La somme de toutes les Callista.

Par Christophe
Fin de la parenthèse enchantée des Imaginales, quelques jours de repos pour remettre les pieds sur terre et reprise progressive désormais de la lecture et du blog. Euh, très progressive, en ce qui concerne la lecture, mais j'ai tant accumulé de retard que ce n'est pas grave. Et, pour la reprise, place à une sortie qui était très attendue : "la Mort du Temps", nouveau roman d'Aurélie Wellenstein, coup de coeur de l'édition 2017 des Imaginales (en grand format aux éditions Scrineo). "Le Roi des Fauves" et "Les Loups chantants" étaient deux excellents romans, avec une atmosphère très particulière, sombre, envoûtante, et des thématiques fortes. Avec un titre à la fois audacieux, intrigant et prometteur comme cette "Mort du Temps", l'envie de retrouver l'univers si spécial de la romancière était forte. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on entre tout de suite dans le vif du sujet... Attachez vos ceintures et accrochez-vous bien, ça va secouer !

Lorsque Callista se réveille, elle peine à comprendre où elle se trouve. C'est son père, présent à son chevet, qui lui apprend qu'elle a eu un grave accident et qu'elle est dans un hôpital. Encore ensuquée, l'adolescente (Callista a 16 ans) doit digérer ces premières informations, mais aussi certains autres détails qu'elle n'identifie pas encore.
Et puis, soudain, quelques bribes de mémoire... Comment va Emma, sa meilleure amie ? Pourquoi sa mère n'est elle pas présente à ses côtés elle aussi ? Les réponses de son père sont parcellaires, teintées d'émotion. Mais, il n'a pas le temps de les approfondir : soudain, tout se met à trembler, le sol, les murs, comme si un séisme se produisait...
Il leur faut fuir, fuir ce bâtiment qui risque de s'effondrer sur eux... Ils sortent, courent, au milieu des décombres, des passants qui fuient, des automobilistes affolés. Un tremblement de terre en plein Paris, qui aurait pu croire ça ? Callista, encore faible, a du mal à suivre son père, dont elle ressent pourtant l'agacement, l'inquiétude, la peur et ce sentiment d'urgence qui se dégage de lui.
Et puis, alors que le séisme semble redoubler de puissance destructrice, le père de Callista s'effondre. Déboussolée, effarée, l'adolescente assiste à la mort soudaine de son père dans des conditions étranges, atroces, bouleversantes. La voilà seule au milieu d'un indescriptible chaos, avec la promesse faite à son père de rester vivante...
Si elle reste là, elle finira sans doute écraser par quelque mur ou façade effondrée. Alors, elle doit reprendre sa route. Mais où aller ? La capitale semble subir un cataclysme hors norme, pas un simple séisme mais un phénomène bien plus surprenant, incroyable, sidérant, même. Pas le temps de chercher à comprendre ce qui se passe, il faut s'en aller au plus vite...
Une seule idée : rejoindre Emma. Son père lui a dit à son réveil que son amie était rentrée chez ses parents, à Xertigny, dans le sud des Vosges. Une trotte, surtout à pied, mais le seul objectif que puisse se fixer Callista dans ces conditions. Alors, advienne que pourra, démunie, perdue, mais déterminée, elle se lance dans cette aventure forcément mouvementée.
Mais les dangers sont partout. Le phénomène se déplace, semble même la suivre, par moments. Les traces qu'il laisse sur son passage sont effrayantes et menaçantes. Difficile pour Callista d'avancer aussi vite qu'elle le voudrait, de trouver de quoi manger et boire, de trouver le temps de se reposer dans des endroits propices...
Et puis, il y a les rencontres... Comment savoir s'il s'agit d'ami ou d'ennemi, dans ce monde effondré, chaotique, anarchique ? Comment savoir même si ceux que l'on croise sont encore humains, car on peut effectivement parfois en douter ? A Callista de savoir s'entourer et éviter les pièges et les mauvais coups pour arriver à ses fins : retrouver Emma. Et peut-être, comprendre.
Tout de suite, une première chose : entrer dans "La Mort du Temps", c'est prendre le risque de rester un moment scotché à son siège. Rarement on tombe sur des livres qui entrent aussi rapidement dans le vif du sujet que celui-là. Les 60 premières pages, dans ce monde violemment ébranlé par cet étrange phénomène, vous obligent à vous accrocher solidement à votre siège.
Wow, ça dépote, rien que d'y repenser, j'ai l'impression de retrouver ces tremblements, ces bruits, ce chaos... Comme Callista, on a quelques éléments, quelques pièces d'un puzzle dont on sent bien qu'il faudra le reconstituer, mais on est éberlué, perdu, paniqué... Que se passe-t-il, soudainement ? C'est incroyablement retranscris et transmis.
Et puis, une fois que tout se calme (provisoirement), on commence à voir transparaître certains des thèmes favoris d'Aurélie Wellenstein. Le plus évident, c'est la métamorphose, l'hybridation humain/animal. Eh oui, encore, j'en entends déjà certains qui râlent... Mais ce qu'elle imagine, ce côté contrefait, cauchemardesque, est tout à fait réussi.
