J'vais vous dire un truc. Y a des jours comme ça où il te vient une envie subite, tellement tenace que t'y penses toute la journée. Ainsi, l'autre jour, j'ai tout d'un coup, à 7h du matin, eu l'irrépressible désir de lire de la bonne SF. Du genre com'ac, voyez. Alors, après le boulot, j'ai foncé à la librairie de mon quartier et je me suis portée acquéreuse de trois bouquins, petits (hein faut la jouer raisonnable de temps en temps) dont le livre que voici. Eh ben vous savez quoi mes loulous, il faut jamais réprimer ses envies.
Dans un lointain futur où les voitures ne sont plus le mode de locomotion n°1, des scientifiques ont créé une voiture entièrement organique pour le simple plaisir des utilisateurs : la BlackJag. Mais voilà Antoine, fier propriétaire du premier modèle, disparait sans laisser de trace. Le créateur Fransen et un huissier de justice récupère la BlackJag dans le laboratoire de la firme pour écouter les enregistrements de la carlingue et faire la lumière sur la disparition inquiétante d'Antoine.
Avec ce huit clos glaçant, Grégoire Courtois nous livre là un petit roman (160 pages) taillé au scalpel et nous prouve que c'est parfois dans la concision que le meilleur se révèle. Ici, pas de surplus ni de superficialité. A l'image de sa création, Courtois fait de la précision un atout précieux où tous les détails, si petits soient-ils, ont leur importance.
La BlackJag est donc la narratrice de sa propre histoire, cette voiture pourvue d'un système de mémoire, qui retrace par l'intermédiaire de Jane l'ordinateur et du professeur Fransen les quelques instants marquants de sa vie face à l'huissier qui enquête pour rassurer quelques actionnaires de la compagnie, soucieux de la commercialisation de leur jouet.
La BlackJag a-t-elle une conscience ?
Si la réponse n'est pas toujours évidente, elle est néanmoins bien là. Car si elle en avait une et qu'elle avait quelque chose avoir avec la disparition de son propriétaire, en serait-elle tenue pour responsable ? L'auteur nous donne ainsi l'occasion d'élever nos interrogations sur l'intelligence artificielle et sa portée " humaine ". Car pour le coup, la BlackJag se révèle aux yeux du lecteur infiniment attachante, dans ses souffrances (cf. l'accident de la route absolument atroce) comme dans sa volonté de comprendre les mécanismes humains de son créateur et de son propriétaire. On ressent énormément d'empathie pour cette voiture organique, comme de l'horreur dont se joue d'ailleurs l'auteur avec délice. Malmenée et charcutée, les détails sur la conception de la voiture ne nous sont pas épargnés et nous font ressentir aussi bien du dégoût qu'une immense compassion.
Mais, si Suréquipée est un roman de science-fiction avant tout, c'est également un véritable thriller qu'un certain Stephen King aurait sans doute apprécié. L'ambiguïté, maître mot du roman, souffle un voile opaque aussi bien sur la narration que sur les personnages, tant est si bien qu'il m'est arrivé de ne pas capter sur le moment l'importance de certains détails ou passages qui se se sont révélés primordiaux par la suite.
Qui traduit ? Qui dit vrai ? Qui est responsable ?
Quant aux personnages entourant la BlackJag , ils sont plus énigmatiques qu'il n'y paraît, cachant pour certains des motivations autres. C'est là que le pouvoir de la narration en puzzle rentre en jeu. Même si la plupart des informations qui nous ont révélées sont pour la plupart factuelles, la BlackJag en se remémorant des " souvenirs " laisse entre-apercevoir néanmoins quelques aspects de la personnalité de son créateur Fransen (dont le nom rappelle Frankenstein d'ailleurs) à son insu. En ce qui concerne le disparu, Antoine, dont les actes et paroles nous sont directement rapportés par les enregistrements de la BlackJag, son comportement change à mesure que son contact avec la voiture se fait plus personnelle montrant alors une certaine possessivité envers elle ce qui l'éloigne de sa famille. La chose aurait pu être drôle si l'histoire n'était pas aussi terrible. Puis la résolution, un claquement de fouet, nous laisse sur le carreau avec des points d'interrogations plein la caboche, nous abandonnant avec nos propres interprétations.
Je me suis posée la question pendant longtemps si j'allais ou non apposer le label Coup de Coeur sur cette lecture. Mais je vous avoue, j'ai été tellement chamboulée, malmenée et " dérangée " que je m'en vois incapable. Je pense que Suréquipée fait partie de ces livres dont je suis très contente d'avoir fait la connaissance mais en même temps soulagée de l'avoir fini, un de ces romans viscéraux dont la virtuosité d'exécution rend admiratif mais bouscule son lecteur sans la moindre vergogne. Une semaine après avoir fermé le bouquin, je reste encore hantée par l'histoire, c'est dire...