Bon, je ne suis pas certain, par les temps qui courent, qu'il faille faire de ce titre une règle de vie... Et, vu le contexte du roman, encore moins. Je suis, depuis longtemps, un amateur de politique fiction et d'anticipation, que ce soit en littérature, au cinéma et, de plus en plus, à la télévision, grâce à quelques séries marquantes. J'avais déjà évoqué sur ce blog les qualités de Jean-Marc Ligny pour nous transporter dans un futur proche... et un tantinet catastrophique... C'était avec l'imposant "Aqua™", autour de l'épineuse question de l'eau. Cette fois, c'est un roman qui, de par son contexte, est un thriller d'anticipation, mais qui se trouve en prise directe, hélas, avec notre actualité présente. Publié à l'origine en 1998 chez Denoël, "Jihad" (formidable titre qui va nous valoir d'être fiché et surveillé par tous les services du monde ou presque, merci, Jean-Marc Ligny !) vient d'être réédité dans une version "mise à jour par l'auteur" à l'Atalante. Dans un genre où brille les auteurs américains mais, plus rarement, les Français, voici un livre qui va à toute vitesse, sans temps mort et propose un univers qu'on pourrait qualifier de dystopie, flippant à souhait, surtout quand on a l'idée saugrenue de lire ce livre entre les deux tours d'une présidentielle aussi bizarre que celle qui vient de se dérouler...
Djamal Saadi a longtemps lutté dans la résistance kabyle avant de raccrocher pour aller travailler dans une exploitation pétrolière, à Hassi Messaoud. Il a renoncé à la lutte armée, devenue trop dangereuse, pour aller gagner de l'argent afin d'aider sa mère et sa soeur, restées dans leur village d'Aït-Idja.
En ce début de XXIe siècle, l'Algérie est devenue une dictature islamiste très violente, aux mains d'impitoyables factions qui multiplient les razzias dans les villages les plus reculés. Un jour, c'est justement Aït-Idja qui est dans le viseur. Une milice débarque en hélicoptère, bien décidée à ne faire aucun quartier.
Malgré la résistance courageuse de Fatima, la soeur de Djamal, une jeune femme libre qui essaye de se défaire des carcans multiples imposés aux femmes dans cette société théocratique et extrémiste, le village est rapidement balayé. Un vrai massacre qui aurait été suivi d'un pillage en règle sans l'irruption d'une kamikaze.
Mais, en dépit d'un départ précipité, les assaillants ne laissent derrière eux que des cadavres, dont la mère de Djamal. Quant à Fatima, sa rébellion a été punie par un viol sordide avant qu'on laisse son corps dévasté à même le sol... Une scène d'une violence inouïe qui n'a pas échappé à l'oeil attentif mais catastrophé d'un témoin, oublié par les meurtriers.
C'est lui qui va prévenir Djamal du drame auquel il a assisté de loin. C'est lui qui va apprendre au jeune homme que sa mère et sa soeur ont été assassinées, comme tous les autres habitants de son village. Mais, surtout, il lui donne une information qui va changer le destin de Djamal : à la tête des pillards, il y avait un homme blanc...
Renseignements pris, il s'agit d'un certain Max Tannart, un mercenaire français venu prodiguer quelques conseils à ses amis islamistes et mettre la main à la pâte en guise d'au revoir. En effet, après le massacre d'Aït-Idja, Tannart a quitté l'Algérie pour rentrer en France. Fini, le baroud, place à une mission plus tranquille, une retraite dorée, en quelque sorte.
Désormais, Tannart travaille dans l'ombre du pouvoir, en France. C'est le Parti National qui est au pouvoir et qui s'est empressé de mettre en place un régime poussant au maximum le concept d'identité nationale. La France est devenue en très peu de temps un pays soumis à un véritable apartheid. Les populations d'origine étrangère sont reléguées au bas de l'échelle sociale.
Et elles subissent des violences régulières, orchestrées par des milices institutionnalisées, comme le CAID, que dirige justement Max Tannart. A un fascisme répond un autre fascisme : la résistance s'est organisée autour des groupes islamistes qui recourent au terrorisme pour contester le pouvoir du Parti National. Situation sinistrement ironique, quand on connaît les activités récentes de Tannart...
