Claudel est de retour pour nous livrer des nouvelles, qui ont pour toile de fond un univers commun, et des protagonistes récurrents.
Ils sont collègues, pour la plupart, et évoluent dans le monde de l'entreprise, dans une temporalité indéfinie, que l'on pourrait penser future, mais peut-être pas tant que ça.
C'est notre société poussée dans ses retranchements, jusqu'à l'absurde.
Ainsi, un homme décide de se suicider et invite formellement ses amis pour assister à l'événement ; lorsqu'il se dégonfle, ces derniers, agacés d'avoir fait le déplacement pour rien, lui forcent la main, jusqu'à le pendre eux-mêmes.
Dans ce monde-là, les pauvres sont exploités dans un travail sans but ni fin, et la moindre marque de compassion à leur égard est hautement inappropriée. D'ailleurs, qui s'y adonne a tôt fait de franchir la mince limite entre les nantis et les miséreux, et de rejoindre leur cohorte.
Lorsque, en vacances, les fortunés croisent des barques de migrants tâchant de rejoindre la rive, ils applaudissent des deux mains voyant une vague renverser l'embarcation, et les emportant l'un après l'autre.
Toujours dans ce même monde, les femmes meurent et peuvent être remplacées par un exemplaire en tout point conforme, dont l'homme peut faire ce qu'il entend.
Les enfants, quant à eux, sont en pension, l'on en oublie parfois jusqu'à leur existence et leur nom.
Le loisir consiste à se retrouver sur un pont enjambant le périphérique, et à lancer des projectiles sur les véhicules en contrebas. Ou encore, à organiser des jeux sexuels entre adultes, ou à torturer le Père Noël.
Ces textes très courts, de trois ou quatre pages tout au plus, présentent une vision altérée de la société, des codes qui la régissent, des individus qui la constituent. Ils sont porteurs d'une cruauté désarmante, car il semblerait que l'éthique et le bon sens, l'empathie, aient déserté ces personnages qui nous ressemblent pourtant terriblement - ils ont un travail de bureau, une famille, un quotidien qui s'articule autour de leur vie professionnelle et de leur vie privée, et du loisir qui motive ce schéma auquel il est difficile d'échapper.
On pourrait penser aux Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, à des récits dressant une satire sociale, sur un ton détaché et tellement sérieux, au premier abord.
On rit sous cape, on s'extasie devant la clairvoyance de Claudel, son audace aussi - car Inhumaines n'est pas à mettre entre des mains d'enfants, certaines nouvelles sont corrosives voire à caractère érotique sans la dimension du désir en prime, tout ceci étant extrêmement mécanique.
Et puis, en dernier lieu, on s'interroge sur les similarités entre ce monde à la fois étranger et familier, et le nôtre. Car si certains comportements nous paraissent improbables, certains faits divers remontent en mémoire, démontrant qu'ils ne le sont pas tant que ça. A l'instar de la noyade d'un migrant dans le canal de Venise, en janvier dernier, sous les rires et les regards attentifs de passants et de touristes qui nous ressemblent à s'y méprendre.
Alors, le sourire et l'égaiement laissent place à l'effroi et à l'introspection.