Alors que l’été approche à grands pas, les éditeurs de bandes dessinées multiplient les sorties avant de partir en vacances. Comment retrouver son chemin dans ce dédale de nouveautés? C’est simple: il suffit de suivre le guide. Voici une petite sélection, forcément subjective, des meilleures sorties de ces dernières semaines. Il y en a pour tous les goûts!
Pour ceux qui aiment les récits poisseux: L’été en pente douce (Jean-Christophe Chauzy – Pierre Pelot – Editions Fluide Glacial)
C’est l’histoire de Fane, un paumé qui rêve de devenir écrivain, et de Lilas, une paumée qui rêve de fonder une famille. Lorsque la mère de Fane meurt après avoir été renversée par un camion devant chez elle, ce couple improbable, qui vient à peine de se former quelques heures plus tôt, débarque dans le bled natal de Fane pour s’installer dans la maison familiale. Ils y retrouvent Mo, le frère de Fane, qui est simple d’esprit depuis qu’il a eu un grave accident étant enfant. Autant dire que ce trio infernal ne va pas passer inaperçu! Surtout Lilas, dont les formes généreuses et les robes ultra-légères ne tardent pas à susciter des jalousies et des convoitises dans le village. En particulier de la part des voisins garagistes, qui n’ont qu’une seule idée en tête: racheter la maison de Fane pour pouvoir agrandir leur garage… Sorti en 1980, le roman « L’été en pente douce » de Pierre Pelot avait déjà fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 1987, avec Pauline Lafont, Jean-Pierre Bacri et Jacques Villeret dans les rôles de Lilas, Fane et Mo. Trente ans plus tard, Pierre Pelot remet le couvert pour une adaptation en bande dessinée de son roman culte, grâce à la complicité du dessinateur Jean-Christophe Chauzy. Véritable maître de l’aquarelle, ce dernier se sent comme un poisson dans l’eau dans l’univers poisseux et glauque du romancier. C’est sûr et certain: l’atmosphère moite et sensuelle de cette version BD de « L’été en pente douce » plaira à tous les amateurs de romans noirs.
Pour ceux qui n’aiment pas les happy ends: L’adoption tome 2 – La Garùa (Zidrou – Arno Monin – Editions Grand Angle)
« La Garùa » marque la suite et la fin de « L’adoption », un diptyque plein d’émotion et de sensibilité imaginé par Zidrou et mis en images par Arno Monin. Dans le tome 1, qui avait été l’une des toutes bonnes surprises de l’année 2016, on avait suivi la naissance d’une belle relation entre Qinaya, une petite Péruvienne adoptée suite à un tremblement de terre dans son pays, et Gabriel, un boucher à la retraite un peu bourru qui découvre sur le tard que le rôle de grand-père lui convient à merveille. Hélas, ce premier épisode enchanteur s’était terminé sur un fameux coup de théâtre, avec l’arrestation des parents adoptifs de Qinaya – le fils et la belle-fille de Gabriel – pour enlèvement, tandis que la petite fille était renvoyée vers sa famille dans son Pérou natal. Dans le tome 2, on retrouve Gabriel à Lima 18 mois plus tard, alors que « La Garùa », une brume typiquement locale, recouvre la ville. Ayant engagé un détective privé pour retrouver Qinaya, le vieux boucher débarque au Pérou avec l’espoir un peu fou de ramener la petite fille en France. Mais il va vite déchanter, car Qinaya n’a aucune envie de changer une nouvelle fois de famille. En attendant son vol de retour vers l’Europe, Gabriel va devoir trouver un moyen de tuer le temps au Pérou… ce qui va lui permettre de s’interroger sur le sens de la vie et sur son rapport avec ses enfants. Autant le savoir: ce tome 2 de « L’adoption » risque de dérouter ceux qui ont aimé le tome 1 et même de décevoir (un peu) ceux qui aiment les histoires qui se terminent bien. Mais c’est précisément là que réside la force du scénario de Zidrou, qui parvient à nous bluffer une nouvelle fois avec cette histoire débordante d’humanité.