Djamal s'en fout, de tout ça. Depuis qu'il a appris la mort de ses proches, et en particulier de Fatima, avec qui il entretenait une relation fusionnelle, ambiguë, presque, il n'a plus qu'une idée en tête : se venger. Faire payer à Tannart ce viol, ces crimes, et peu importe ce qu'il lui en coûtera. Débarrasser ce monde de l'ordure qu'est Tannart, voilà ce que sera l'objectif du jihad de Djamal.
On va donc suivre le jeune Kabyle dans sa quête, de Hassi Mesaoud à Paris. Pas une sinécure, mais un trajet semé d'embûches et de danger. Seul contre tous, peut-être, mais ayant aussi des alliés de circonstances, Djamal va faire des rencontres, certaines qui lui laisseront un goût amer ou qui l'obligeront à se défendre, d'autres, au contraire, qui lui fourniront un havre et la patience qui lui manque.
Je n'en dis pas plus sur l'histoire à proprement parler. Mais on peut parler de cet univers, ce monde qui est le nôtre et, pire encore, qui pourrait un jour véritablement être le nôtre. Des deux côtés de la Méditerranée, des pouvoirs d'une violence inouïe. Rappelons que "Jihad" a été publié une première fois en 1998, à une époque où imaginer l'Algérie tomber aux mains des religieux les plus radicaux était une sérieuse possibilité.
En revanche, côté français, l'idée de voir l'extrême droite arriver au pouvoir était alors une hypothèse des plus fumeuses. Et puis, il y a eu 2002. Et puis, il vient d'y avoir 2017... Et l'on se dit soudain que tout cela n'est peut-être plus si loin de nous, et c'est carrément effrayant... Ou comment, paradoxe terrifiant, la démocratie peut enfanter sa propre destruction...
On pourra toujours objecter que cette prise de pouvoir n'aboutirait pas forcément à ce que décrit Jean-Marc Ligny dans son livre. Certes, mais ce pourrait aussi tout à fait être le cas, certaines parties du programme du FN pouvant le laisser redouter. Quant à la violence, elle est déjà bien présente actuellement, la France a pris l'allure d'une poudrière et ce n'est pas le plus rassurant...
Ligny pousse le curseur à fond, mais c'est le jeu d'un thriller d'anticipation qui se teinte clairement de dystopie. On joue à se faire peur, ce qui est bien souvent le propre de la politique fiction, de l'anticipation et, évidemment, de la dystopie (pour ceux qui ont du mal avec ce mot, c'est le contraire de l'utopie), mais tout cela est terriblement plausible, surtout si l'on ne tire aucune leçon de ces dernières semaines...
A cette critique politique musclée, Ligny ajoute une vraie satire des médias, et c'est sans doute un des points sur lequel il a le plus insisté dans sa révision du roman. En effet, en 1998, l'information continue était encore embryonnaire en France, bien loin de ce que l'on connaît depuis quelques années (même si on peut se rappeler que le détournement d'un avion d'Air France en 1994 avait déjà permis d'en observer les prémices.
La chaîne qui est dans le collimateur de Jean-Marc Ligny, c'est BFM (on tire sur une ambulance ?), mais il est certain que ce pourrait tout à fait être une concurrente directe, une chaîne de télévision généraliste ou une radio nationale... Mais, il est vrai que BFM incarne les excès de l'information (quelle information ?) d'aujourd'hui.
En parallèle, on voit évoluer deux journalistes, Péritelle et Jack, duo qui consacre sa vie à l'information dans des conditions extrêmement difficiles. Parce que le pays est sens dessus dessous, en proie à des violences permanentes et qu'on peut se retrouver rapidement dans une situation qui dégénère sans rien pouvoir y faire.
Mais, l'autre versant de ces difficultés, c'est le fait de travailler dans un pays écrasé par la poigne de fer d'un pouvoir totalitaire qui a mis les grands médias à sa botte. Les mauvaises langues (mais le sont-elles tant que ça ?) diront qu'il n'y a pas vraiment besoin de beaucoup menacer pour obtenir cette soumission... A voir.
L'indépendance des médias, questions très présentes dans notre société actuelle, est ici une illusion, un souvenir. Des journalistes comme Péritelle et Jack n'ont jamais la main sur le "final cut" de leurs reportages. S'ils chassent les scoops au péril de leurs vies parfois, ils le font souvent en sachant que leurs découvertes seront sabrées, enterrées ou remontées pour aller dans le sens du vent...
