Pluie nostalgique — Je suis dans mon appartement du 7e étage d’un immeuble comme un poisson dans un bocal, je regarde par la fenêtre, il pleut. Il pleut à faire déborder mes humeurs vers des plages fragiles. Il pleut à délayer les traces de mon stylo bleu laissées anarchiquement sur une feuille mouillée. Il fait gris. Il m’arrive d’avoir peur. Peur de disparaître sans laisser de traces. Je partirais alors comme ce Jean mort d’un cancer, qui logeait au 600 et quelques. Si rapidement effacé de la surface de la Terre, parti pour un plus vaste ensemble avec un état de conscience que nous ne pouvons pas encore comprendre. Je ne peux le voir là où il est, le ciel est fermé et il pleut. Il pleut à en perdre l’âme.
Il pleut à gorge déployée. Il pleut si néfastement que je me suis oublié dans une rigole qui coule sur la rue Robert-Élie. Entendez-vous ces cris de ce Jean pris dans mes pensées, prisonnier du sourire et du salut que je lui ai fait lorsque les ambulanciers l’ont transporté à l’hôpital ? Ce gris soudé par des gouttelettes qui accable son départ pour le rendre encore plus pleurant, encore plus acerbe ? Il pleut et je suis un poisson dans un bocal qui regarde une âme s’envoler au loin. Inatteignable. 4 avril 2017, décès de Jean, le premier de notre coopérative.
Mer intérieure — J’ai une mer intérieure qui me produit quelques fois des tsunamis de sentiments. Elle me nourrit autant qu’elle me désespère. Et les bateaux qui y voguent m’amènent vers moi-même. Mes rives sont protégées, mais, en quelques endroits plus ouverts, je peux voir les carcasses de mes amours sombrées dans des formes de métal. Lorsque je me recroqueville, elle se soulève et avec elle la nausée me monte dedans comme dans de mauvais présages. Lorsque je me tiens debout et que je marche, elle fait la grosse et elle érode mes rivages. Couché, je n’entends que des vagues qui lèchent mes parois en me faisant des rêves paisibles. Elle contient tous mes soucis et tous mes espoirs, je suis seul maître à bord de mes circonvolutions. J’ai une mer intérieure qui me dit que j’ai raison de croire et d’espérer.
L’auteur
Né à Saint-Ulric, près de Matane, sur la rive sud du fleuve, j’ai été créé par les images de ce désert d’eau qui change de forme selon les saisons. Je lancerai bientôt (le 23 novembre) Des mots sur des couleurs, mon premier recueil de récits, en collaboration avec l’artiste peintre Pierre Morin de Varennes qui appartient, tout comme moi, aux paysages de la Matanie, mon pays, mes amours.