Dans l’intimité de Marie, de Shūzō Oshimi

Par Kloliane

Mon premier coup de cœur depuis…. Purée !

26 décembre 2016  (8h00) – Oui, je me suis levée tôt comme les enfants après le Réveillon :
Moi (assise dans mon salon, entourée de mangas): On va commencer avec le cadeau de Chéri. En route pour les 6 premiers tomes « Dans l’intimité de Marie » !

26 décembre 2016 (10h30)
Moi (s’exclamant): Oh my godness ! Je suis en train d’avoir un coup de coeur ! (attrapant Chéri et l’embrassant): Merci, merci !
Chéri (tout souriant): Content que ça te plaise.

AUTEUR: Shūzō Oshimi
TITRE: DANS L’INTIMITÉ DE MARIE
ÉDITEUR, ANNÉE: Akata, 2015-2017
NOMBRE DE PAGES: Environ 200 pages par volume. COMPLET EN 9 VOLUMES !

Avant de finir l’année 2016, j’ai eu enfin un coup de cœur. Certes, j’ai eu de très belles lectures, mais il manquait toujours un petit quelque chose pour qu’elles restent intemporelles et que je puisse en parler avec une certaine ferveur des années plus tard. Et cela est enfin arrivé avec cette série qui vient de se conclure fin avril. Je peux enfin vous parler de mon coup de cœur de fin 2016, voici « Dans l’intimité de Marie » de Shūzō Oshimi.

Résumé:
Quand Isao Komori est allé sur Tokyo pour y suivre ses études à l’université, il s’imaginait déjà une nouvelle vie de rêve : jeune adulte et indépendant, avec tous ses potes de fac… Mais sans vraiment comprendre comment ni pourquoi, le voilà déjà seul. Désabusé, il finit par vivre cloitré chez lui. Son seul petit plaisir est de se rendre à la supérette du quartier, pour y admirer la magnifique lycéenne qui s’y rend tous les jours. Mais un soir, alors que comme tous les jours, il la suit discrètement jusqu’à chez elle, un curieux événement se produit : la lycéenne remarque sa présence et… Isao se réveille alors, un matin comme les autres, dans la peau de cette jeune fille ?! Il devra désormais se faire passer pour Mari, la fille la plus populaire du lycée ! Un nouvel enfer quotidien commence pour le jeune homme, tandis qu’une énorme question subsiste : puisque lui est rentré dans le corps de Mari, où est passé l’esprit de la jeune fille ?

La trame narrative de « l’échange de corps » entre deux personnages a été maintes fois utilisée dans la littérature comme au cinéma. Elle a toujours été source de situations burlesques, mais aussi une interaction afin que chacun voit que « l’herbe n’est pas aussi verte chez le voisin ».
Puis récemment, on a pu voir une tournure plus originale dans la série Sense 8.
Alors, qu’en est-il de ce manga ?

On plonge dans le quotidien monotone d’Isao Komori, jeune étudiant qui s’est rendu dans la capitale pour suivre des grandes études. Il pensait savourer son indépendance, se faire de bons amis et gérer ses cours à la fac. Mais ses espoirs se ternissent au fur et à mesure qu’il se cloître dans son appartement. Isao Komori, désabusé, préfère passer son temps derrière sa console, ses mangas et ses magazines pour adultes.
En seulement quelques pages, le mangaka nous met face à un des grands problèmes de la société japonaise, touchant plusieurs adolescents et jeunes adultes: l’Hikikomori (se couper de la société).

Un lien d’empathie aurait pu se créer, dès le début, avec ce personnage, mais Komori n’est pas montré de façon avantageuse: Assez flemmard et quelque peu pervers, il est loin de l’image du héros vertueux.
Alors lorsqu’on le voit sortir pour ses courses afin de voir Marie, une jolie lycéenne qui y est présente tous les jours, on a du mal à voir du romantisme. Pourtant, chose inattendue, Marie le regarde droit dans les yeux avec un léger sourire. Ce simple échange de regards va tout faire chavirer… Le lendemain matin, Komori n’est plus dans son corps. Son esprit est désormais dans celui de Marie.

A priori, on pourrait penser que cela va être une petite histoire d’amour mimi composée de quiproquos amusants avec ce changement de corps (exemple: « Yamada-kun to 7 Nin », entre  Yamada et Shiraishi). Ou, si vous vous basez sur la couverture du premier tome, penser tomber sur du ecchi (érotisme).
Je préfère vous arrêter toute de suite, car c’est loin d’être le cas !
Ce manga a divisé pas mal de lecteurs pour le traitement de son sujet et pour des passages avec très peu ou sans paroles… Mais pour moi, ce fut un coup cœur et je vous explique pourquoi.

Komori – Marie – Yori

A travers  les personnages de Marie, Komori et de Yori (une camarade de classe de Marie), le mangaka exploite diverses facettes des tourments de l’adolescence et du passage à l’âge adulte:
– Se sentir décalé face à la société au point de s’isoler, appréhension face à son corps qui changent, le regard des hommes face à sa féminité naissante, l’approche de la sexualité, des premiers émois amoureux, etc…
Tous ses fils de lecture se mêlent parfaitement au mystère qui entoure Marie.

D’ailleurs, les dessins de Shūzō Oshimi contribue beaucoup à cette atmosphère avec un trait très expressif, voir direct pour certaines scènes. Puis il y’a quelques-unes avec une touche onirique qui illustrent parfaitement les états d’âme de Marie et sa perte de repères. Et pour finir, vous avez celles avec peu ou aucun mot. J’avoue ne pas comprendre lorsque l’on rétorque que rien ne se passe à part de tourner les pages. Une image peut avoir bien plus de force que des mots, de même un échange de regard qui peut être un véritable miroir de nos émotions.

