Magdalena a 10 ans lorsqu’elle quitte Vienne pour un petit village perdu dans la campagne tchécoslovaque. Sa mère Marie, assistante et maîtresse d’un gynécologue, juif, n’a pas pu suivre celui-ci dans sa fuite des nazis et a préféré emmener sa fille à la campagne, où pense-t-elle son statut de « bâtarde » serait moins difficile à vivre.
Petite à petite, elle arrive en effet à se faire accepter en tant que brodeuse, puis comme accoucheuse, forte de son expérience viennoise. Elle gagne enfin en respectabilité en épousant Aloïs, un gars du coin, tenancier d’un café, puis à sa mort, survenue heureusement avant qu’il soit considéré comme capitaliste.
Magdalena grandit, devenant une belle jeune fille. Elle éconduit Jan, jeune homme boiteux mais brillant orateur qui progresse vite dans la mise en place du communisme, et dont elle ne veut que l’amitié. Elle lui préfère Josef, un jeune homme doux, bien né, trop bien né pour elle. Alors qu’elle lui a donné sa virginité, Josef doit fuir sans même savoir qu’elle est enceinte, chassé par les communistes qui ont pris la terre et les biens de la riche famille.
Magdalena doit alors à son tour élever seule Libuse, petite fille sans père. Contrainte d’épouser le frère de son nouvel amour, un homme boiteux et surtout violent, puisqu’une bâtarde ne choisit dans elle vit dans la peur et sous les coups.
Enfin Libuse, tombée amoureuse d’un soldat russe, violée dans la foulée par son beau-père, épouse Antonin, un ami d’enfance qu’elle séduit pour donner une légitimité à sa fille, sans succès cependant car Antonin ne reconnaîtra jamais Eva, fruit de l’amour ou du viol, et surtout objet de ragots et de honte…
Mais Eva est d’une tout autre nature, d’un autre temps aussi, celui où se fissure le bloc communiste, où les rêvent peuvent se dire et pourquoi pas se vivre. Grâce à sa nature rebelle, son intelligence, elle parvient de faire de sa différence une force. Faisant éclater tous les tabous, les non-dits, les secrets et les rancoeurs, on devine qu’elle viendra à bout de cette malédiction familiale, pour enfin vivre sa vie, sa liberté.
Si ce livre conte l’histoire d’une lignées de femmes, il est également une fresque historique qui nous plonge dans la Tchécoslovaquie d’avant la deuxième guerre mondiale, et nous fait découvrir ce pays à l’aune des événements historiques qui la jalonnent, jusqu’aux prémices de la chute du bloc communiste.
L’histoire avec un grand H est cependant étouffée par la distance, on n’en perçoit les soubresauts que comme à travers un filtre, car la vie rurale, celle des soucis financiers, du qu’en dira-t-on, des conséquences de décisions politiques lointaines, prend le pas sur le quotidien des habitants.
J’ai aimé ces portraits de femmes, à la fois soumises à leur destin et pourtant tellement fortes. Marie en est le point d’ancrage, la figure centrale et solide dans son gynécée, elle qui élève plus ou moins toutes ces filles, ses filles, les filles de sa lignée maudite, elle qui a la première accepté son sort et qui a pris les décisions qu’il fallait pour s’en sortir, qui n’a jamais baissé les bras ni la tête face à l’adversité.
C’est cette force maternelle que je retiendrai de ce livre bien écrit, qui m’a également fait découvrir l’histoire d’un pays.
Lenka Horňáková-Civade est une écrivaine et peintre tchèque née en 191 et installée dans le sud de la France.
Giboulées de soleil est paru chez Alma en avril 2016 (18€).
Morceaux choisis :
« Ma mère a répondu que la mort n’était pas une manifestation politique mais une manifestation de la vie. »
« Quinze ans, c’est dur. Je ne pensais pas que c’était si dur, entre ce que l’on espère et ce que l’on vit. Il y a tout un monde dans l’abîme, plutôt noir et démesuré, entre les rêves et la réalité. Et tout le monde semble être indifférent à ça. Ils n’ont jamais eu quinze ans tous ces adultes ? »
« Tous ces livres étaient très vivants, beaucoup portaient des traces de main. Les couvertures étaient fatiguées sur les bords, les coins des pages cornés, quelques-uns s’ouvraient tout seuls sur les passages lus et relus. Les rideaux tamisaient la lumière, une légère poussière flottait dedans. La poussière des livres est différente de toutes les autres poussières, plus douce, plus fine aussi ; oui, je trouvais que la poussière ici devait avoir une belle vie. »
« La poésie c’est souffrir avec élégance, ce qui rend notre propre souffrance non seulement supportable mais belle, a dit la dame avec chaleur et émotion. »
Livre lu dans le cadre du Prix des lecteurs nantais 2017.
Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à me suivre sur Facebook !
Classé dans:A plusieurs, Prix des lecteurs nantais, Romans adultes Tagged: Alma, Littérature tchèque