Dans la forêt de Jean Hegland

Dans la forêt de Jean HeglandDans la forêt

Ecrit par Jean Hegland

Traduit de l'américain par Josette Chicheportiche

Publié par les excellentes éditions Gallmeister

Paru en 1996 aux Etats-Unis, en 2017 en France

300 pages

Un bijou ! J'ai adoré sans restriction !

Roman d'anticipation certes mais avant tout roman naturaliste. Le monde part à vau-l'eau et dans leur maison au fin fond de la forêt et à une cinquantaine de kilomètres de la ville la pus proche, deux sœurs se battent pour leur survie. Ce roman est un mélange des genres, entre La route (post-apocalyptique mais celui-ci est statique, il y a bien quelques fous qui pensent que l'herbe est plus verte ailleurs mais nos deux sœurs n'avanceront pas plus loin que dans la proche forêt), Robinson Crusoe (survie en milieu hostile), Le mur invisible (isolement total), mais il a sa propre originalité qui tient aussi bien de son écriture que de son côté idéaliste, écologiste ou de son côté acte politique.

Quelle lecture ! Une écriture magistrale, des phrases lues et relues, une puissance évocatrice rare, des pages qu'on savoure avec délectation. Ce roman est excellent de la première ligne à la dernière. Rien de trop, de la justesse et de l'équilibre et une fin qui ne pouvait être autre et qu'en même temps le lecteur n'attend pas. Fascinant !

Ce roman est le journal d'une des deux sœurs, et nous vivons leur quotidien, les interrogations, les doutes, les espoirs, les désespoirs, leurs disputes, leurs réconciliations, et la fin du roman correspond à la fin du journal... Artifice classique mais qui n'en rend la lecture que plus naturelle.

L'être humain (la femme en l'occurrence ici) privé d'électricité et d'énergie fossile retrouve sa raison de vivre, redécouvre la nature et réapprend ce que les premiers hommes ont expérimenté avant lui. Il apprend aussi et surtout l'humilité. Il apprend à apprivoiser l'environnement hostile.

" Avant j'étais Nell, et la forêt n'était qu'arbres et fleurs et buissons. Maintenant, la forêt, ce sont des toyons, des manzanitas, des arbres à suif, des érables à grandes feuilles, des paviers de Californie, des baies, des groseilles à maquereau, des groseilles en fleurs, des rhododendrons, des asarets, des roses à fruits nus, des chardons rouges, et je suis un être humain, une autre créature au milieu d'elle. "

" Mais j'ai appris quelque chose que l'encyclopédie ne sait pas - quand la lune est croissante on peut l'atteindre et tenir délicatement sa courbe externe dans la paume de la main droite. Quand elle est décroissante, elle remplit la paume de la main gauche. "

Mais tout n'est pas simple, et parfois, l'envie de baisser les bras titille :

" C'est un besoin physique, plus intense que la soif ou le sexe. Á mi-chemin vers l'arrière gauche de ma tête il y a un point qui rêve de la secousse d'une balle, qui appelle ardemment ce feu, cette ultime déchirure vide. Je veux être libérée de cette caverne, m'ouvrir au bien-être de ne pas vivre. Je suis lasse du chagrin et de la lutte et des soucis. Je suis lasse de ma sœur triste. Je veux éteindre la dernière lumière. "