Et je profite pour revenir sur un autre point qui a été sujet de discussion concernant les dessins. Il y’a deux, trois scènes de scènes de sexe assez explicites. Pas mal de personnes y ont vu des illustrations racoleuses qui n’ont pas vraiment d’utilité.
Tout d’abord, il est important de rappeler que c’est un seinen, un genre où le récit est plus complexe et qui peut-être teinté de violence et d’érotisme. En ce qui concerne ces scènes, elles représentent, sous un prisme qui peut en déconcerter quelques-uns, l‘approche de la sexualité. Elles ne sont pas là gratuitement pour émoustiller, car elles prennent tout leurs sens lorsque vous aurez la clé du mystère qui entoure Marie/Komori.

Enfin, l’essence même de cette série qui la rend si profonde et arrive à vous faire passer par toute une palette d’émotions en 9 volumes (aiguiser votre curiosité, créer de l’empathie pour un personnage, se sentir mal à l’aise, être touché juste par une illustration dont aucune parole n’a été ajouté etc…), c’est la finesse avec laquelle Shūzō Oshimi a abordé le sujet de « la quête d’identité ». Lorsque votre image sociale se puise dans votre enfance, puis se confronte aux regards et aux jugements de la société, soit vous vous affirmez tels que vous êtes, soit vous enfouissez en vous tous vos ressentis pour vous fondre dans la masse. Dans ce second cas, qui êtes-vous vraiment si vous bridez vos sentiments ?
Là encore, à travers ses trois personnages qui sont bien plus proches que l’on l’aurait pu penser, le mangaka nous offre plusieurs versions de cette recherche de soi:
Komori qui préfère se couper de la société, en raison de ses rêves brisés et  d’ « un monde » qui ne semble pas vouloir l’intégrer.
Marie qui cache ses ressentis et pensées derrière un sourire de façade.
– Et Yori qui se cache derrière une attitude froide et détachée face aux autres.

Pourtant, je ne dirais pas que ce manga est exempt de défaut. Des personnages, bien que j’aie compris leurs rôles, sont trop en retrait à mon goût. Cela donne des relations qui auraient mérité beaucoup plus approfondissement, surtout une qui est un élément essentiel pour le récit et nous laissant, malheureusement sur un goût d’inachevé à la conclusion.  Et j’ai ressenti, par moment, quelques petites longueurs pour l’avancer de l’intrigue.
En ce qui concerne la thématique principale, il se peut que les lecteurs habitués à un certain genre de roman comprennent très vite ce qu’il se passe pour Marie/Komori. Ce fut le cas pour moi, sans pour autant en connaître la raison. Cela ne m’a aucunement gênée ayant vraiment apprécié le traitement choisi par le mangaka.
Malgré ces petits défauts, cette série reste un véritable coup de cœur pour moi.

Conclusion:
Pourquoi un coup de cœur pour une série qui a divisé tellement de lecteurs et sur quels critères, je me base pour le déclarer comme tel ?

Pour pas mal de personnes, leurs coups de cœur se définit lorsqu’un roman, manga ou tout autre lecture, touche vivement à leurs émotions et qu’ils se rappellent de leurs lectures des semaines, voire des mois après.
En ce qui me concerne, il faut que cela me touche à mes sentiments, même les plus enfouis, quelquefois à mes rêves, à mes peurs, à mon vécu, etc… Mais, ce qu’il faut surtout, c’est que j’adhère totalement à l’univers créé par l’auteur. Et ce fut le cas avec Shūzō Oshimi.

Je peux comprendre que des lecteurs ont eu du mal à apprécier le style du mangaka et de son approche assez spéciale pour traiter de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, en les plaçant dans des situations assez perturbantes, voire même jusqu’à être mal à l’aise.
De mon point de vue, je trouve, au contraire qu’il pousse à certaines réflexions.
En plaçant ses différentes œuvres en miroir avec les affres des jeunes adolescents, on comprend très vite la démarche choisie par le mangaka, en plus de son vécu:
– Transition charnière entre l’enfance et l’adulte, ce sont des années où on se cherche, trouver ce qui nous définit, à  s’habituer d’un corps en plein changement, ne plus être considérer comme un enfant, l’influence de l’éducation des parents bonne ou mauvaise, etc...
C’est une étape qui peut se passer par la rébellion, le renferment sur soi, la création d’un « autre moi » pour se faire bien voir des autres ou se démarquer, ou bien, si vous êtes chanceux, sans trop d’ombre au tableau.  Bref! Toutes ses expériences définissent le futur adulte que l’on devient.

Shūzō Oshimi utilise un prisme qui me parle et fait écho à mon vécu, mais aussi à ce que j’ai pu voir dans mon entourage lors de mon adolescence. Et j’apprécie particulièrement sa manière de creuser la psychologie de ses personnages, nous les offrant, certes tourmentés à première vu, mais totalement humains.

Comme je l’ai bien souligné, soit on aime, soit on n’adhère pas à l’univers de Shūzō Oshimi. Si j’arrive déjà à vous donner l’envie de le découvrir, c’est déjà une belle satisfaction pour moi, car il mérite que l’on jette un coup d’œil à ses oeuvres.

Couvertures :

(image de Shūzō Oshimi, colorée par Spike-bang )