Puisque plusieurs personnes font assez confiance à la mignonne petite patate germée que je suis pour me demander des lumières sur le sujet...
...je vais répondre à ma hauteur de haricot prématuré, avec les armes à ma disposition, issues de ma propre expérience. Cette expérience, pour les personnes qui ne me connaissent pas, est la suivante :
- à part un Bac L, je n'ai pas de formation littéraire (pas de fac ou de prépa Lettres (j'ai fait du droit - puis un master d'Édition), ce qui est important ici, car je parle de forger son esprit critique en autodidacte (ça veut dire tout seul comme un grand, sans l'Éducation Nationale pour te tenir la main) ;
- je tiens ce blog consacré à la littérature jeunesse ;
- j'ai pas mal travaillé en librairie ;
- je travaille dans l'édition ;
- je lis beaucoup.
COMMENT DÉVELOPPER TON ESPRIT CRITIQUE EN LITTÉRATURE ?
J'ai un sentiment d'imposture magnifique à rédiger ça, mais go !
- 1. PARLE DES LIVRES QUE TU LIS AVEC DES GENS
Discuter de littérature avec d'autres férus de littérature, professionnels ou amateurs, est le meilleur moyen d'enrichir sa culture du sujet.
Même si on n'est pas toujours d'accord, si on n'a pas forcément eu le même ressenti, les mêmes idées à la lecture du livre, en en discutant, de nouvelles considérations émergent à la rencontre de deux visions.
Mettre des mots sur son ressenti permet, peu à peu, de changer le ressenti en analyse. De passer de l'émotion au raisonnement.
Attention, on n'abandonne pas l'émotion en cours de route, elle a son importance. Mais on l'enrichit par une approche plus réfléchie. C'est cet enrichissement qui nous amène, progressivement, à la critique constructive.
Bon, discuter, c'est la base. Ensuite, je vais insister sur la démarche de chercher à échanger avec des personnes ayant un dan ou deux de plus que toi sur le sujet. Pourquoi ? Parce que ce sont des échanges où l'on apprend beaucoup plus à la minute, étant " tiré vers le haut ", challengé par la discussion.
En un mot, mon ami, il faut que tu trouves ton senseï.
Quand on veut perfectionner son jeu de jambes à la boxe, on demande conseil à un boxeur chevronné, on le regarde faire, on l'imite. Quand on veut se mettre au tricot, on ne se contente pas d'acheter des aiguilles et des pelotes, on trouve quelqu'un qui pratique l'activité avec une certaine aisance, on s'assoit à côté d'elle, et on s'interrompt quatorze fois par minutes pour lui demander son avis, se faire corriger, échanger sur la meilleure façon de s'y prendre.
C'est pareil pour la critique littéraire. C'est en échangeant sur le sujet avec des gens qui s'y connaissent mieux que toi que tu deviendras bon.Mon conseil, c'est donc : Parle de livres avec des bons !
" Oui, mais attends ", me dis-tu, sourcils contrariés, levant une main comme pour raisonner un cheval se lançant au galop. " Une minute. C'est qui, les " bons " en littérature ? "
Ahhh, mon petit, j'ai une réponse toute simple :
Ceux qui sont meilleurs que toi. Tu le sais, tu le sens, je n'ai pas besoin de te l'expliquer. Tu trouveras toi-même ceux qui, quand tu les écoutes, te font ressentir cette drôle d'élasticité de l'ego : quand tu es à mi-chemin entre le ratatinement intellectuel car, " Décidément, il en sait long, Jean-Guy ! Je suis pas au niveau. " et l'épanouissement de l'âme car, " Parle encore, bel ange, je me sens baigné de ton soleil, et je deviens plus brillant chaque seconde passée en ta présence. " Tu la connais très bien, cette sensation élastique.
(Bon, fais gaffe aux m'as-tu-vu qui se nourrissent de leur prétendue supériorité.)Il n'y a vraiment rien de mieux pour apprendre la critique littéraire que de trouver son senseï. On ressort de chaque discussion en réfléchissant entre aux idées échangées, et bien souvent avec des tas de nouvelles graines d'idées (et des recommandations de lecture, aussi) (oups, encore ?).
Le senseï est fluctuant et peut être multiple. Tu peux avoir un senseï d'un soir, ce n'est pas une relation exclusive. Aka : cette personne à laquelle tu vas rester scotché(e) pendant tout le cocktail car tout ce qu'elle dit est drôle ou éclairant ou les deux.
Tu peux avoir une longue relation avec un senseï puis constater au bout de quelques années qu'il a perdu son statut privilégié car, grâce à son enseignement, vous êtes désormais au même niveau. (Parfois même, tu sauras au fond de toi que l'élève a dépassé le maître. Mais chut.) Tu as entre-temps gagné un ami de qualité 100% pur produit complice, mais tu as alors le droit de chercher ton senseï ailleurs.
Exemples tirés de mon expérience personnelle :
Sans compter tous les auteurs rencontrés, avec qui les échanges sont excitants et passionnants, et qui ont pu être mes senseï d'un soir.
C'est difficilement quantifiable mais, à débattre de plein de sujets littéraires (comme le style, la narration, l'incarnation des personnages, parfois même la traduction) et éditoriaux, j'ai à la fois élargi mon champ de vision et affûté mon regard.
" Mais, et si je n'ai pas de lecteurs dans mon entourage ? " pleures-tu avec tes yeux mouillants. On est sur internet, mon coco. Tu as lu le paragraphe du dessus ? J'ai rencontré Bunny et Tom sur internet. Parle aux gens avec tes doigts sur ton clavier. Quelles que soient tes bizarreries, tu trouveras des zygoto aussi excentriques que toi.
" Mais, et si je ne trouve pas de 'senseï', cette perle rare ? ", tachychardes-tu en regardant à gauche, à droite, triturant tes petits doigts. Oh, tu le trouveras. Guette la sensation de l'ego élastique. Et en attendant :
- Trouve des amis lecteurs curieux et intelligents. Peu importe que vous n'appréciiez pas exactement les mêmes genres (même si, pour lancer la discussion, il faut un terreau commun), ces gens seront de formidables tremplins pour ta culture littéraire.
- Lis, regarde et écoute des critiques littéraires (...qui analysent vraiment ce qu'ils lisent). Là, je te parle des blogueurs, journalistes, booktubeurs et autres passionnés qui t'apprennent quelque chose presque chaque fois que tu les lis/entends. Il ne suffit pas qu'ils soient sympas (c'est cool aussi, mais ce n'est pas ce que nous cherchons ici), il faut vraiment que tu ressentes ce petit défi intellectuel à les lire/écouter : " Ah, ouais, je n'aurais pas pensé à ça ! C'est génial. " >> C'est là qu'on apprend, et c'est ça qu'on aime.
Parmi mes favoris, je te fais deux suggestions de blogs...
... et deux suggestions de chaînes Youtube.
Rappelle-toi enfin que la lecture d'un texte critique ou réflexif, c'est toujours une discussion avec son auteur (soit dans ta tête, soit dans l'espace commentaires).
Et l'avantage incomparable des livres, c'est que rien ne t'empêche de quitter la discussion tel un prince si l'autre t'escagasse sévère.
À mercredi pour la partie 2,