Ne restent alors que les médias en ligne, qui conservent tant bien que mal leur liberté de mouvement. Mais, les conditions, là encore, sont impossibles : on cherche à les faire taire sans cesse, on les brouille, on réduit la possibilité de les recevoir au maximum. Ce sont des médias clandestins et l'on risque de gros ennuis à frayer avec eux. Quant à gagner sa vie de cette façon, là, c'est de l'utopie...
J'insiste sur cet aspect parce que le rôle de Péritelle et de Jack s'installe au fil des chapitres pour devenir très important dans l'intrigue. Et parce que, à travers eux, se posent aussi la question de la défiance envers les médias, ceux qu'on appelaient "le quatrième pouvoir" et qui, désormais, sont regardés avec méfiance et désavoués par beaucoup, y compris par les ennemis politiques.
Je ne vais pas faire un cours de théologie sur le thème du Jihad, ses différentes acceptions, les différentes interprétations de ce mot. Je n'en ai pas les compétences. Pourtant, je trouve intéressant de m'y intéresser brièvement en espérant ne pas dire de bêtise. Aujourd'hui, ce mot fait peur et on le restreint souvent à la dimension que lui impose les radicaux et les terroristes.
Dans le contexte du roman, on retrouve évidemment cette vision-là, que ce soit dans les parties se déroulant an Algérie que lors du voyage de Djamal pour se rendre à Paris. Ligny le condamne d'ailleurs autant que le fascisme à la française et les renvoie dos à dos, leur préférant une troisième voie, dont j'ai choisi de ne pas parler dans ce billet, elle fait partie de ce qu'on doit découvrir au fil de la lecture.
Mais, le jihad est aussi un combat personnel, intime. Contre son orgueil, ses propres démons, là encore, il y a différentes interprétations... Djamal en instaure un autre, un combat personnel qu'ailleurs, on appellerait vendetta, par exemple. Le jihad de Djamal est d'ailleurs assez paradoxal, puisqu'il s'émancipe de toute dimension religieuse, sa foi ayant péri avec sa famille, mais se nourrit d'une détermination pleine d'inconscience.
Djamal, ce n'est pas Jason Bourne. Ce n'est pas un héros hollywoodien capable de résister au pouvoir qui veut l'écraser avec ses petits bras musclés et un arsenal inépuisable dont on se demande d'où il sort. On pourrait même dire que c'est un antihéros, un fou qui va défier une puissance qui lui serait naturellement hostile, avec les mains presque vides et aucun contact.
C'est un peu un des reproches à faire à l'intrigue : par moments, on se dit que c'est un peu trop facile, que Djamal progresse bien trop aisément et qu'il réussit tout ce qu'il entreprend de manière quasi surnaturelle. Bon, vous me direz, il faut qu'il y ait une histoire. Certes, mais, sans le transformer en Rambo, il pourrait y avoir un juste milieu.
Et puis, en préparant ce billet, en retrouvant cette phrase que j'ai placée en titre de ce billet, je suis tombé sur un élément qui pourrait justifier cela. Cette phrase, Djamal l'a reçue comme un enseignement de la part de celui qui a fait de lui un combattant. Or, à ces mots, il avait ajouté : "Guette le souffle de la baraka". Djamal surfe carrément sur cette baraka, mais gare à lui si son souffle cesse...
Ces remarques, qui en freineront certains, n'empêchent pas Jihad d'être mené tambour battant, porté par son lot de rebondissements. Certains, là encore, pourront être soumis à critique. Il y a quelques ficelles narratives, quelquefois un peu grosses, mais je comprends aussi la démarche de Jean-Marc Ligny et l'ensemble reste cohérent malgré tout, de mon point de vue.
Ce n'est donc pas un roman parfait, mais c'est un vrai thriller, bien foutu, bien rythmé, avec une galerie de personnages secondaires qui valent le coup d'oeil, même les plus accessoires (je pense aux habitants du squat dans lequel atterrit Djamal, par exemple, mais pas uniquement) Certains auraient pu être un peu plus creusés, voire un peu plus utilisés (mais c'est mon coeur d'artichaut qui parle...).
