquer la solitude dans ses formes multiples, physique, morale. J'avais des anecdotes en stock et l'idée des baleines en plastique.
Pourquoi la solitude ?
Le sujet me plaît. Il est romantique. Peut-être suis-je quelqu'un de solitaire à la base. Il y a sans doute une part autobiographique dans mes personnages. J'avais trois idées pour le livre. Celle de la solitude. Celle du parcours initiatique de Richeville qui est une sorte de Candide plus naïf que moi. Celle de l'époque folle des années 70 où on a fait d'énormes progrès en sciences, notamment en armes météorologiques. Je voulais partir de faits réels et les pousser jusqu'à l'absurde.
Pourquoi ces idées-là?
Les vérités ne sont pas uniques. Il n'y a pas des bons ou des méchants. Les sciences parce que le sujet me plaît et que je le connais. J'avais la structure du livre avant de commencer à rédiger.
Pourquoi la salve de "7 pourquoi"?
C'est une technique de management qui s'applique à propos des décisions difficiles.
Pourquoi ces personnages?
Le principal a un lien avec Alvarez.
Marc est un clin d'œil à la "Fractale des raviolis".
Dimitri pour annoncer la troisième partie.
Pourquoi passer de "je" au "il"?
Le livre est comme les marionnettes et leur fil, avec, en plus, un narrateur omniscient. Le temps oscille du passé simple, temps de la narration, au présent, par exemple quand on tue la baleine.
Pourquoi des poèmes en ouverture des différentes parties?
Les poèmes sont là pour donner une pause au lecteur et offrir des références littéraires en lien avec le titre des parties. Les poèmes sont sur la solitude, la mère, l'intellectuel.
La structure d'un livre en cours.
Pierre Raufast ne fait pas partie des écrivains tourmentés par leur personne. C'est un narrateur qui aime fignoler ses histoires. "L’écriture est pour moi un plaisir", dit-il. "Mais je ne la pratique que deux heures par semaine à cause de ma profession principale. Mon premier jet est rapide. Impossible de ne pas savoir où je vais. Puis je modifie petit à petit. Je me corrige. J'enlève. Je rajoute. Mais c'est un vrai plaisir, une vraie détente. Quand j’écris, je ne pense à plus rien d'autre. Je suis dans ma bulle. Ecrire me fait plaisir, me fait rire. J’écris pour raconter des histoires, comme un scénariste américain." Et les lecteurs y trouvent grandement leur compte.D'autant que l'informaticien, passionné par l'IOT (l'internet des objets connectés), sème quelques gaines en ce sens. "L'idée à propos de la baleine dans la piscine est plausible", affirme celui qui connaît les "dangers liés à leur absence de sécurité, le manque de respect de la vie privée, contrairement aux citoyens qui en ignorent tout."
Pour lire le début de "La baleine thébaïde", c'est ici.
Le livre précédent de Pierre Raufast, "La variante chilienne" (Alma, 264 pages, 2015, Folio en septembre 2017), est la rencontre de deux vacanciers, Margaux et Pascal, le prof de l'ado, et de Florin qui habite là et range ses souvenirs dans des bocaux. Chaque pierre déposée correspond à un événement de sa vie. Il va puiser dans ses cailloux pour raconter à ses visiteurs de passage quelques histoires incroyables tandis qu'eux-mêmes en auront aussi à dire sur eux-mêmes.
"C'est un livre sur la mémoire", explique l'écrivain, "le traumatisme pour Margaux, le poids des souvenirs heureux ou non. Florin n'a pas de souvenirs, il a la chance de choisir. Je traite du rôle des souvenirs, de leur importance par rapport à ce qui nous construit. Les souvenirs sont le disque dur interne d'une personne. Les cailloux sont le disque dur externe de Florin. Pascal, lui, ne vit que par les livres qu'il place entre lui et la réalité. Margaux est confrontée à un drame qu'elle a vécu".
Répertoire d'anecdotes.
Pendant deux années, Pierre Raufast a noté des idées dans des carnets. Ensuite, il lui a fallu trouver une histoire qui les relie toutes avec fluidité. Puis est venue la rédaction, parallèle à la structure d'un logiciel. Ne cherchez pas l'informaticien plus loin. L'auteur choisit de faire la structure du livre à l'avance. Il colle des post-it aux murs pour avoir tout à portée de main. "Les anecdotes sont là pour surprendre le lecteur", analyse-t-il. "Il y a des choses vraies, comme l'archéo acoustique, des choses inventées comme la pluie longue de douze ans et des choses vraisemblables. Elles servent à donner du relief aux personnages, de l'ambiance. Comme le faisait Gabriel Garcia Marquez."Des petits cailloux qui concourent à faire de "La variante chilienne" une lecture captivante, entre histoires drôles, histoires sombres et histoires tristes.
Bon, ben, il me reste à lire fissa "La Fractale des raviolis" (Alma, 2014, Folio, 2015) et à découvrir cette première pochette surprise concoctée par Pierre Raufast.