A côté de cela, j'ai curieusement trouvé l'univers moins sombre, en tout cas dans la première moitié, les deux premiers tiers, même. Comment dire ? On est obnubilé par le phénomène, qui se manifeste aussi par une lumière qui brise le côté ténébreux de ce que fait d'habitude l'auteure. Mais, dans le final, on replonge dans quelque chose de très noir et inquiétant.
D'autres thèmes présents chez Aurélie Wellenstein, dans les romans qu'elle a publiés chez Scrineo, sont présents dans "la Mort du Temps", mais c'est un peu délicat d'en parler, au risque d'en dévoiler un peu trop sur l'histoire. Mais, il y a encore une fois un sentiment d'inconfort, de malaise, de doute, une manière d'évoquer l'adolescence et ses difficultés inhérentes qui sont très intéressantes.
Mais venons-en au thème central de ce roman : le temps. Un sujet qui revient souvent ces derniers temps, on peut penser au dernier tome en date des aventures de Jean-Philippe Lasser, le détective des dieux, au premier roman de Lou Jan, "Sale temps", mais aussi à "22/11/1963", dans lequel Stephen King fait du temps un monstre s'opposant à son personnage principal.
C'est même à ce dernier que j'ai pensé immédiatement : le temps comme monstre, comme méchant d'une histoire, ça me plaît ! On retrouve d'ailleurs dans les deux romans le côté sismique du temps en action, mais chez Aurélie Wellenstein, il est nettement plus violent. Et surtout, elle a une idée que j'ai trouvé absolument géniale.
Je vais essayer d'en parler sans trop en révéler, là encore. Mais j'ai adoré le côté compression à la César que produisent les soubresauts du temps dans le roman d'Aurélie Wellenstein. Ils concassent, écrabouillent, ils déforment et contrefont... Le résultat, sur les lieux comme sur les êtres, est tout à fait impressionnant.
J'ai trouvé très malin ce réveil du temps, espèce de Léviathan qui se cabre et se rebelle contre un ordre des choses, espèce de monstre souterrain venus des profondeurs tel un dragon endormi qu'on est venu sortir de son hibernation et qui fait savoir son mécontentement. Celui-là ne crache pas du feu, mais son côté broyeuse de casse automobile n'est guère plus rassurant...
Cela colle aussi parfaitement avec le titre du roman, car ce phénomène pourrait parfaitement ressembler aux convulsions d'agonie d'un monstre légendaire qui aurait été frappé par un chevalier, un saint Georges resurgi du fond des âges... Oh, ça alors, mais que vois-je sur la couverture (dit-il, avec un ton digne de la Comédie Française pour ménager son effet) ? Un bien curieux chevalier !
N'en disons pas plus. Pour le reste, Aurélie Wellenstein joue avec le temps de façon assez classique, des situations chères à la SF depuis Wells et sa machine à explorer le temps. Mais, n'oublions pas que c'est un roman qui s'adresse à de jeunes lecteurs, même si je trouve que son univers peut parfaitement plaire aux adultes. Et cette variation sur les questions temporelles est intéressante et efficace.
Et puis, il y a une référence un peu curieuse, a priori, qui m'est venu au fil des pages et des chapitres. Et si Callista était une Dorothy qu'un mystérieux phénomène avait emmené dans un pays d'Oz infernal, fracassé, apocalyptique ? Au fil de son odyssée vers les Vosges (décidément terre d'imaginaire de plus en plus affirmée, youpi !), les rencontres que fait Callista construisent une fière équipée.
Franchement, je suis à peu près sûr d'être le seul à faire ce lien. On n'est certainement pas dans une relecture du classique de Frank L. Baum, mais j'assume, je revendique ce parallèle, jusque dans le dénouement de cette histoire. Et j'ai trouvé ça drôlement bien, de bousculer les repères, de les maltraiter un peu et d'offrir un univers une nouvelle fois riche et surprenant au lecteur.
Un dernier mot, en forme de conseil. Il y a quelques jours, Aurélie Wellenstein était donc le coup de coeur des Imaginales, un salon que j'aime particulièrement, qui se déroule à Epinal et est devenu, en 15 ans, un des plus grands événements de France autour des littératures de l'imaginaire. Lorsqu'on est coup de coeur, on a le droit de passer sur le gril.
Un entretien en tête-à-tête avec Stéphanie Nicot, la directrice artistique de l'événement. Je n'ai pas pu assister à cette rencontre (mon planning de modérateur ne l'a pas permis), mais j'en ai eu quelques échos. Le site ActuSF enregistre les tables rondes des Imaginales puis les met en ligne. Celle d'Aurélie, je crois, ne s'y trouve pas encore.
Mais, lorsqu'elle s'y trouvera, je vous encourage à l'écouter, je suis certain qu'elle vous apportera des éclairages intéressants sur son travail d'écrivain et sur cet univers que j'apprécie particulièrement, aussi sombre qu'il est profond. "La Mort du Temps" prolonge son travail assez varié, de la fantasy à la science-fiction, avec un talent certain, un style toujours aussi fort et visuel et des atmosphères qui ne peuvent laisser indifférent.