Fac-similé

Fac-similé de Alejandro Zambra, paru en 2016 chez Zinnia éditions

Fac-similé

C’est par le biais de Babelio et l’une de ses masses critiques que j’ai découvert l’ouvrage que je vous présente aujourd’hui. Un ouvrage qui ne paye pas de mine, mais qui est sacrément efficace et qui vous fera vous poser des questions, les bonnes questions. C’est son résumé dans la liste de la masse critique de Babelio qui m’a donné envie de le cocher, je vous le présente donc tel quel :

« Reprenant la structure de l’épreuve du questionnaire à choix multiples en 90 items, proposé au Chili entre 1967 et 2002 aux jeunes gens désireux d’entrer à l’Université, Alejandro Zambra construit un roman tout à la fois étrange, novateur et fascinant.

On y retrouve les thèmes chers à l’auteur : la difficulté des relations humaines, qu’elles soient filiales ou amoureuses, qui laissent une large place au mensonge, à la défiance et à l’infamie ; l’enfance sous la dictature et l’héritage de secrets porté à l’âge adulte ; la place de la mémoire et des formes d’éducation qui s’assimilent davantage à du formatage qu’à l’apprentissage de la réflexion dans la société contemporaine, chilienne et peut-être d’ailleurs.

Mais en s’éloignant délibérément de la forme traditionnelle du récit, en proposant des exercices qui s’apparentent à des questions éthiques, et en faisant du lecteur le co-auteur nécessaire du texte qu’il est en train de lire et de (re)constituer Alejandro Zambra signe un livre audacieux, délicat et bigrement efficace. »

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C’est principalement la structure en QCM qui m’a intriguée. Je me suis demandé comment on pouvait construire un roman avec de telles données. Je ne connaissais ni l’auteur, ni la maison d’édition. Cette dernière est toute nouvelle, ouverte à Lyon depuis 2013, et promeut exclusivement les littératures latino-américaines. Autant dire que je ne m’y serais pas penchée de moi-même, c’est donc de belles rencontres que permettent les équipes de Babelio.

Je ne m’y connais pas plus en dictature au Chili qu’en QCM (cette méthode de contrôle n’étant pas du tout répandue en France), j’étais donc très enthousiaste à l’idée de parcourir cette petite trouvaille littéraire.

Le roman est composé de cinq parties, reprenant effectivement différents exercices en QCM. La première partie demande à ce qu’on élimine l’intru parmi une liste de mots. La deuxième présente différentes phrases dans le désordre qu’il faut remettre dans le bon sens pour former un texte correct. La troisième est faite de petits textes à trous qu’il faut compléter avec des propositions données. La quatrième est encore une élimination d’intru, mais parmi des phrases et non plus des mots. La cinquième, et dernière partie, est une sorte de compréhension de texte : trois textes nous sont présentés et l’on doit ensuite répondre à des questions de compréhension et de structure sur ceux-ci. Assez banal, voir ennuyeux, présenté comme je viens de le faire, me direz-vous. Et pourtant ce livre est loin, très loin, d’être barbant, si on sait lire entre les lignes et que l’on se prend au jeu.

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J’ai commencé par lire cet ouvrage en répondant tout simplement au QCM. Mais dès la troisième question (élimination d’un intru parmi une liste de mots), je me suis rendue compte de la particularité de ce livre. Les consignes, textes, propositions, sont ambiguës de bout en bout et il n’y a finalement pas une seule question à laquelle j’ai pu répondre l’esprit tranquille.

Prenons quelques exemples. Comme le montre la photo ci-dessus, j’ai répondu naturellement aux deux premières questions, avec des réponses qui me semblaient logiques et intuitives. Puis vient la troisième question. Quel est le mot à éliminer dans la liste suivante, sachant que le thème en est « Eduquer » : Enseigner – Montrer – Entraîner – Domestiquer – Programmer.

J’ai noté instinctivement et directement un joli « LOL » à côté.

Pour moi, éduquer ce sont tous ces points à la fois. Pour éduquer il faut enseigner. Montrer les choses permet d’éduquer. S’entraîner permet de valider l’éducation. Domestiquer, c’est ce que nous appelons éduquer un animal. Quant au dernier point, il est délicat. Programmer un ordinateur, c’est en quelque sorte le façonner, l’éduquer à l’image que l’on veut qu’il reflète, lui faire exécuter ce pour quoi on estime qu’il a été créé. Mais dans la vision d’Alejandro Zambra, qui dénonce le régime totalitaire qu’a vécu le Chili, que veut dire programmer ? Programmer, c’est la façon dont ont été éduqués tous les jeunes gens de son pays.

Dès la troisième question, c’est donc un message fort que nous impose l’auteur et on ne peut pas s’empêcher de voir tout le reste du livre de la même façon par la suite.

Je suis même revenue sur mes deux premières questions. Finalement, « piège » n’est peut-être pas l’intru dans la liste « fac-similé », car n’importe quel fac-similé peut être un piège si l’on croit tomber sur un original alors que ce n’est pas le cas et que des erreurs s’y glissent. Et « supplique » n’est pas nécessairement l’intru sur le thème de « réplique » car une supplique peut être une réplique de cinéma.

