Quand Heidi délaisse les chèvres pour les garçons

Quand Heidi délaisse les chèvres pour les garçons

Heidi au printemps (Marie Spénale – Editions Delcourt)

Tout le monde connaît l’histoire de Heidi, cette petite orpheline qui vit avec son grand-père dans les Alpes suisses. Isolés dans leur chalet perdu au milieu des montagnes, ils y mènent une vie rude et simple. En gros, les journées de Heidi se résument à se balader dans les alpages avec ses chèvres, à jouer dans la neige ou à faire de la broderie. Toutes des activités qui plaisaient beaucoup à Heidi lorsqu’elle était petite. Mais maintenant qu’elle est devenue une adolescente, ces distractions enfantines ne lui suffisent plus. Pour le dire clairement, Heidi s’ennuie! Et ce n’est pas la lecture de sa bible illustrée, qu’elle connaît par coeur à force de la relire, qui pourrait lui remonter le moral. Afin de la distraire un peu, son grand-père lui propose de l’accompagner au village pour l’aider à vendre son fromage, mais elle n’y croise que des personnes âgées. Dans le même temps, sa copine Clara, qui habite dans une grande ville, lui écrit régulièrement pour lui raconter ses premiers bals, ses belles tenues et ses danses endiablées avec des garçons tous plus beaux les uns que les autres. Il n’en faut pas plus pour titiller l’imagination fertile de Heidi. Pour elle, le temps de l’innocence touche bel et bien à sa fin. Désormais, quand elle accompagne le joli chevrier Peter dans les alpages, ce n’est plus seulement pour profiter d’une belle balade bucolique, mais aussi et surtout pour tenter des nouvelles expériences avec lui. Tout n’est pas rose pour autant. Car entre la maladresse du gentil Peter et la colère de son grand-père qui refuse de la voir grandir, Heidi se rend vite compte que c’est loin d’être simple de devenir adulte.

Quand Heidi délaisse les chèvres pour les garçons

Sur la couverture de « Heidi au printemps », un autocollant indique « Contenu explicite – Réservé à un public averti ». Une mise en garde loin d’être inutile, dans la mesure où les dessins de ce roman graphique pourraient faire croire qu’il s’agit d’un livre pour enfants dans la lignée du dessin animé « Heidi » des années 70, alors qu’en réalité c’est bel et bien un livre pour (jeunes) adultes. Au premier abord, ce contraste entre graphisme enfantin et contenu adulte a d’ailleurs de quoi désarçonner. Comme l’explique l’auteure Marie Spénale sur son blog, la plupart des éditeurs ont d’abord été hésitants par rapport à son projet, car ils avaient du mal à voir à quel public elle voulait s’adresser exactement. Mais la jeune illustratrice s’est accrochée à son idée d’imaginer une Heidi devenue ado et pour finir, les éditions Delcourt ont mordu à l’hameçon. Au vu du résultat final, on peut dire qu’elles ont bien fait, car Marie Spénale, dont c’est la toute première bande dessinée complète, révèle un joli potentiel avec ce conte initiatique. Tout comme Bastien Vivès dans « Une soeur », Marie Spénale s’intéresse au passage de l’enfance à l’adolescence et met en scène tout ce que ça implique en termes de découverte du corps et de la sexualité. Mais là où « Une soeur » raconte cette période particulière de la vie à travers les yeux d’un personnage masculin, « Heidi au printemps » aborde cette même thématique avec un point de vue féminin, ce qui donne à son histoire une toute autre tonalité et un regard radicalement différent. La manière dont Marie Spénale met en scène les fantasmes et les angoisses qui agitent les pensées de Heidi, par exemple, est très réussie. A noter que le livre devait s’appeler au départ « Heidi grandit », mais ce titre original a dû être modifié pour des raisons de droits, car « Heidi grandit » est aussi le titre d’un des romans publié par Johanna Spyri, celle-là même qui a inventé ce personnage mythique de la littérature suisse.