La voie de je, un texte de Jean-Marc Ouellet

Par Chatquilouche @chatquilouche

La paix n’existe pas dans ma tête. Mes jours fuient en de vaines frénésies. Parfois, pourtant, je me sens presque heureux. Paisible, je crois toucher l’éternité. Mirage ? Aveugle depuis la naissance, je ne vois qu’un rai de l’univers.

Car l’Infini veille au-delà de moi, un temps, un espace, inaccessibles à mes sens ridicules. Moi, je ne vois rien, je n’entends rien, je ne sens rien. Ce que je touche n’est qu’un agglomérat de matière auquel je me convaincs de la forme, de la texture et de la froideur. Des particules agencées pour le théâtre de nos existences d’humains. Ainsi, mon labrador entend des sons, flaire des parfums, éprouve bien davantage que ce qu’il m’est permis de percevoir. Des sons, des parfums, des mondes peut-être, qui existent, mais ma surdité, ma cécité et cie m’en refuse l’accès, ne me laissent que l’acide et les ténèbres d’un monde en sursis. Notre monde. Parce que je ne le ressens pas, je nie l’existence de ce qui m’est refusé. Dans mes meilleurs moments, je me laisse porter par la beauté, seule porte vers la quiétude. Mais le plus souvent, le temps fuit hors de moi, et je cherche, cherche encore, le pourquoi. Le soleil fade des jours corrompus ne suffit plus. Je poursuis le temps et ses réponses. Et je crie sous les étoiles. J’endigue cet univers sublime qui, timide, discret, insaisissable, mais bienveillant, me laisse me perdre. Ainsi, je ne vois que la haine, l’égoïsme et la guerre. Je cours, je cours, le merveilleux m’interpelle, mais mon corps, soumis aux lois de ce monde, abdique avec lâcheté. Je suis sourd et aveugle.

C’est assez !

Un jour, j’aspirerai à la pureté originelle. Je me demanderai pourquoi cet univers m’échappe depuis si longtemps. Je m’inclinerai devant l’évidence, à mon appartenance à un macrocosme hors de moi, hors de ce monde agité, et là seulement, je verrai et j’entendrai. Là seulement, je serai vraiment. Mon esprit s’abreuvera enfin à la source du merveilleux. Je serai je avec l’Infini, et d’une main sur l’épaule, d’un sourire ou d’un regard tendre, ce je s’unira à d’autres je, puis à tous les je, les Je s’entraîneront les uns les autres, et cette communion bâtira le Nous dans l’Impénétrable. Alors seulement, le ils ne sera plus, et ce Nous vaincra la haine, écrasera l’égoïsme et pulvérisera la guerre. Nous verra enfin le soleil et les étoiles, Nous sifflera avec le vent, et Nous nous propulsera dans le triomphe de l’Infini.

© Jean-Marc Ouellet 2017

Notice biographique

Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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