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Tout le roman est à l’image de ce que je viens de vous décrire. A peine quelques pages plus loin, on peut même tomber sur des questions très dérangeantes. Dans la liste « Famille », qu’élimineriez-vous parmi : Parents – Héritiers – Successeurs – Alfajores (pâtisserie d’Amérique latine) – Pédophilie.

Naturellement, on a envie d’éliminer « pédophilie ». Mais que faire de « Alfajores » ? A moins que ça n’ait une signification particulière autre au Chili ? Mais dans ce cas, que penser de « Héritiers » et « Successeurs » ? Est-ce vraiment ainsi que l’on voit les membres de sa famille au premier abord ? Comme de potentiel héritiers et successeurs ?

Tout un schéma de réflexion se met en branle à la lecture de ces QCM et amène à une considération très particulière du cheminement de pensé que l’on pouvait avoir jusque-là.

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Et ça, ce n’est que pour la première partie. La deuxième est tout aussi étrange. On doit remettre dans l’ordre des phrases pour former au mieux un texte cohérent, mais pour ma part ce fut laborieux. Etre littéraire dans l’âme n’aide en rien pour cet exercice, ce n’est pas ce qu’on vous demande. Pour moi, ces phrases étaient soit à chaque fois déjà dans le bon ordre, soit pouvaient de toute façon être dans n’importe quel ordre. Et ça c’est quand on ne nous embrouille pas dans les choix de réponses. A la question 32, après cinq jolies phrases d’une réflexion sur recevoir un coup dans les roubignoles, on nous laisse comme choix de classement des phrases, soit 5 fois la numéro 1, soit 5 fois la numéro 2, soit 5 fois la numéro 3, et ainsi de suite… Déroutant n’est-ce pas ?

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Après la deuxième partie du livre, j’ai laissé tomber le crayon gris et je l’ai juste lu pour le plaisir. En continuant à me torturer l’esprit sur les réflexions qu’amènent chaque question du QCM, mais sans devoir obligatoirement fournir une réponse.

J’ai particulièrement aimé les parties 4 et 5 de cet ouvrage, qui se rapprochent plus de petites nouvelles que de QCM. En tout cas, c’est comme ça que j’ai décidé de le prendre et de finir mon expérience avec ce livre. On y découvre des textes, parfois innocents, mais plus souvent révélateurs de la pensée de l’auteur sur son pays sous le régime totalitaire, notamment en ce qui concerne l’éducation de ses jeunes (ou la programmation ?). Ces deux parties m’ont permis d’avoir un aperçu du régime chilien, que dénonce Alejandro Zambra. Sous couvert de ces questions qui paraissent anodines, et drôles prises hors de leur contexte, on sent une colère froide contre ce qu’a subi son pays et la façon dont a été traité son peuple (notamment la jeunesse) et sa culture. Y sont également abordés d’autres thèmes délicats comme les relations familiales compliquées, l’amitié et les relations de confiance, ou la justice selon les points de vue de différents protagonistes.

Le titre de son ouvrage est d’ailleurs très bien choisi en ce sens. Selon mon dictionnaire (Petit Larousse 2012, et oui, je possède encore un dictionnaire papier chez moi et je préfère y regarder plutôt que d’aller voir sur internet), un fac-similé est une « reproduction exacte d’une peinture, d’un dessin, etc., par divers procédés mécaniques, photographiques ou numériques ». Son ouvrage peut donc être simplement vu, comme l’annonce le résumé, comme un fac-similé de ce qu’étaient les épreuves de droit d’entrée à l’université. Mais, dans un double sens, je le perçois aussi comme une volonté de conformité qui a été imposée à toute une génération et qui est ici rejetée par Alejandro Zambra. Comme le précise la première question de son ouvrage, ce fut toute une génération de « copie », de pâle « imitation », de « simulacre » de liberté de pensé, un « essai » de faire rentrer tout le monde dans des cases, mais en réalité un « piège » dans lequel tout le monde est tombé.

Tout le livre nous amène donc à réfléchir sur notre propre mode de pensée, l’éducation que nous avons eue, la vision des choses et du monde que nous avons pu avoir jusque-là. Même si l’auteur nous présente ici clairement le régime de son pays, on peut tout à fait faire sienne certaines causes défendues dans ces pages et se mettre à réfléchir différemment. Ce livre a dû être perçu autrement que ce que je viens de décrire, dans son pays d’origine, mais il ne peut faire que du bien à secouer quelques neurones français.

Même si cet ouvrage n’est donc pas pour la jeunesse à la base, et pas adapté aux plus jeunes de toute façon, qui ne pourraient pas saisir toute l’entièreté et la finesse de ce roman, il n’est pas du tout contre-indiqué pour des adolescents, plutôt des lycéens, pour les amener à une manière de pensée autre. Pourquoi pas à utiliser en cours de philo ?

En tout cas, un grand merci à Babelio et aux éditions Zinnia pour cette découverte très heureuse que je suis impatiente de mettre en avant dans ma bibliothèque.

Joyeuses découvertes littéraires les loulous !