Indépendamment de l'intrigue, c'est cet univers très flippant, et encore plus parce qu'il est plausible, qui est intéressant. Les questions posées, j'en ai abordé certaines dans ce billet, font réfléchir et nous appellent à une vigilance de tous les instants contre tous les extrémismes. On ressent les engagements forts de Jean-Marc Ligny à travers ce livre et cela lui donne du punch.
Je n'avais pas lu la première mouture, sortie chez Denoël, puis en poche chez J'ai Lu, et il serait évidemment intéressant de regarder ce qui a évolué entre ces deux versions. Avis aux amateurs, aux bibliophiles fous qui auraient un exemplaire de la première mouture de "Jihad" dans leur bibliothèque. Pour les autres, ceux qui aiment jouer à se faire peur, à vous de jouer !
Djamal Saadi a longtemps lutté dans la résistance kabyle avant de raccrocher pour aller travailler dans une exploitation pétrolière, à Hassi Messaoud. Il a renoncé à la lutte armée, devenue trop dangereuse, pour aller gagner de l'argent afin d'aider sa mère et sa soeur, restées dans leur village d'Aït-Idja.
En ce début de XXIe siècle, l'Algérie est devenue une dictature islamiste très violente, aux mains d'impitoyables factions qui multiplient les razzias dans les villages les plus reculés. Un jour, c'est justement Aït-Idja qui est dans le viseur. Une milice débarque en hélicoptère, bien décidée à ne faire aucun quartier.
Malgré la résistance courageuse de Fatima, la soeur de Djamal, une jeune femme libre qui essaye de se défaire des carcans multiples imposés aux femmes dans cette société théocratique et extrémiste, le village est rapidement balayé. Un vrai massacre qui aurait été suivi d'un pillage en règle sans l'irruption d'une kamikaze.
Mais, en dépit d'un départ précipité, les assaillants ne laissent derrière eux que des cadavres, dont la mère de Djamal. Quant à Fatima, sa rébellion a été punie par un viol sordide avant qu'on laisse son corps dévasté à même le sol... Une scène d'une violence inouïe qui n'a pas échappé à l'oeil attentif mais catastrophé d'un témoin, oublié par les meurtriers.
C'est lui qui va prévenir Djamal du drame auquel il a assisté de loin. C'est lui qui va apprendre au jeune homme que sa mère et sa soeur ont été assassinées, comme tous les autres habitants de son village. Mais, surtout, il lui donne une information qui va changer le destin de Djamal : à la tête des pillards, il y avait un homme blanc...
Renseignements pris, il s'agit d'un certain Max Tannart, un mercenaire français venu prodiguer quelques conseils à ses amis islamistes et mettre la main à la pâte en guise d'au revoir. En effet, après le massacre d'Aït-Idja, Tannart a quitté l'Algérie pour rentrer en France. Fini, le baroud, place à une mission plus tranquille, une retraite dorée, en quelque sorte.
Désormais, Tannart travaille dans l'ombre du pouvoir, en France. C'est le Parti National qui est au pouvoir et qui s'est empressé de mettre en place un régime poussant au maximum le concept d'identité nationale. La France est devenue en très peu de temps un pays soumis à un véritable apartheid. Les populations d'origine étrangère sont reléguées au bas de l'échelle sociale.
Et elles subissent des violences régulières, orchestrées par des milices institutionnalisées, comme le CAID, que dirige justement Max Tannart. A un fascisme répond un autre fascisme : la résistance s'est organisée autour des groupes islamistes qui recourent au terrorisme pour contester le pouvoir du Parti National. Situation sinistrement ironique, quand on connaît les activités récentes de Tannart...
Djamal s'en fout, de tout ça. Depuis qu'il a appris la mort de ses proches, et en particulier de Fatima, avec qui il entretenait une relation fusionnelle, ambiguë, presque, il n'a plus qu'une idée en tête : se venger. Faire payer à Tannart ce viol, ces crimes, et peu importe ce qu'il lui en coûtera. Débarrasser ce monde de l'ordure qu'est Tannart, voilà ce que sera l'objectif du jihad de Djamal.
On va donc suivre le jeune Kabyle dans sa quête, de Hassi Mesaoud à Paris. Pas une sinécure, mais un trajet semé d'embûches et de danger. Seul contre tous, peut-être, mais ayant aussi des alliés de circonstances, Djamal va faire des rencontres, certaines qui lui laisseront un goût amer ou qui l'obligeront à se défendre, d'autres, au contraire, qui lui fourniront un havre et la patience qui lui manque.