Pour ceux qui aiment à la fois les X-Men et les films des frères Dardenne: Demo (Brian Wood – Becky Cloonan – Editions Glénat)
Star Wars et X-Men pour lui, Batman pour elle: lorsqu’on regarde la bibliographie du scénariste Brian Wood et de la dessinatrice Becky Cloonan, on constate que tous deux sont des habitués des superhéros et des superpouvoirs. Mais ce qu’on découvre grâce à ce livre, c’est qu’ils sont aussi et avant tout des auteurs à part entière. Dans la série « Demo », dont l’intégrale vient d’être publiée pour la première fois en français par Glénat (un pavé de près de 500 pages!), Wood et Cloonan choisissent d’aborder la thématique des superpouvoirs d’une toute autre manière, en privilégiant une approche davantage psychologique et sociologique et en se focalisant sur les préoccupations adolescentes. C’est ce qui a valu à « Demo » d’être un immense succès critique et public aux Etats-Unis. Le livre rassemble 18 histoires courtes indépendantes, centrées à chaque fois sur un personnage différent. Certaines sont plus noires ou plus fantastiques que d’autres, mais le fil rouge de tous les récits courts de « Demo » réside dans la manière dont des adolescents ou des jeunes adultes dotés de capacités extraordinaires (qui souvent les dépassent) vont parvenir tant bien que mal à trouver leur place dans le monde impitoyable qui les entoure. Pour Wood et Cloonan, les superpouvoirs ne représentent donc bien souvent qu’un prétexte pour parler de la différence et des états d’âme de la jeunesse actuelle. Un livre souvent très dur mais aussi émouvant par moments, dans lequel Brian Wood et Becky Cloonan parviennent régulièrement à prendre leurs lecteurs à contre-pied. Un coup de poing graphique et narratif.
Pour ceux qui veulent renouer avec le journalisme: Forçats tome 2 – Le prix de la liberté (Patrice Perna – Fabien Bedouel – Editions Les Arènes)
Dans le premier tome de « Forçats », Perna et Bedouel avait raconté avec brio la manière dont le grand journaliste Albert Londres s’était rendu à Cayenne en 1923 pour un reportage sur l’enfer du bagne. Au milieu des ténèbres, le reporter avait fait la connaissance d’un homme remarquable: l’anarchiste Eugène Dieudonné, condamné au bagne pour sa prétendue appartenance à la terrible bande à Bonnot, alors qu’en réalité, il n’avait commis aucun crime. Dans le deuxième tome de ce diptyque, on découvre comment Albert Londres va s’appuyer sur l’exemple de Dieudonné pour s’engager dans une lutte sans merci contre le bagne à travers ses articles et ses livres. Par l’intermédiaire du journal « Le Petit Parisien », Albert Londres interpelle le gouvernement et le ministre des Colonies pour faire fermer cet endroit de malheur. Parallèlement, il poursuit ses investigations pour faire innocenter Dieudonné, n’hésitant pas à retraverser l’Atlantique pour se rendre au Brésil alors que son propre journal a annoncé en une la mort du plus célèbre bagnard français… Véritable ode au journalisme, « Forçats » raconte de manière intelligente et passionnante un épisode peu glorieux de l’Histoire française. Si on ajoute à cela le dessin tout en ombres et lumières de Fabien Bedouel, dont le style puissant et sombre fait penser à certains comics américains mais aussi à des auteurs européens comme Pratt ou Comès, on ne peut que conclure qu’il s’agit d’une BD indispensable dans toutes les bibliothèques.
Pour les férus de satire sociale intelligente: Le Guide mondial des records (Tonino Benacquista – Nicolas Barral – Editions Dargaud)
Tout le monde connaît le Guide Mondial des Records, ce livre qui répertorie chaque année les records les plus saugrenus dans toutes sortes de domaines. Mais sait-on vraiment qui homologue ces records? C’est précisément le métier de Paul Baron, l’un des vérificateurs du Guide Mondial des Records. Lui-même est pourtant un homme tout ce qu’il y a de plus banal, avec une vie qu’on peut qualifier de plutôt ennuyeuse, mais cela ne l’empêche pas de passer son temps à vérifier que les performances exceptionnelles réalisées par d’autres personnes vont leur permettre de faire leur entrée dans le fameux guide. Le plus gros chou-fleur du monde, la plus longue lettre de l’histoire, le plus grand nombre de tatouages, le record du 100 mètres nage libre dans la catégorie des plus de cent ans… Sillonnant les routes de France, Paul Baron contrôle tout ce que les hommes peuvent inventer pour tenter de repousser les limites. Mais bien sûr, il arrive que Paul doive refuser à certains candidats leur entrée dans le Guide des Records. Et forcément, certaines personnes le prennent parfois mal. C’est le cas de ce tueur en série, par exemple, qui contacte Paul pour battre le record du monde du nombre d’assassinats… Avec le « Guide Mondial des Records », Benacquista et Barral, qui en sont à leur troisième collaboration, nous font rire jaune. Car, mine de rien, les deux auteurs dénoncent avec habileté ce quart d’heure de célébrité derrière lequel nous courons tous, notamment à travers des records complètement inutiles, comme si le fait de se distinguer de la masse pouvait nous rendre plus heureux. Une BD à l’humour grinçant, mais qui tape juste!