Je possède ce livre depuis tellement longtemps et j'en ai entendu telleeeemmeeenttt de bien que j'ai mis (au moins) 30 ans à le lire et ai dû attendre de me rendre aux Imaginales pour y rencontrer l'autrice. Là où tombent les anges fait partie de ces romans qui ont apparemment fait l'unanimité, je craignais ce phénomène qui laisse sur le carreau ceux qui le lisent après tout le monde et ont en tête les multiples chroniques élogieuses écrites dessus. Et souvent, le résultat de cet encombrement du cerveau est une terrible et monstrueuse déception (n'ayons pas peur des mots). Alors ? Qu'est-ce qu'a donné cette première rencontre avec Charlotte Bousquet ?
Le résumé qui tombe à pic
Solange, dix-sept ans, court les bals parisiens en compagnie de Clémence et Lili. Naïve, la tête pleine de rêve, elle se laisse séduire par Robert Maximilien et accepte de l'épouser. Mais son prince est un tyran jaloux, qui ne la sort que pour l'exhiber lors de dîners mondains. Coincée entre Robert et Emma, sa vieille tante aigrie, Solange étouffe à petit feu. Heureusement Lili la délurée et la douce Clémence sont là pour la soutenir. Quand la Première Guerre Mondiale éclate, Robert est envoyé sur le front. C'est l'occasion pour Solange de s'affranchir de la domination de son mari et de commencer enfin à vivre, dans une ville où les femmes s'organisent peu à peu sans les hommes.
La vie ne va pas être tendre avec Solange, l'héroïne de cette histoire. Échappant de peu à la mort dès le début du roman, elle tombe de Caribe en Scylla en se mariant à Robert, un homme riche mais rustre, qui aime à contrôler entièrement son existence. Attention à votre petit cœur, faut s'accrocher sévère.
Au départ, Solange m'a fortement agacé. Elle est faible, peu combative, se laisse porter par les événements et ne se rebelle jamais. D'ailleurs, il n'y pas que moi qu'elle énerve, ses deux amies proches, Lili et Clémence, ont bien du mal à accepter son apathie. Pourtant, petit à petit, on commence à entrevoir le pourquoi du comment du comportement de la jeune fille et à apprécier son évolution (lente mais réaliste). Et pourtant, ce n'était pas gagné, tant nous sommes habitués à des Katniss et des Hermione, femmes fortes dès le début et qui se battent pour leurs convictions. Ici, si j'ose faire la (douteuse) comparaison, Solange tient plus de Bella, mais une Bella qui va petit à petit s'émanciper et trouver les paillettes d'Edward ridicules. Et finalement, c'est vachement plus crédible que les dons de leader de Miss Everdeen.
L'époque où se déroule le récit est cruciale. Le début est plein d'espoir et de perspective, l'avant-guerre, Solange qui échappe à son père violent, les cabarets et la vie parisienne, tout semble parfait et bohème. Puis vient la guerre, la première, celle des tranchées, et les hommes disparaissent du champ de vision. Ne restent que les femmes, laissées derrière, qui doivent se mettre à contribuer à l'effort de guerre. Et c'est alors qu'au-delà de la "simple" transformation d'une adolescente timorée vers une femme forte, Charlotte Bousquet nous propose d'assister à une véritable métamorphose sociale, que ce soit dans des chambardements forts ou plus discrets.
En résulte un roman puissant et lumineux, où l'on assiste à une partie souvent oubliée (ou du moins atténuée) de l'histoire : les guerres, si elles sont atroces pour les hommes sur le front, ne sont pas non plus de tout repos pour ceux qui restent en arrière. Là où tombent les anges m'a transporté au côté d'une jeune fille, certes quelque peu énervante, mais à qui, si nous sommes assez honnêtes avec nous-mêmes, on peut facilement s'identifier. Certaines scènes sont très dures, viols, violences, conséquences de la guerre, blessures... Mais le récit aborde aussi beaucoup de thématiques, plus discrètes, que son contexte, mais tout aussi indispensables et rarement traitées dans des romans historiques (l'homosexualité, l'art, la littérature, la musique pour donner quelques exemples pêle-mêle).
Au milieu de la grande histoire se tisse alors la petite, celle des gens qui ne sont pas des héros, celle de la majorité silencieuse. Et c'est bouleversant.
Difficile de mettre les mots sur ce roman qui m'a beaucoup touché et ému. Par bien des aspects, il m'a fait penser au Chant du Rossignol, autre roman historique (classé en littérature adulte) mettant les femmes au cœur du sujet. Mais aucun sentiment de redite ici pour moi, j'ai été prise dans le roman, embarquée et emportée et il fut difficile de le lâcher. Charlotte Bousquet écrit merveilleusement bien, s a plume est parfois sensible et poétique, parfois directe et brusque, miroir parfait des situations et des sentiments qu'elle décrit. Elle a aussi fait pas mal de recherches, ça se sent, mais rien de rébarbatif, tout apporte quelque chose au récit. Gros coup de cœur pour Titine qui regrette donc de ne pas l'avoir lu avant, grosse nouille qu'elle est. Les éditions Gulf Stream grimpent encore un peu dans mon estime (même si j'ai bien l'impression que leurs parutions s'adressent prioritairement aux plus grands des adolescents, je n'ai jamais eu la sensation de lire du young adult). À lire et à conseiller !