Je n'en dis pas plus sur l'histoire à proprement parler. Mais on peut parler de cet univers, ce monde qui est le nôtre et, pire encore, qui pourrait un jour véritablement être le nôtre. Des deux côtés de la Méditerranée, des pouvoirs d'une violence inouïe. Rappelons que "Jihad" a été publié une première fois en 1998, à une époque où imaginer l'Algérie tomber aux mains des religieux les plus radicaux était une sérieuse possibilité.
En revanche, côté français, l'idée de voir l'extrême droite arriver au pouvoir était alors une hypothèse des plus fumeuses. Et puis, il y a eu 2002. Et puis, il vient d'y avoir 2017... Et l'on se dit soudain que tout cela n'est peut-être plus si loin de nous, et c'est carrément effrayant... Ou comment, paradoxe terrifiant, la démocratie peut enfanter sa propre destruction...
On pourra toujours objecter que cette prise de pouvoir n'aboutirait pas forcément à ce que décrit Jean-Marc Ligny dans son livre. Certes, mais ce pourrait aussi tout à fait être le cas, certaines parties du programme du FN pouvant le laisser redouter. Quant à la violence, elle est déjà bien présente actuellement, la France a pris l'allure d'une poudrière et ce n'est pas le plus rassurant...
Ligny pousse le curseur à fond, mais c'est le jeu d'un thriller d'anticipation qui se teinte clairement de dystopie. On joue à se faire peur, ce qui est bien souvent le propre de la politique fiction, de l'anticipation et, évidemment, de la dystopie (pour ceux qui ont du mal avec ce mot, c'est le contraire de l'utopie), mais tout cela est terriblement plausible, surtout si l'on ne tire aucune leçon de ces dernières semaines...
A cette critique politique musclée, Ligny ajoute une vraie satire des médias, et c'est sans doute un des points sur lequel il a le plus insisté dans sa révision du roman. En effet, en 1998, l'information continue était encore embryonnaire en France, bien loin de ce que l'on connaît depuis quelques années (même si on peut se rappeler que le détournement d'un avion d'Air France en 1994 avait déjà permis d'en observer les prémices.
La chaîne qui est dans le collimateur de Jean-Marc Ligny, c'est BFM (on tire sur une ambulance ?), mais il est certain que ce pourrait tout à fait être une concurrente directe, une chaîne de télévision généraliste ou une radio nationale... Mais, il est vrai que BFM incarne les excès de l'information (quelle information ?) d'aujourd'hui.
En parallèle, on voit évoluer deux journalistes, Péritelle et Jack, duo qui consacre sa vie à l'information dans des conditions extrêmement difficiles. Parce que le pays est sens dessus dessous, en proie à des violences permanentes et qu'on peut se retrouver rapidement dans une situation qui dégénère sans rien pouvoir y faire.
Mais, l'autre versant de ces difficultés, c'est le fait de travailler dans un pays écrasé par la poigne de fer d'un pouvoir totalitaire qui a mis les grands médias à sa botte. Les mauvaises langues (mais le sont-elles tant que ça ?) diront qu'il n'y a pas vraiment besoin de beaucoup menacer pour obtenir cette soumission... A voir.
L'indépendance des médias, questions très présentes dans notre société actuelle, est ici une illusion, un souvenir. Des journalistes comme Péritelle et Jack n'ont jamais la main sur le "final cut" de leurs reportages. S'ils chassent les scoops au péril de leurs vies parfois, ils le font souvent en sachant que leurs découvertes seront sabrées, enterrées ou remontées pour aller dans le sens du vent...
Ne restent alors que les médias en ligne, qui conservent tant bien que mal leur liberté de mouvement. Mais, les conditions, là encore, sont impossibles : on cherche à les faire taire sans cesse, on les brouille, on réduit la possibilité de les recevoir au maximum. Ce sont des médias clandestins et l'on risque de gros ennuis à frayer avec eux. Quant à gagner sa vie de cette façon, là, c'est de l'utopie...
