Ah ces péchés délicats ! Délicats à traiter, je veux dire. Discourir sur la paresse, l’orgueil ou l’avarice, c’est facile. On raconte des anecdotes, on déniche des exemples, on en rit. Mais le sexe, lui ?
La sexualité est essentielle à la vie. Comme boire et manger. D’ailleurs, c’est quoi, la vie ? C’est une structure complexe qui résiste à diverses sources de changements, qui renouvelle, par assimilation, ses éléments constitutifs, qui croît et qui se reproduit.* Donc, sans sexualité, pas de reproduction et pas de vie. Pour se reproduire, il faut avoir le goût de copuler. La nature a donc procuré le plaisir à l’acte sexuel. Ça donne envie aux êtres vivants de se reproduire. Imaginez l’acte sexuel accompagné de douleur. L’homo sapiens n’aurait pas fait long feu. Alors le plaisir sexuel est naturel et essentiel, pour l’équilibre physique, mental et social. Croire comme saint Paul à la continence comme idéal sexuel chrétien engendre les tabous que certaines consciences de nos sociétés à descendance judéo-chrétiennes portent encore en elles. Cet extrémisme a un avantage pourtant : elle condamne a priori la perversion contre nature — la pornographie, l’alliance sexualité-violence, le viol ou l’incitation au viol, l’imaginaire réducteur de la sexualité malsaine, la banalisation de comportements sexuels extrêmes − et la luxure.
La luxure est la recherche immodérée de plaisirs sexuels. C’est une sexualité désordonnée ou incontrôlée. Le mot date de 1119. Pas si nouveau, donc. Dans Troilus et Cressida, Shakespeare écrivait : Luxure ! Luxure ! Toujours la guerre et la luxure ! Il n’y a qu’elles qui soient toujours de mode.*** Le mot provient du latin luxuria.** Une exubérance de la sexualité. Une surabondance. Trop de sexe. La religion chrétienne du Moyen Âge la plaçait au troisième rang des péchés capitaux. Après l’orgueil et l’avarice. Dans des fresques, des peintures ou des sculptures, on représentait la luxure par des démons ou des serpents tourmentant la femme. Un proverbe chinois en décrète la source de bien des maux : Siècle de luxure : siècle de faussetés, d’erreurs et de chimères.*** Or, le vice luxurieux n’était pas l’apanage de toutes les religions anciennes. Certaines, comme les Bacchanales, pratiquaient des rites comportant des actes luxurieux. Il y eut même des dieux de la Luxure : Anoukis en Égypte (à l’époque ptolémaïque), Vénus à Rome, Aphrodite en Grèce, Lilith à Babylone, Tlazolteotl chez les aztèques, Freyja dans la mythologie nordique, Kâma pour l’hindouisme, source du Kâmasûtra.
Pour la psychologie, la luxure s’associe au manque de contrôle de soi, de ses pulsions, au désir débridé de la chair, à un luxe de sexe qui dépasse les besoins naturels de procréer ou de libérer les tensions sexuelles légitimes et physiologiques associées à notre nature animale. Ainsi, la luxure est pour le sexe ce que la boulimie est pour la nourriture.
Reculons un instant à l’aube de l’humanité, alors que l’homo sapiens se composait de chasseurs et de cueilleurs de ce que la nature leur offrait. Certains chercheurs de l’évolution soutiennent que les anciens fourrageurs ne vivaient pas en couples monogames, mais plutôt en « communes » et ignoraient les concepts de propriété privée et de paternité. Dans de telles bandes, la femme pouvait copuler et s’unir à plusieurs hommes (ou femmes) en même temps. Des enfants naissaient et tous les adultes de la bande contribuaient à les élever. Les hommes, ne sachant lesquels des rejetons de la bande étaient issus de leur semence, offraient les mêmes attentions à tous.**** Chez nos proches parents, les chimpanzés et les bonobos, cette structure sociale existe toujours. De même chez quelques cultures humaines actuelles comme les Indiens Bari. Cette théorie de la « commune ancienne » expliquerait les infidélités fréquentes des mariages modernes, ce goût inné « d’aller voir ailleurs », et le taux élevé de divorces, devant l’obligation de vivre en famille mononucléaire dans des relations monogames incompatibles avec notre logiciel biologique. (sic) Par bonheur – ou hélas, selon le cas – beaucoup de chercheurs réfutent cette théorie et croient que la monogamie et la famille nucléaire est plutôt au cœur de notre comportement, les communautés archéologiques de chasseurs-cueilleurs ayant compté des cellules isolées composées d’un homme, d’une femme, jaloux l’un de l’autre, peut-être, et des enfants qu’ils avaient ensemble. Il en résulte qu’encore de nos jours, les relations monogames, possessives, et les familles nucléaires sont la norme dans la majorité des cultures.**** Alors, exit la luxure !
* http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vie/81916
** Certains éléments de ce texte sont issus de https://fr.wikipedia.org/wiki/Luxure
*** http://dicocitations.lemonde.fr/citations-mot-luxure-2.php
**** Yuval Noah Harari, Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015
© Jean-Marc Ouellet 2017
Notice biographique
Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.