C'est aujourd'hui que je vous parle (enfin) d'un livre dont on me rebat les oreilles depuis plus de DEUX ANS avec force enthousiasme et sentiment. Et à raison. Le premier roman de Flore Vesco est étonnant et croustillant comme des Chocopops à la pistache.
Ça tombe bien, car elle va en avoir besoin : sa mère a décidé de la marier pour renflouer les caisses du château et remplir les assiettes de ses frères. Serine, cependant, trouve une meilleure solution : elle va devenir demoiselle de compagnie à la Cour du roi, se faire une renommée, une fortune, et sauver la smala. C'est ainsi qu'elle monte à Paris en charrette, et passe 190 pages à faire n'importe quoi.*
Ce roman est, par certains aspects, extrêmement classique ! En effet :
- il commence comme un conte (l'héroïne est l'aînée (ou la cadette, plus souvent) d'une grande fratrie, au caractère et aux dons singuliers, pleine (d'indépendance et) d'abnégation) ;
- il continue comme un conte (une fille de nobles désargentés se fait une place à la Cour, s'attire les sympathies du roi et les vipérages des courtisanes, puis la jalousie de la reine aka méchante belle-mère) ;
- il finit comme un conte. (...Vous avez cru que j'allais vous spoiler la fin ?) (Vous avez tous lu des contes, allékoi.) (Y a souvent des mariages et des promesses d'amours éternelles et d'enfants nombreux) (les méchants sont punis) (les fermiers deviennent princes) (etc.) (Bref.)
ET POURTANT. Pas si vite !
À partir de cette structure classique, Flore Vesco nous compose un roman d'une modernité décapante.
- Elle joue sur les codes de ces narrations connues pour se moquer de nos attentes et glisser un tas de choses rigolotes dans les interlignes.
- C'est l'histoire d'une jeune femme qui se bat pour son indépendance (elle a refusé le mariage dans les premières pages, et va passer le roman entier à faire tout et n'importe quoi plutôt que ce qu'on tente de lui imposer). Au-delà de toutes les péripéties humoristiques, de toutes les trouvailles langagières, on suit l'histoire de cette fille qui passe par les différents types de torture que recèle un château, et relève tous les défis les plus dingues pour décrocher le précieux sésame de sa liberté. Béh oui : Serine ne rêve que de vivre sans être soumise au joug de qui que ce soit (surtout celui d'un vieux croulant à qui on l'aurait vendue contre trois moutons et deux chandeliers).
- La protagoniste défend la cause de tous les " street-smart " du monde. Tu ne sais pas lire... mais tu as du bagou ? Tu ne connais pas Sartre et Kupka et Pline le Jeune... mais peux inventer 100 façons de faire sortir un escargot de sa coquille ? Tu es étranger/ère aux codes de la classe dominante... mais tu t'adaptes à toutes les situations avec panache ? Tu as l'habitude d'essuyer les regards désobligeants des BG de cocktails et fais semblant de n'en avoir rien à cirer, même si ça te pèse un tout petit peu ? SERINE EST COMME TOI. Serine est la géniale démonstration d'un rapport de force intelligence VS intelligentsia.
Comment ça, je lis dans ce petit livre vachement plus de trucs que je devrais ? (Et après ? V'nez me chercher.)
À part son côté schizophrène tout à fait charmant
(conte classique & esprit moderne),
que dire de ce roman ?
1) Le regard ironique et tendre que l'auteure porte sur l'époque historique semi-fantaisiste qu'elle dépeint est savoureux et piquant comme du piment d'Espelette. On rit à peu près tout le temps.
2) Le début très narratif, peu scénique, est assez exigeant, et le niveau de langue et la densité de certains passages le rendent bien moins enfantin que je l'eusse crusse. (Accessible à partir de 12 ans, je dirais.) Mais en dehors de toute considération d'âge, j'aurais préféré une approche plus live ; d'ailleurs, ma partie favorite est celle du " fou du roi ", où davantage de scènes vécues sont déployées, donnant un véritable allant au récit.
3) J'aime bien la description antiglam au possible des demoiselles de compagnie, de la reine et de toutes les femmes nobles, chauves et édentées, poudrées et perruquées - atroces. Exemple : Crisante, la jeune concurrente de Serine, se rengorge de ses belles dents en or. C'est historiquement assez authentique et narrativement délicieux.
4) J'aime certains gadgets narratifs vraiment typiques du conte, comme :
-la reine qui exige quelque chose d'impossible dans un délai impossible,
-le rythme ternaire et la gradation de ces " défis ".
Élément qui (sans spoiler) m'a rappelé le film de Jacques Demy, Peau d'Âne, et notamment la succession des robes aux couleurs irréelles...
...défis magiques dont la princesse du conte s'accommode avec malice (et presque un peu d'insolence). (Tout en ayant légèrement les miquettes, aussi. Comme Serine.)
5) Enfin, j'aime d'amour la fantaisie des mots qui s'empare de Serine - puis de la Cour - puis du roman - puis du lecteur. L'héroïne a en effet pour particularité de jouer à inventer des histoires, des charades et des mots pour se sortir d'une situation délicate (et égayer le quotidien). La plus marquante de ces trouvailles est l' " esperlune " (HS mais, toute à mon obsession, je me suis dit que ça ferait un joli prénom : Esperlune. Non ? Ok.), et si vous vous demandez ce qu'est une esperlune, mais enfin, c'est simple, regardez le ciel : il est couleur d'esperlune. Regardez-vous : vous êtes charmant(e) comme une esperlune.
Et puis, surtout, goûtez-moi ce roman : il est fin et malicieux comme une esperlune.
Bonne lecture !