J'insiste sur cet aspect parce que le rôle de Péritelle et de Jack s'installe au fil des chapitres pour devenir très important dans l'intrigue. Et parce que, à travers eux, se posent aussi la question de la défiance envers les médias, ceux qu'on appelaient "le quatrième pouvoir" et qui, désormais, sont regardés avec méfiance et désavoués par beaucoup, y compris par les ennemis politiques.
Je ne vais pas faire un cours de théologie sur le thème du Jihad, ses différentes acceptions, les différentes interprétations de ce mot. Je n'en ai pas les compétences. Pourtant, je trouve intéressant de m'y intéresser brièvement en espérant ne pas dire de bêtise. Aujourd'hui, ce mot fait peur et on le restreint souvent à la dimension que lui impose les radicaux et les terroristes.
Dans le contexte du roman, on retrouve évidemment cette vision-là, que ce soit dans les parties se déroulant an Algérie que lors du voyage de Djamal pour se rendre à Paris. Ligny le condamne d'ailleurs autant que le fascisme à la française et les renvoie dos à dos, leur préférant une troisième voie, dont j'ai choisi de ne pas parler dans ce billet, elle fait partie de ce qu'on doit découvrir au fil de la lecture.
Mais, le jihad est aussi un combat personnel, intime. Contre son orgueil, ses propres démons, là encore, il y a différentes interprétations... Djamal en instaure un autre, un combat personnel qu'ailleurs, on appellerait vendetta, par exemple. Le jihad de Djamal est d'ailleurs assez paradoxal, puisqu'il s'émancipe de toute dimension religieuse, sa foi ayant péri avec sa famille, mais se nourrit d'une détermination pleine d'inconscience.
Djamal, ce n'est pas Jason Bourne. Ce n'est pas un héros hollywoodien capable de résister au pouvoir qui veut l'écraser avec ses petits bras musclés et un arsenal inépuisable dont on se demande d'où il sort. On pourrait même dire que c'est un antihéros, un fou qui va défier une puissance qui lui serait naturellement hostile, avec les mains presque vides et aucun contact.
C'est un peu un des reproches à faire à l'intrigue : par moments, on se dit que c'est un peu trop facile, que Djamal progresse bien trop aisément et qu'il réussit tout ce qu'il entreprend de manière quasi surnaturelle. Bon, vous me direz, il faut qu'il y ait une histoire. Certes, mais, sans le transformer en Rambo, il pourrait y avoir un juste milieu.
Et puis, en préparant ce billet, en retrouvant cette phrase que j'ai placée en titre de ce billet, je suis tombé sur un élément qui pourrait justifier cela. Cette phrase, Djamal l'a reçue comme un enseignement de la part de celui qui a fait de lui un combattant. Or, à ces mots, il avait ajouté : "Guette le souffle de la baraka". Djamal surfe carrément sur cette baraka, mais gare à lui si son souffle cesse...
Ces remarques, qui en freineront certains, n'empêchent pas Jihad d'être mené tambour battant, porté par son lot de rebondissements. Certains, là encore, pourront être soumis à critique. Il y a quelques ficelles narratives, quelquefois un peu grosses, mais je comprends aussi la démarche de Jean-Marc Ligny et l'ensemble reste cohérent malgré tout, de mon point de vue.
Ce n'est donc pas un roman parfait, mais c'est un vrai thriller, bien foutu, bien rythmé, avec une galerie de personnages secondaires qui valent le coup d'oeil, même les plus accessoires (je pense aux habitants du squat dans lequel atterrit Djamal, par exemple, mais pas uniquement) Certains auraient pu être un peu plus creusés, voire un peu plus utilisés (mais c'est mon coeur d'artichaut qui parle...).
Indépendamment de l'intrigue, c'est cet univers très flippant, et encore plus parce qu'il est plausible, qui est intéressant. Les questions posées, j'en ai abordé certaines dans ce billet, font réfléchir et nous appellent à une vigilance de tous les instants contre tous les extrémismes. On ressent les engagements forts de Jean-Marc Ligny à travers ce livre et cela lui donne du punch.
Je n'avais pas lu la première mouture, sortie chez Denoël, puis en poche chez J'ai Lu, et il serait évidemment intéressant de regarder ce qui a évolué entre ces deux versions. Avis aux amateurs, aux bibliophiles fous qui auraient un exemplaire de la première mouture de "Jihad" dans leur bibliothèque. Pour les autres, ceux qui aiment jouer à se faire peur, à vous de jouer !