Il était une fois, une jolie adolescente, seule et triste. Elle fait partie de cette génération appelée : les enfants-rois. Elle se retrouve à l’aube de ses 16 ans, enfermée depuis plusieurs jours au sommet d’une sombre tour. Elle y déverse toutes les larmes de son corps. Peut-on mourir de chagrin ? Elle prend des photos avec son nouveau téléphone cellulaire, cadeau de sa belle-mère, pas si méchante que ça après tout ! Une moue par ici, un demi-sourire par là. Des lèvres généreuses et un décolleté plongeant font la une de sa page Facebook. Anne console Laurie, qui pleure sa vie, laissant son mascara créer des ombres sous ses beaux yeux bleus. Elles conversent en silence jusqu’au coucher du soleil. Seuls leurs petits doigts s’animent dans les rayons orangés par-delà la grande fenêtre.
Anne, sa meilleure amie, l’envie. Elle envie ses beaux cheveux longs et ses yeux de biche. Elle aimerait dormir cent ans comme la Belle au Bois dormant. Elle aimerait bien se piquer le doigt et s’évanouir pour oublier ses broches et sa peau marquée par l’acné. Elle aimerait attirer l’attention de Vincent, un garçon de sa classe. Mais elle désespère, car ce serait aux yeux des autres « Le Beau et la Bête », et ça n’arrivera jamais, se dit-elle. Sa marraine n’est pas une fée et elle ne se transformera pas en beauté, même s’il finit par l’aimer. Son visage ressemblera toujours à une citrouille, vu sa rondeur et ses taches de rousseur. Anne sombre avec Laurie dans sa tour noire. Ensemble, elles affrontent le monde virtuel des adolescents d’aujourd’hui. Toutes deux captivées par un écran pas plus gros que nos anciennes calculatrices.
Durant ce temps, Sarah, la petite sœur de Laurie les regarde, émerveillée. Elle a hâte de grandir et de pouvoir enfin se maquiller. « Tasse-toi le petit nain », lui disent sa sœur et ses amis à longueur de journée. Elle retourne alors à ses poupées aux longues jambes et yeux démesurés. Faux cils et talons hauts paradent dans ses histoires, comme ceux des deux amies qui sortent finalement de leur torpeur. Elles partent toutes pomponnées à leur petite soirée. Les parents espèrent qu’elles rentreront à l’heure de Cendrillon.
Il y a aussi leur voisine, Véronique, dont les nattes dépassent ses épaules frêles. Elle rêvasse du haut son balcon. Elle est timide et attend que quelqu’un grimpe la rejoindre. Elle voit les filles, soignées jusqu’au bout des ongles, sortir de la maison de Laurie. Si elle le pouvait, elle leur lancerait des pommes empoisonnées par jalousie. « Ou allez-vous les filles ? » demande-t-elle par texto. « Chez Joe », répond Laurie sèchement, sans émoticons et sans rire, elle n’a pas le temps. Véro oublie de leur dire qu’elle aurait aimé les accompagner. Trop tard. Elle continue de tresser ses nattes blondes dans le silence de la soirée qui s’avance. Elle aussi s’est forgé une belle grande forteresse d’ivoire, loin et à l’abri de tout.
Mais où sont passés nos beaux contes de fées, ceux qui nous faisaient rêver ? Où sont passés les contacts humains et les conversations pleines d’émotion qui accompagnaient nos fous rires avec passion ? Où sont passés les gentils ogres qui hantaient nos nuits ? Ils ont maintenant plus de quarante ans et surfent sur le net à la recherche de chaire jeune et fraiche. On dit que chaque génération à son lot, mais celle-ci n’a-t-elle pas perdu plus qu’une chaussure de verre en chemin ? Où est la magie, que deviennent les hasards et la folie de ce que devraient être les premières fois ? Maintenant, le quotidien se vit sur un mur blanc et froid. Des graffitis d’émotions qui défilent chaque seconde comme de grands journaux intimes ouverts au public.
Notice biographique
Karine St-Gelais est une écrivante qui promet. Nous aimons ses textes pleins de fraîcheur
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