Y’a des meufs qui te donnent envie d’avoir leurs formes, y’a des mecs qui te donnent envie d’avoir leurs couilles et puis, parfois, y’a des êtres qui te donnent juste envie d’être toi-même. Comme ils se foutent bien, en fait, de ton ventre flasque et de ta trouille entre ses plis, comme sous tes foutus complexes et derrière tes masques et costumes de pacotille, ils ont déjà fait connaissance avec la belle personne que tu es et comme ils parlent d’elle, tu aimerais bien la rencontrer et papoter un peu avec elle toi aussi. Ces êtres qui n’appartiennent pas à ce monde, mais auxquels ce monde appartient tout entier ; avec leur manière de toujours se régaler des sinuosités des visages même si un énorme pif danse la lambada en plein milieu, avec leurs doigts de fées qui savent repeindre l’horizon avant même que le temps n’ait pu menacer qui que ce soit de tourner à l’orage. Et comme ils n’attendent rien de toi, ne te collent aucun conseil entre les mains ni aucune culpabilité sur le dos, comme ils te pardonnent déjà tes silences et tes coups de colère, à leurs côtés tu te sens bien, et les manques et les erreurs que tu portes depuis un siècle déjà ne te gênent plus vraiment pour marcher.
J’ai eu la chance, un jour, de croiser l’un d’eux. Il ne payait pas de mine, avec sa démarche bancale qu’on n’aurait jamais dit de lui qu’il venait d’ailleurs, mais tout au plus du bistrot du coin. Et moi, avec ma mauvaise habitude d’appartenir un peu trop à ce monde qu’à défaut de connaître par cœur je ne laisse plus me surprendre, je ne l’ai pas venu venir. Je n’ai pas vu venir les battements de mon cœur, les tremblements de mes mains, les dégâts qu’il avait occasionnés qu’aucune échelle de Richter n’aurait su mesurer, pas vu venir ces papillons virevolter dans mon ventre, ces piranhas ronger mon crâne, pas vu venir ses mains puissantes rassembler les morceaux et puis finalement les secouer. Je n’ai pas vu venir ces ailes me pousser dans le dos à mesure que le vide me faisait tourner de l’œil. Et, comme je ne l’avais pas vu venir, je ne l’ai pas vu repartir non plus. Et moi, je suis restée là, avec cette version de moi-même plus grande, plus belle, plus forte que jamais, avec cette statue qu’il avait érigée de ses propres mains, mais qui à présent manquait de ses yeux pour tenir debout. Et ses doigts de fée n’étaient même plus là pour repeindre l’horizon et l’empêcher de tomber.