Gilles Paris.
On nous l'aurait changé, notre Gilles (Paris)?Après avoir publié trois romans en vingt ans ("Papa et Maman sont morts", Point-Virgule, 1991, "Autobiographie d'une courgette", Plon, 2002, son best-seller adapté au cinéma, et "Au pays des kangourous", Don Quichotte, 2013), il persévère dans le rythme court avec son nouveau et épatant "Le vertige des falaises" (Plon, 248 pages) qui arrive trois ans à peine après "L'été des lucioles" (Héloïse d'Ormesson,2014, lire ici). Une saga tourbillonnante.
On nous l'aurait changé, notre Gilles (Paris)? (bis)
Après quatre romans dont le héros est un garçon de neuf ans, Jean-Jean, Icare, Simon et Victor, il se glisse cette fois dans la peau d'une ado de quatorze ans, Marnie. Et le costume lui sied parfaitement. Elle est une des protagonistes de ce roman choral où les femmes sont fortes même si elles ne sont pas gâtées par leur destin. Où l'amour se pointe chaque fois qu'il le peut, tentateur mais parfois trompeur.
"Le vertige des falaises" se déroule dans une île, sauvage et peu peuplée. Dans une maison de verre et d'acier, à la Frank LLoyd Wright, surplombant les falaises, où cohabitent trois générations d'une même famille, Olivia et Aristide de Mortemer, les grands-parents, Luc et Rose, les parents, Marnie, leur fille. Autour d'eux, Prudence, qui fait tourner la maison, et sa fille Jane. Le médecin de famille, Géraud. Côme, le prêtre. Manos, le coiffeur. Vincy, un copain d'école de Marnie. Agatha, la fleuriste et d'autres encore. Ce sont leurs voix qu'on va entendre successivement dans ce très beau roman choral.
Car là, on ne nous l'a pas changé, notre Gilles (Paris).
Il est toujours un écrivain talentueux, dont l'écriture fluide sait construire une histoire, mener son lecteur dans un cul-de-sac pour mieux l'en extraire. Il n'a peur ni des drames ni des secrets de famille qui seront petit à petit révélés dans ce livre à la fois prenant et effrayant par la violence physique et morale dont il se fait le témoin. Que deviennent les enfants quand les grands se comportent mal? Ils trinquent, se blindent mais espèrent. Comme Marnie, dont on découvre petit à petit qu'elle sait tout ce qui se passe dans la maison, entre ses grands-parents, entre ses parents. On voit aussi comment elle tente de s'en préserver, sous ses attitudes souvent provocantes.
Il s'en passe des choses sur la lande que bordent de hautes falaises, dans la maison et dans le village. Des belles, faites d'amitié, d'estime, de respect, de plaisir, qu'on découvre lors des interventions des uns et des autres; des petits récits de vie qui font souvent chaud au cœur. Et des moches. Même des sacrément moches. Indicibles. Secrètes. On est étonné du nombre de personnes qui s'épient. Ragots bien sûr, mais pire, cent fois pire aussi. Des silences qui minent les générations successives. En même temps, Gilles Paris offre un roman très humain, croyant profondément à la résilience. Celle des femmes surtout car les hommes en prennent pour leur grade, et à raison. Les femmes se montrent fortes, à moins qu'elles n'aient pas d'autre choix.
Marnie a quatorze ans et peur de grandir quand on la rencontre. Après tout ce qu'elle a vu et entendu qu'elle aurait dû ignorer, qu'elle a enfoui en elle parce qu'elle n'avait personne à qui en parler, on la comprend. Elle reste toutefois avide de vivre et d'aimer, de conjurer l'espèce de malédiction qui frappe les siens. Et elle est soutenue dans son entreprise de se libérer de tous ces empoisonnants secrets. Par sa mère bien sûr, même si elle est malade, par sa grand-mère, par Quincy et par d'autres personnages qui, l'air de rien, veillent sur elle.
Difficile d'en dire plus sur ce récit plein de péripéties et de rebondissements, hommage de l'auteur à Agatha Christie qu'il vénère tout comme Alfred Hitchcock pour lequel il place une héroïne blonde. Ils donnent de l'allant à ce roman scrutant profondément la noirceur des hommes.
Cinq questions à Gilles Paris
Vous dites souvent écrire pour vous surprendre. Cela a-t-il été le cas ici aussi?
Encore plus cette fois-ci. J'ai voulu me surprendre, et surprendre , même encore plus après le succès du film "Ma vie de courgette" (NDLR, tiré du deuxième roman de l'auteur). J'ai commencé ce livre en avril 2016, le mois où le film a été présenté en projection privée. Et je l'ai écrit en parallèle aux projections. Comme toujours, j'ai beaucoup retravaillé le texte. Un roman choral a une architecture particulière,qui demande encore plus attention.
Vous ne vous êtes plus glissé dans la peau d'un petit garçon de neuf ans cette fois.
Non, mais dans celle d'une grande fille très mature. Marnie a quatorze ans mais elle sait tout, elle entend tout ce qui se passe autour d'elle. Elle est plus mûre que la moyenne des adolescentes à cet âge. Comme quoi, vivre sur une île ne vous coupe pas des réalités. Elle représente ma part d'ombre, les choses plus sombres en moi, ma distance par rapport à mes propres histoires. Personnellement, je suis dérangé quand un auteur s'exprime en frontal. Je trouve plus intéressant de passer par une ado ou par une septuagénaire pour farfouiller dans les âmes.
Vous vous lancez dans le roman choral?
Non, il s'agit du second roman choral que j'écris, mais le premier n'a pas été publié. Un roman choral, c'est comme un dîner entre amis, on entend des points de vue différents du sien alors qu'on est au même endroit. Côme, par exemple, le prêtre, est dégoûté par la famille Mortemer. Les gens ne sont pas toujours nécessairement comme on le croit. Dans un sens comme dans l'autre. Les personnages vont effectuer un voyage intérieur pour arriver à quelque chose d'équilibré, d'équilibrant.
Quelle violence envers les femmes vous dénoncez!
Les femmes sont fortes malgré la violence dont elles sont victimes. Elles ont une faculté de résilience qui va leur permettre de s'en sortir. Parfois elles trouvent des échappatoires, nager dans la piscine pour Olivia par exemple. Elles sont fortes même si elles ont des failles. Mais elles s'accrochent à la vie.
Il est aussi beaucoup question d'amour dans votre livre.
Oui, le roman commence au milieu de l'histoire, l'avenir est ce qui se passera entre Marnie et Vincy. Après ce que la jeune fille a vu et entendu, comment va-t-elle grandir? Mais elle est soutenue ici et là. Le personnage de Jane est là pour lui montrer qu'elle a de la chance, elle est sa part positive. Par contre, Olivia est une bien meilleure grand-mère qu'elle n'a été une mère.